1914 : le 281e Régiment d’Infanterie en Artois

Commentaires fermés sur 1914 : le 281e Régiment d’Infanterie en Artois Villemur dans la guerre 1914-1918

1914

le 281e Régiment d’Infanterie en Artois

1. Du 14 octobre au 31 décembre 1914

A l’aide de la correspondance de Camille Terrisse, nous reprenons le fil de sa “campagne” de 14-18 . Après le baptême du feu en Alsace, et de brefs mais durs combats dans les Vosges, voilà le 281e Régiment d’Infanterie en route pour le Nord de la France.
Camille Terrisse fait toujours partie de la 21e Compagnie du 6e Bataillon de ce régiment.
Le 6 octobre, le régiment quitte Bruyères dans les Vosges en train, et après 40 heures de trajet, il débarque trois jours plus tard à Montdidier dans la Somme. La suite du trajet se fait en automobile avec une arrivée du régiment le 13 octobre, à Nœux-les-Mines, Sailly-la-Bourse, et Noyelle-les-Vermelles dans la Pas-de-Calais.

 

situation vermelles

1. Situation du secteur au 14 octobre 1914 «… Au moment précis où le 281e débarque et se prépare à l’action, les Allemands occupent Vermelles, s’y organisent pour résister, tandis que leurs patrouilles, dans la direction de Béthune, atteignent les abords du quartier du Philosophe.

« Le 14 octobre, à la tombée de la nuit, le régiment donne l’assaut, le 5e bataillon à l’Ouest du village, le 6e bataillon au Sud-Est. Sous l’énergique poussée des assaillants, les Boches cèdent du terrain. Nos troupes enlèvent les tranchées hâtivement creusées par l’ennemi aux abords de Vermelles, nous tenons quelques maison. Par des murs crénelés, les Allemands tirent sur nous à bout portant, nous faisant subir ainsi de lourdes pertes. Le village résiste puissamment encadré par les organisations défensives du château, au Nord-Ouest et des usines au Sud-Est. Nos soldats s’accrochent au terrain, approfondissent les tranchées, fortifient les maisons occupées et organisent héroïquement notre position avancée.
La fièvre du combat se manifeste jusqu’au 20 octobre, mais les contre-attaques de l’ennemi se brisent sur nos lignes, aucune parcelle de terrain n’est perdue, chaque jour, nous réalisons de nouveaux progrès…

Le 26 octobre, le 6è bataillon reçoit l’ordre de se porter en avant en liaison avec le 109e R. I. qui doit enlever le Rutoire.
La 21è compagnie de gauche du front d’attaque a pour objectif l’Usine; deux sections s’élancent courageusement à l’assaut.
Les feux des mitrailleuses ennemies brisent leur élan. 33 morts parmi lesquels les deux chefs de section l’adjudant Dallest et l’aspirant Gillot restent sur le terrain…» (1)

Pas le temps d’écrire pour Camille Terrisse au cœur des combats de Vermelles. Ses proches sont sans nouvelles pendant plus de quinze jours. Et pour cause ! Le 8 novembre enfin, il écrit : « Depuis ma dernière correspondance, j’ai vieilli de quelques jours qui resteront gravés dans ma mémoire…». Le 26 octobre, son chef de section, l’aspirant Antoine Gillot « mon meilleur ami et un excellent camarade » et 31 hommes de sa compagnie, la 21è ont été tués.  En 20 jours, le régiment a perdu 88 hommes, 215 ont été blessés, 114 sont disparus ! Ce jour-là Camille vaquait à ses occupations de cuistot puisqu’il était depuis quelque temps “homme de soupe” ou “ravitailleur” c’est lui qui apportait les repas des hommes dans les tranchées. « A ce moment, je n’eus qu’un regret, de ne pas avoir été avec eux pour partager le même péril, ou bien de porter secours à ceux qui étaient blessés. Je n’eus qu’une consolation, de pouvoir saluer leur dépouille glorieuse et faire une prière sur la tombe de ces braves.»

