1915 : le 281e Régiment d’Infanterie en Artois 2

Commentaires fermés sur 1915 : le 281e Régiment d’Infanterie en Artois 2 Villemur dans la guerre 1914-1918

1915

le 281e Régiment d’Infanterie en Artois

2. Du 1er janvier au 4 juin 1915

 

Pendant la période qui s’étend de janvier aux premiers jours de mai, le 281e R. I. occupe les tranchées qu’il a
creusées à cheval sur la route de Béthune à Lens. La position est sans cesse améliorée on creuse toujours en avant, de
façon à amener la première ligne à proximité de l’ennemi.
Le régiment est à la hauteur de « La fosse n°7 », la ligne de front est désormais toute proche de Loos-en-Gohelle.

brasserie

1. La brasserie, dernier nid de résistance, prise à l’ennemi le 6 décembre

1er janvier 1915. Le 6e bataillon est en première ligne. Secteur calme, hormis une vive fusillade allemande vers les 24 heures au passage de l’année, causant 3 blessés. Le lendemain, le 6e bataillon est relevé par le 5e, Camille Terrisse va pouvoir souffler.
Dans son courrier arrive une lettre de Genouilly (Cher) adressé par la famille de son chef de section mort au combat le 26 octobre à Vermelles : « Le chef de section aspirant officier Antoine Gillot âgé de 23 ans, admis à l’école de Saint-Maixent, était mon meilleur ami et un excellent camarade ; pour vous donner une idée de notre amitié, lorsqu’il avait quelque chose de bon ou d’utile, il m’en donnait une part égale à la sienne, et de mon côté j’en faisait autant. Un jour, nous nous sommes donné nos adresses pour prévenir mutuellement nos familles dans le cas où nous serions frappés par le malheur. Le destin a voulu me charger de cette douloureuse mission. Le malheur arrivé, et frappé moi-même au cœur de cette franche amitié, j’ai attendu 8 jours pour prévenir la famille, retardant de jour en jour l’envoi de cette triste nouvelle, mais ma parole était donnée et je l’ai respectée.
J’ai prévenu la famille qui dans sa réponse me demandait des renseignements supplémentaires, je me suis empressé de les leur donner. La famille me fit encore réponse pour me remercier et me demandait de correspondre avec elle. Je laissais cette lettre sans réponse me promettant d’écrire un de ces jours, lorsqu’aujourd’hui je reçois une lettre où l’on me dit qu’ayant appris par la presse la prise de Vermelles et ne recevant pas de nouvelles, l’on s’inquiétait sur mon sort que le m’empresse de leur écrire pour les rassurer ; cette lettre m’a bien fait plaisir, car j’ai reconnu tout de suite dans ces paroles les qualités qui m’avaient liées à ce pauvre ami… »

En ce mois de janvier 1915, les jours passent avec leur lot de fusillades et canonnades « Les boches en face de nous nous envoient de temps en temps quelques obus, mais comme nous ne voulons pas rester en compte avec eux, on leur rend très généreusement par les voies les plus rapides ce qu’ils nous ont donné ! »

tarragonaise

2. “La Tarragonaise”, grande liqueur française

Et entre deux épisodes de montées en ligne, parfois un moment de franche détente. « Tu ne devinerais jamais la dépense que nous avons fait à la popote ; eh bien, nous avons acheté une bouteille de liqueur La Tarragonaise que l’on nous a fait payer 8 francs ! On l’a dégustée dans des grands verres, et alors nous nous sommes aperçus que si nous buvions la liqueur là-dedans nous n’en aurions palus pour longtemps, aussi nous avons acheté à Béthune (à 9 km) une douzaine de petits verres…»
Mais aussi une certaine routine s’installe : « nous nous sommes complètement faits à la vie de campagne, à nos moments de repos, nous sommes comme des civils qui leur semaine terminée, reposent tranquillement le dimanche et lorsque l’on va aux tranchées, on va là tranquilles comme des ouvriers qui vont accomplir leur journée. »

 L’hiver est là, le froid est vif, il a même neigé « Heureusement que nous sommes dans un pays minier et que le charbon n’est pas cher, on a qu’à se baisser pour en avoir. Aussi dans les abris aménagés dans les tranchées peut-on faire brûler des fourneaux à volonté, cela soulage beaucoup. »

