La place Saint-Jean

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La place Saint-Jean

Boulevard de Bifranc – Rue de la Boucherie – Impasse Pharamon

1. De gauche à droite : plan Junière 1779, cadastre napoléonien 1812, plan Girou 1842 (AD H-G)

Au pied des murailles de la ville, il y a des siècles de cela, se situait le ravin traversé par le ruisseau de Bifranc. Deux ponts levis, celui de la tour de l’Hôpital au nord et de la tour Saint-Jean au sud permettaient de franchir cet obstacle naturel, élément important de la défense de la ville, le pendant à l’ouest, des Fossés Notre-Dame à l’est.
À la suite du démantèlement des fortifications et des ponts levis en 1635, deux ponts en dur furent construits au-dessus du ravin de Bifranc : le pont de l’Hôpital et le pont Saint-Jean ce dernier surplombant d’une dizaine de mètres le ruisseau qui se jette dans le Tarn.
Lors des crues de la rivière, c’est par cette grande brèche que les eaux s’engouffraient, inondant les bas-quartiers de la ville.

Jetons un coup d’œil sur les plans de la ville. Sur celui de 1779, entre les murs de la ville qui sont encore marqués, et les quelques maisons qui bordent la place du faubourg St-Jean, figure un vaste espace de jardins et d’herbes folles.
Sur le plan de 1812, les constructions s’étoffent du côté du faubourg, tandis que côté ville, sur l’ancien chemin de ronde, plus tard rue de la boucherie, passe sous deux maisons que l’on appelle les escoussières. 
Quand au plan de 1842, il signale la présence de l’abattoir en bordure du ruisseau, rendant l’endroit très insalubre vu les déchets que l’on y déversait. En fait les abords du ruisseau serviront hélas de dépotoir pendant des lustres !

C’est à cette époque (1841) que le maire Jochim Dezès envisage de louer à des particuliers (d’affermer) ce terrain non exploité, situé entre le pont St Jean et l’abattoir. Dans la négative, dit-il, on plantera des arbres. 
6 février 1842 : Le président ( le maire Victor Gay ) a exposé qu’il existait entre le pont Saint Jean et l’abattoir une quantité de terrain qui jamais n’avait été exploitée, que l’administration précédente désireuse d’augmenter les revenus communaux avaient, dans le temps, voulu mettre ces terrains en ferme, qu’à cet effet eût lieu une adjudication, pensant qu’une plantation d’arbres donnerait par leur exploitation un revenu substantiel. À une majorité de 8 voix contre 6 le Conseil a rejeté cette demande, décrétant que, malgré la vigilance de l’autorité, ils seraient journellement dégradés par les enfants. Il a été décidé en conséquence que puisque ces terrains ne donnaient aucun revenu, ils seraient vendus le plus tôt possible.

passage blaise
2. ” Le passage ou pont de Blaise “

Le 4 novembre 1842, Monsieur de Vacquié, rapporteur de la commission chargée d’inspecter les murs de la ville remet ses conclusions sur la partie située entre le pont de l’Hôpital et le Pont Saint Jean : le peu d’espace entre les murs et le ruisseau pourraient être plantés d’arbres (saules ou peupliers)
Un sentier reliant le « barry » (faubourg) St Jean à la ville traverse le ruisseau de Bifranc. On pourrait envisager de construire un ponceau sur ce ruisseau de pour remplacer les mauvais morceaux de bois sur lesquels on traverse le ruisseau. On y dépose en cet endroit beaucoup d’ordures et d’immondices. (Pont de Blaise voir article sur la place de la Résistance)

Conclusion de M. de Vacquié : « Tout ce qui tient à l’assainissement et l’embellissement de la ville Messieurs est d’une haute importance, c’est un moyen bien simple et cependant bien efficace d’élever les idées, les habitudes, les manières du peuple. Lui faire connaitre le bien être en tout genre, c’est contribuer puissamment à son bonheur. »
Le conseil entend bien ces propos et une semaine plus tard, 100 Francs sont alloués au déblaiement des immondices au niveau du petit Pont

plan juniere
3. Plan Junière de 1779

Il faut attendre août 1904 pour voir enfin les choses évoluer. Le maire Jean-Marie Elie Brusson annonce que des sondages vont être effectués en vue de la construction d’un aqueduc (1)  sur le ruisseau Saint-Jean. Il demande qu’un plan des lieux soit établi et déposé en mairie afin que les riverains puissent le consulter.
Le 5 Février 1905, le maire Jean-Marie Elie Brusson expose les plans et devis  du projet de construction d’un aqueduc sur le ruisseau Saint-Jean dressés par l’agent voyer cantonal Mr Schilling,  « dans le but de combler ce grand ravin et d’en faire plus tard une belle avenue » Les travaux sont chiffrés à 4.500 francs.
Des parcelles de terre seront prises – contre dédommagement- aux riverains et ceux-ci ont été entendus par les membres de la commission chargée du projet