homme de soupe

2. ” L’homme de soupe “

Il rajoutera plus loin quelques explications à l’intention de sa mère et de sa sœur : « Je vois déjà le sourire qui vous vient aux lèvres en pensant au marmiton qui fait de la cuisine du matin jusqu’au soir et qui n’abandonne ses fourneaux que deux fois par jour pour porter le repas aux camarades qui sont dans les tranchées. Ne croyez pas pour cela que mon emploi soit privé de dangers, vous vous trompez ! Nos ennemis connaissent l’heure à laquelle nous portons la soupe et ils ont repéré avec leurs pièces d’artillerie les chemins que nous suivons, et tous les jours à la même heure nous envoient des obus sur notre passage. Voilà notre but à nous c’est de tâcher les éviter. On s’y prend de toutes les manières, on part un peu plus tôt, un peu plus tard, ou bien on ne passe pas au même endroit et l’on tente sa chance…
Hier 7 novembre, au repas du matin, ce fut comique malgré qu’il y eut du danger. Je partis comme d’habitude et avant d’arriver aux tranchées je m’aperçus que l’artillerie ennemie tirait dans les tranchées où je devais servir la soupe. Lorsque j’y fus, les camarades me dirent de faire attention parce que ça chauffait, et je leur dit que je n’y pouvais grand chose, parce que si un obus arrivait je ne pourrais l’arrêter. Je me mis en quête de mes pensionnaires et j’étais entrain de les servir lorsqu’un obus allemand tomba à 2 mètres et nous couvrit de terre. Je me secouai et jetais un regard sur mes marmites qui étaient découvertes pour m’apercevoir qu’elles étaient aussi saupoudrées de terre : c’était le poivre qu’ils m’avaient envoyé pour assaisonner ma soupe ! Aussi je les remerciais de leur bonne intention. Ils avaient envoyé en tout une quinzaine d’obus dans nos tranchées pour ne blesser légèrement qu’un homme…»

Un rayon de soleil éclaire le 15 novembre qui n’est pas un jour comme un autre: « …à l’occasion de l’anniversaire de ma naissance (2) j’ai acheté une bouteille de champagne d’un demi-litre que j’avais fait porter par un camarade et que nous avons dégusté en tête à tête au son de la mitraille, des canons et d’une vive fusillade… ».
L’hiver s’est installé dans le nord, il a neigé, il fait froid, le sol est gelé, et conséquence heureuse, il n’y a pas de boue dans les tranchées. Camille pense fréquemment à Villemur, à ses copains « les jeunes gens qui combattent l’ennemi » et il proteste auprès des siens car on ne lui donne pas assez de renseignements « sur les dangers qu’ils courent ou qu’ils ont couru »

ruines vermelles

3. Ruines du château de Vermelles en 1915, longées par une tranchée,

Revenant sur les combats qu’ils viennent de subir « il faut souhaiter que dans cette lutte au corps à corps que nous avons avec eux, nous serons les plus forts ; vous ne pouvez pas vous figurer ce que sont les combats de ce genre, on se fusille à bout portant et on s’extermine à coups de baïonnettes, c’est sauvage… » . Malgré tout il prend le temps d’écrire à son ami Basilou (3) et lui raconte qu’il ne manque de rien, que le ravitaillement est parfaitement assuré, le capitaine leur achetant parfois saucisse, porc, fromage et vin.

lettre sur papier allemand

4. Lettre écrite par Camille Terrisse sur du papier allemand.

Le village de Vermelles est enfin aux mains des français, les allemands ont reculé de plusieurs centaines de mètres. Camille rapporte cet épisode qui doit se situer lors de la prise du château de Vermelles le 1er décembre et l’écrit sur du papier…allemand qu’il a trouvé dans une tranchée ennemie, parmi fusils et munitions :
« Lorsque la compagnie voisine de la nôtre est rentrée aussi dans les tranchées ennemies, un soldat aperçut un boche qui n’avait pu s’enfuir. Notre militaire le saisit immédiatement à la gorge et le serrant de ses doigts nerveux lui dit : « Ah ! te téni conas, fasquès pas lo colhon sabés, sem pas aici per rire ! » (4)  Quoique notre militaire fit tout ça le plus naturellement du monde, et sur le ton le plus sérieux, ses camarades ne purent s’empêcher de rire. De temps à autre nous avons des surprises comiques, il le faut, autrement on finirait par s’ennuyer. »

ruines eglise vermelles

5. Ruines de l’église de Vermelles

eglise vermelles

6. Vermelles l’église aujourd’hui

Le 281è R.I occupe toujours les lieux, et Camille se trouve dans le quartier du Philosophe entre Mazingarbe et Vermelles. Quelques familles s’y trouvent encore et Camille leur donne le linge à laver et à raccommoder. Il constate les dégâts dans le village : « Notre 75 est terrible, il est effrayant, si vous pouviez voir les ravages qu’il a causé dans ce malheureux village, vous ne pourriez en croire vos yeux, les maisons sont réduites en miettes, l’église que j’ai visitée est un amas de ruines, les allemands fuyant notre offensive ont laissé de nombreux morts… ».