À Vermelles, une partie des civils n’a pas été évacuée et vit quasiment au contact des soldats, et Camille Terrisse est admiratif devant la population locale : « je suis émerveillé du courage de la population civile qui est avec nous. Malgré que l’ennemi soit à deux pas de leur porte, les habitants vaquent à leurs occupations, autant que la situation actuelle le leur permet.
Jamais une plainte, un seul mot, qui trahit leur douleur Elles peuvent servir d’exemple aux personnes qui loin du théâtre de la guerre, loin des projectiles, qui sont au coin de leur foyer et qui cependant pourraient avoir des moments de découragement. Je conviens que dans le Midi, beaucoup de deuils marqueront les années 14-15, mais dans les régions envahies, la mort a fauché comme partout des vies pleines de jeunesse. » De temps à autre il croise des amis villemuriens : « Hier j’ai eu le plaisir de voir Augustin Lormières des « Miquelasses », nous avons passé une heure ensemble, au cours de notre promenade nous avons fait un pèlerinage qui nous a ramené quelques mois en arrière, nous sommes allé visiter l’endroit où notre pauvre camarade Blanc a trouvé si glorieusement la mort » et encore « J’ai vu Raoul Brassier et aujourd’hui Marius Balat « le Fayet » qui est marié avec “Poupoule”.(1)
Tous sont en bonne santé »

victor gay

4. Victor Gay

Ces rencontres, fortuites parfois, ne sont que du bonheur « par la pensée, nous étions éloignés de la tranchée si proche pourtant, on s’est parlé du pays et l’on s’est communiqué les nouvelles qu’on connaissait. Je vous assure que nous avons passé un bon moment. ».
À la fin mars il reçoit sa nouvelle tenue « on m’a donné une capote et un képi gris bleu, et clair, cette nuance est très belle, seulement je trouve qu’elle sera salissante ».Plus tard il raconte comment au début avril, un caporal alsacien de sa compagnie entame une conversation avec un soldat allemand dont le poste d’observation était tout proche des lignes françaises, « le boche qui se trouvait en face répondit en disant que les français n’étaient pas si mauvais que ça, on les invita alors à se rendre… » Mais ce dialogue fut interrompu par un de leurs chefs qui lui imposa le silence.
Un autre jour il va rendre visite à Victor Gay, (2)(Futur grainetier à Villemur) à sa pièce d’artillerie au 3e Régiment d’Artillerie de Campagne « lui aussi à laissé pousser sa barbe et comme à tous, ça lui a changé la physionomie ». Plus tard il se rend au cantonnement du 142e Régiment d’Infanterie Territoriale à la recherche d’ Augustin Pendariès (3) : la rencontre le remplit de joie « car il y a quelques jours encore (il) se trouvait dans notre belle cité villemurienne.» 

fosse sept secteur

5. Situation du secteur à la mi-avril 1915. Le 281e RI est épaulé par le 142e RIT au nord et le 256e RI au sud.

Le 28 avril Camille remonte en première ligne : « Aujourd’hui c’est notre premier jour de tranchées, la journée s’annonce belle et sans doute très favorable aux tirs de l’artillerie…il y a huit jours les boches nous ont envoyé en deux jours plus de 300 obus, soit sur les tranchées ou sur la réserve de 2è ligne ». Entre deux salves, on perfectionne les abris, on en creuse d’autres, on prolonge les sapes, on place des créneaux sur les portions de tranchées achevées. Le poilu est devenu expert quand au maniement des pelles, pioches, scies et autres cisailles.

artisanat de tranchée

6. Quelques exemples d’artisanat de tranchée Coupe-papier, crayons, dont un gravé “1915 Arras,” briquets avec gravure «1918 »( Prêt de Mesdames Henriette Falba et Paulette Robert)

Il s’est également spécialisé dans ce qu’on a appelé plus tard « l’artisanat de tranchées ». Pour tromper leur ennui, les poilus se mettent à fabriquer divers objets, domestiques ou décoratifs, avec les divers matériaux trouvés sur le champ de bataille. Et ce n’est pas ce qui manque ! Ainsi douilles d’obus et de balles, débris hétéroclites de toute sorte vont être recyclés par des mains souvent habiles et transformés en bagues, pendentifs, coupe-papiers briquets… Camille fait comme les copains « je regardais bien où tombaient les obus parce que j’avais dans l’idée de ramasser une fusée de 77 assez belle pour faire un encrier, et l’assortir avec le porte-plume que je vous ai envoyé… ». Lui le menuisier, adroit de ses mains va se mettre à bricoler la ferraille…
Le fait de créer un objet si futile soit-il est un bon dérivatif qui, tout en évitant le désœuvrement, permet de se rapprocher par la pensée de son destinataire, bien souvent un être cher. Et moralement, ce lien permet de surmonter, ou d’oublier même momentanément les rigueurs et le horreurs du front.

Jeudi 6 mai. On attend l’heure de la relève avec impatience, car comme dit Camille « je crois que nous tenons le record des régiments de France, voilà 6 mois et 22 jours que nous sommes dans les tranchées… » 8 mai comme prévu le 281e est au repos au quartier du Philosophe à Vermelles… Et le lendemain, retour en 1ere ligne, ordre d’attaque, c’est le début de la deuxième bataille de l’Artois.