Le projet est fort louable, mais un article entier serait nécessaire à rendre compte des difficultés qui vont surgir au fil des années. L’exigence de certains propriétaires et la révision du plan d’alignement font traîner le dossier. Le Conseil Municipal lui-même est divisé sur la question de l’aqueduc dont pourtant tout le monde semble partisan : 11 voix pour 10 contre.  Si la section 1 dite de la ville vote pour, la 2e section, celle de la Plaine vote contre :  « c’est la ville qui profite de la dépense ! » (18 juin 1905).

Quatre ans plus tard, ( 21 mars 1909)  le maire Pierre Duran demande de bien vouloir voter la construction d’un aqueduc sur le ruisseau de Bifranc en vue de l’assainissement du quartier St Jean. Le dossier a reçu un avis favorable du service hydraulique (11 février 1906) et le conseil croit devoir se rallier (enfin !)  à cette proposition dont l’urgence lui parait absolument démontrée et approuve les plans, devis et état parcellaire qui lui sont présentés.

Mais ce n’est finalement qu’en 1911 que seront réglés, à l’amiable, les derniers litiges avec les propriétaires des terrains, riverains de l’aqueduc.  Le chantier débute semble t’il en 1911-1912 peu après l’élection de Charles Ourgaut à la mairie. On commence par buser le ruisseau côté nord, après la destruction du vieux pont de l’hôpital. Les tuyaux de l’aqueduc posés, ce sont des charrettes qui amènent la terre des coteaux pour un comblement partiel du ravin. Le chantier est colossal pour l’époque, et le dossier porté par le maire Charles Ourgaut ( ingénieur des Ponts et Chaussées rappelons-le ) va recueillir des subventions du Ministère de l’ Intérieur, du Département, du Conseil Général de la Haute-Garonne.

faubourg saint jean
5. Vers 1910 : au fond la rue de la Boucherie et l’orme devant la maison Sirié. La dénivellation n’est pas encore comblée.

La couverture de l’aqueduc n’est pour autant pas terminée, c’est l’autre extrémité, côté Tarn qui maintenant pose problème. Il faut terminer la couverture de l’aqueduc jusqu’au pont qui mène au chemin de halage, car comme souvent, un chantier pas terminé se transforme rapidement en dépotoir à ordures, ce qui est le cas ! En 1916, , on est en plein conflit ne l’oublions pas, le chantier est ralenti avec le gel des crédits et ne s’achèvera finalement qu’aux alentours de 1919.  Mais parallèlement à ces travaux, un autre chantier prend forme, l’ouverture d’un chemin vicinal dans la vallée du ruisseau de Bifranc avec son extension future dans le vallon des Anglas.
« Ce chemin sera la suite naturelle de la voie urbaine qui vient d’être ouverte à l’emplacement du ruisseau récemment couvert dans la traversée de la ville.»
On plante des platanes de part et d’autre de cette voie nouvellement créée que les villemuriens avec une pointe de moquerie appelleront, « le boulevard coûte-cher » ! … et que nous connaissons sous le nom du Boulevard de Bifranc.

impasse pharamon
6. L’impasse Pharamon avec un drôle de N !