 

situation des compagnies

7. Situation des compagnies du 281e RI le 2/12/1914                                           (JMO du 281e RI 26 N 738/1)

Dans une lettre datée du 17 décembre, il revient sur la mort de Louis Blanc, soldat du 296e RI natif de Villemur (5) : « Marguerite (Sa sœur) me parle de la mort de ce pauvre Blanc. Je le savais depuis le 25 octobre et pendant tout le temps que j’ai porté la soupe, en avant du cimetière dont je vous ai parlé, je passais deux fois par jour devant sa tombe mais je n’ai jamais voulu en parler, c’est trop pénible. À l’endroit où il repose malheureusement il y en a beaucoup d’autres pour lui tenir compagnie. Dans une fosse à côté reposent également mes pauvres camarades qui ont été tués le 26 octobre et je vous assure que lorsque je passais à côté j’avais le cœur gros…». Plus loin il rajoute : « Quand aux autres jeunes gens de Villemur qui sont à côté de moi, je n’en ai vu aucun depuis trois mois, chacun à son secteur et personne, sous aucun prétexte ne doit s’en éloigner ».

En fait, seul Toussaint Balat de la 19e compagnie était lui aussi au 281è, blessé le 15 octobre devant Vermelles. Par contre une dizaine de soldats villemuriens ou des environs, engagés au 296e R.I participèrent à ces mêmes combats. Ainsi Marius Bezombes et Joseph Bringuier blessés tous deux à la mi-octobre, Jean Mauruc porté disparu à la même date, fait prisonnier par l’ennemi. Autres soldats du 296e R.I  : Jean Léon Péfourque, Germain Soulassol, Raoul Brassier, Augustin Lormières, Antonin Ménestral…

« Le 10 décembre, le régiment est relevé par le 296e R. I. Après quelques jours de repos, Je régiment prend, le 13 décembre, les éléments de tranchées à cheval sur la route de Lens. Il progresse sans combattre, rapprochant ses tranchées des positions allemandes, et creuse une ligne continue qui, sur la route de Béthune à Lens, est à 200 mètres de l’ennemi. Telle est la situation, à la fin de décembre 1914. » (6)

rutoire

8. Hier champ de bataille du Rutoire, aujourd’hui champ de blé. Au fond les terrils de Loos-en-Gohelle.

JCF / AVH août 2021

à suivre …

Sources :
Lettres de Camille Terrisse à sa famille (1914-1919) Remerciements à Magali et Mireille Faillères.

“Les Villemuriens dans la Grande Guerre” Jean-Claude François, Editions AVH Imp Evoluprint 2014
“Le 281e Régiment d’Infanterie en campagne” Montpellier Imprimerie Firmin et Montanc 1920 https://gallica.bnf.fr
Journal des Marches et Opérations du 281e Régiment d’infanterie 26 N 738/1 13 août 1914-12 mars 1915 (Mémoire des Hommes)

Notes :
(1) “Le 281e Régiment d’Infanterie en campagne” Montpellier Imprimerie Firmin et Montanc 1920 https://gallica.bnf.fr/
(2) Il est né le 13 novembre 1887, il a donc 27 ans.
(3) Basile Galan, épicier, place de l’Hôtel-de-Ville.
(4) “Ah ! Je te tiens con…Tu sais, ne fais pas le couillon, nous ne sommes pas ici pour rire !
(5) le 296e RI appartient comme les 280e et 281e RI à la 131e brigade d’infanterie (58e DI et 21e CA)
(6) “Le 281e Régiment d’Infanterie en campagne”

Illustrations :
1: JC François 2 : histoire-en-question.fr /https://rosalielebel75.franceserv.com/ 3 : Agence Rol. Photographie de presse (BNF) 4, 5, 6, 8 : archives JC François 7 : JMO du 281e RI

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