C’est une attaque d’envergure voulue par Joffre avec deux opérations combinées : la principale menée par les Français sur les hauteurs de Lorette et de Vimy, la seconde ,menée par les anglais sur Festubert plus au nord. Après un pilonnement des lignes ennemies par l’artillerie durant 6 jours l’assaut débute le 9 mai sur tout le front de l’Artois. Les combats les plus âpres se déroulent dans les villages proches de Lorette : Neuville-Saint-Vaast, Carency et Ablain-Saint-Nazaire . Cette journée du 9 mai 1915 a permis de regagner du terrain sur les tranchées ennemies, mais la crête de Vimy, et donc le contrôle de la plaine minière, restent dans les mains allemandes. Elle n’est que le premier jour d’une bataille qui sera désignée comme la deuxième bataille de l’Artois et qui durera jusqu’au 19 juin 1915. Le coût humain de cette grande offensive, sans résultat stratégique majeur, fut tragique pour l’armée française : 102 000 pertes, soit le double de celles subies par les Allemands lors de l’ensemble des attaques françaises et britanniques entre Arras et Festubert. (4)
Pour le 281e RI, à l’issue des violents combats entre le 9 et le 11 mai, les objectifs atteints au prix de lourdes pertes pour le régiment :  43 morts (dont Albert Marie Guigou, commandant le 6e Bataillon, celui de Camille) 430 blessés 51 disparus.

attaque neuf mai

7. L’attaque du 9 mai sur le J.M.O du 281e R.I

Ce n’est que le 18 mai qu’une lettre parvient à Villemur, où Camille raconte ces dernières journées éprouvantes. Initialement adressée à sa mère et sa sœur, Camille va l’envoyer à son oncle Emile Alzonne, car « en la faisant j’ai cru que quand elles la recevraient elles auraient de la peine et qu’elles se figureraient des choses qui ne sont pas. » Il rajoute : « car toi tu n’ignores pas que l’on n’est pas venu à la guerre pour enfiler des perles. Je vais leur faire une autre lettre où je ne parlerai pas de tout ça. »
Voici quelques extraits de cette lettre : «…Le dimanche matin (9 mai) bien avant l’aube nous prenions le chemin des tranchées pour aller à l’assaut. Si je vous disais que j’étais ému, je mentirais, rien n’a vibré en moi malgré que je sache très bien que j’allais affronter la mort, au milieu de cette pluie de fer et de feu. Je suis très content de me connaitre car malgré que je sois habitué au danger, je n’aurais jamais cru d’avoir autant de sang-froid et d’insensibilité. Arrivé à destination, la musique a commencé et pendant 3 jours nous avons vécu au milieu de tout ce pétard. Inutile de vous dire que l’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, et plus d’un de mes camarades est tombé au champ d’honneur. Le photographe qui m’avait fait les dernières photos est du nombre. Pour le moment le calme est revenu et comme auparavant nous jouissons d’une tranquillité à peu près relative… ».

26 mai, le beau temps s’installe, il fait même très chaud dans les tranchées à l’abri du vent. Camille est très affecté par la nouvelle du décès d’Hippolyte Ratier (5) « c’est un brave homme qui disparait, qui savait gagner l’estime de tous. » Autre nouvelle, celle-ci plus réjouissante, « En date d’aujourd’hui, au rapport a paru ma nomination de caporal-pionnier ; j’ai quitté la cuisine. (6) Mon travail sera similaire à celui du Génie c’est-à-dire que je serais occupé à la consolidation des travaux de défense pour les tranchées et aux travaux de sape. Maintenant pour les attaques je marcherai comme tout le monde, ce que j’ai toujours fait d’ailleurs. En effet j’ai participé à toutes les attaques qu’a prononcées mon régiment depuis le début de la guerre et en particulier j’ai pris part aux dernières qui ont commencé le dimanche 9 mai et qui ont été particulièrement violentes… ».

terrisse a vermelles

8. Camille Terrisse à Vermelles en 1915

Et comme une bonne n’arrive jamais seule, la nouvelle de la relève se précise : le régiment doit être relevé par les Britanniques à partir du 29 mai . Deux jours plus tard c’est de Beugin – une vingtaine de kilomètres à l’arrière des lignes – que Camille nostalgique, prend la plume :  « J’ai quitté Vermelles où je me trouvais depuis le 14 octobre dernier. Que de souvenirs j’aurais gardé de cette localité. Depuis 7 mois que j’étais là, j’avais fait la connaissance de la majorité des habitants et me trouvais en bon rapports avec eux. Au point de vue militaire, j’y ai eu des émotions et j’y ai laissé beaucoup de mes camarades qui ont payé de leur sang et de leur vie l’avance que nous avons faite depuis notre arrivée. Ce sont des heures inoubliables qui resteront gravées en moi ainsi que les tranchées que j’ai parcouru tant et tant de fois. Je reverrai toujours ces grands champs de betteraves, ces maisons délabrées qui ont été le témoin de tant de drames. Je reverrai ces champs incultes situés devant nos tranchées au pied du village de Loos et qui ont vu nos attaques du mois de mai. Tout cela c’est le passé. »

Le Journal des Marches et Opérations du 281è relate le 3 juin un épisode douloureux, l’exécution d’un soldat du régiment :
« En exécution de l’ordre n°56 du général commandant la 58è division d’infanterie, le soldat S… Sylvain, condamné par le conseil de guerre de la 58è D.I à la peine de mort, pour abandon de poste, est passé par les armes à 4 heures. L’exécution à lieu conformément à l’article 52 du Décret sur le Service des Places du 7 octobre 1909, en présence de tous les éléments du régiment présents au cantonnement » .(7)

 

fosse dix sains en gohelle

8. Sains-en Gohelle : Fosse n°10/10bis des mines de Béthune en 1910

Camille ne fait aucun commentaire au sujet de cette exécution. Il est vraisemblable qu’il n’y ait pas assisté, car dans sa correspondance on apprend qu’il a travaillé aux tranchées toute la nuit avec son escouade. « La nuit dernière j’ai travaillé toute la nuit à réparer les boyaux. L’équipe à laquelle j’appartenais est partie hier soir à 6 heures et nous sommes rentrés ce matin au jour… » Peut-être aussi est-ce la peur de la censure qui l’a empêché de relater cet événement ?
Passé ce douloureux épisode, on retrouve le quotidien du front, le régiment ne reste pas longtemps à l’arrière, et dès le 4 juin, il se dirige près d’Aix-Noulette au pied de la colline de Lorette, à cinq kilomètres au sud de son ancien secteur.
Le 6e bataillon de Camille cantonne, tout à côté, dans le secteur de la fosse 10 à Sains-en-Gohelle (8)

Nous sommes toujours en plein bassin minier, et dès son arrivée, bénéficiant d’un moment de liberté, Camille en profite pour jeter un coup d’œil sur l’usine de la fosse 10 des Mines de Béthune  : « Je regrette que ce ne soit en temps de paix, car alors je m’arrangerais de manière pour aller visiter le fond ». Mais l’heure n’est pas au tourisme et les affaires militaires ne lui permettront pas de réaliser son souhait de descendre dans le puits de la mine de Sains-en-Gohelle.
La période qui va suivre ne pas être de tout repos pour le 281e.

JCF /AVH Août 2021

à suivre …

Sources :
Lettres de Camille Terrisse à sa famille (1914-1919) Remerciements à Magali et Mireille Faillères.
“Les Villemuriens dans la Grande Guerre” Jean-Claude François, Editions AVH Imp Evoluprint 2014
“Le 281e Régiment d’Infanterie en campagne” Montpellier Imprimerie Firmin et Montanc 1920 https://gallica.bnf.fr
Journal des Marches et Opérations du 281e Régiment d’infanterie 26 N 738/1 13 août 1914-12 mars 1915 et 26 N 738/2 13 mars 1915-29 mars 1916 (Mémoire des Hommes)

Notes :
(1) « Poupoule », était surnom de Pauline Balat, plus tard buraliste de la Grand-rue, jouxtant la boucherie Sicard.
(2) Après la guerre, grainetier rue de la République.
(3) Epicier puis patron de l’Hôtel-Restaurant Pendaries rive gauche, quartier Saint-Pierre
(4) http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/ et https://www.archivespasdecalais.fr/
(5) Ancien secrétaire de mairie de Villemur. Grand patriote, âgé de 58 ans, il avait “rempilé” au 129e R.I.T à Agen où il décède subitement d’une crise cardiaque le 19 mai 1915.
(6) Voir le chapitre précédent.
(7) Journal des Marches  et Opérations du 281è Régiment d’Infanterie 13mars 1915 – 29 mars 1916 26 N 738/2. Sur la fiche signalétique de ce soldat, sur le site gouvernemental Mémoire des Hommes, il est signalé mort le 11 mai à Vermelles, « disparu sur le champ de bataille ».
(8) La fosse no 10-10 bis de la Compagnie des mines de Béthune est un ancien charbonnage du Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, situé à Sains-en-Gohelle

Illustrations :
1:
coll JC François 2 : Wikicollections 8 : archives C.Terrisse 4 : “La chanson des blés durs” 5, 7 : JMO 281eRI / JC François

6 : “Les villemuriens dans la Grande Guerre” 9 : Wikipédia

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