Pendant longtemps seule la partie supérieure de la place sera carrossable, la rue de la Boucherie, reprenant le tracé des anciennes murailles. Un seul commerce en activité, le restaurant Blaise devant lequel était planté un ormeau superbe. Un jour de 1922, le vent violent cassa une énorme branche qui endommagea si fortement l’arbre que celui-ci fut abattu par crainte d’un accident. Jean Sirié charron offrit 20f pour la branche, Germain Vignals, sabotier, 40fr pour le tronc.Tout à côté de chez Blaise, le petit impasse Pharamon (ancienne écriture  Faramon) porté déjà sur les anciens compoix. La fantaisie du N inversé ( photo ci-contre) a été saisie par l’objectif perspicace de Pierre Villa !
Quelques maisons d’habitation et de granges le composent. Il y a quelques années, par un dédale entre ces granges on pouvait rejoindre l’impasse du Dragon et la rue Saint-Michel, un formidable terrain de cache-cache !

maison escoussieres
7. Quelques vues anciennes de la dernière maison à escoussières datant du début du XXè siècle. Sur les 2 photos du bas on aperçoit au fond, le pont Saint-Jean

L’année suivante la municipalité s’attaque à un « vieux reste du passé appartenant à la famille Miramont (qui) menace ruine. »
Ce vestige n’est autre que la dernière escoussière,(2) construction édifiée sur les anciens remparts. La destruction de cette maison permit la création d’une petite placette avec un mur de soutènement, et surtout de faciliter le passage vers la rue Saint-Jean face au café Terrisse (aujourd’hui la rue des Chapeliers qui débouche face au bar Saint-Jean)

boulevard de bifranc
8. à gauche le boulevard de Bifranc ravagé par la crue de 1930. à droite la photo du boulevard prise dans le même sens trois ans plus tard lors des travaux de remblaiement

Quelques années après ces travaux, La crue historique de mars 1930 va bouleverser ce quartier, très durement touché. Les travaux de reconstruction vont s’échelonner jusqu’en 1935 et prendre l’aspect que l’on connait aujourd’hui, de la route de Bifranc jusqu’aux bords du Tarn. Les gravats résultant de la démolition des maisons en ruine, et la terre extraite des gravières de Calar finiront par combler la place Saint-Jean. Une noria de camions transporta la terre  du lieu-dit « l’Albouy » vers la place et cette terre fertile fut profitable aux platanes plantés de part et d’autre de l’avenue de Bifranc « à tel point que ces arbres sont plus beaux et vigoureux que leurs congénères de la place Ourgaut, plantés 40 ans auparavant » (3)

alambic pierre malpel
9. Pierre Malpel à gauche sur la photo et son alambic.

Dans les années qui suivirent l’inondation, ce sont les distillateurs qui occuperont la partie supérieure de la place, témoins la photo montrant les alambics de Pierre Malpel en action. Plus tard les Carrère s’installeront « en dur » dans une grange donnant sur la place. (Sur la photo ci-contre, l’alambic est installé devant un des baraquements construits après les inondations ; à droite la rue Vacquié débouchant sur la place Saint-Jean)
C’est également dans ce quartier que se déroulait la « foire aux mules » le 27 octobre, mais seule la foire de Saint-Marc le 25 avril se poursuivit avec plus ou moins de bonheur. 
Quelques manifestations eurent lieu après les inondations, tel le bal populaire organisé à l’occasion du concours de pêche du 7 et 8 juillet 1934. Le Boulevard de Bifranc fut pavoisé et illuminé pour la circonstance.

fete saint michel
10. Illustrations de la fête foraine de la Saint-Michel, place Saint-Jean.

Mais ce n’est qu’à partir des années 1950 que les attractions foraines prirent possession de la place Saint-Jean à l’occasion de la fête patronale de la Saint-Michel. Et même si ces dernières années la fête foraine fut « délocalisée » rive gauche sur le parvis de la minoterie, elle revient pour le bonheur de tous en centre ville sur « sa » place de prédilection.

commerces de la place
11. Commerces de la place.
villemur jardinage
12. La maison Lacoste en 2008 à l’enseigne de Villemur-Jardinage

Autour de cette place vont s’installer quelques commerces, citons de mémoire le chiffonnier et distillateur Jean-François Carrère, le bourrelier puis marchand de meubles Joseph Lacoste dont l’épouse Irma Tort, modiste, tenait boutique non loin de là quai Scipion de Joyeuse. Dans les années 1965 Maurice Astruc ouvre le premier Centre Leclerc dans l’immeuble de Joseph Lacoste, c’est une petite révolution pour le commerce villemurien !
Plus tard  (2008) cette belle demeure abritera l’enseigne « Villemur Jardinage ».  Elle  est occupée depuis peu par le pimpant « Centre Médical Rive Droite ». Plus loin dans le temps le forgeron Soulassol avait son atelier boulevard de Bifranc et l’arrière du café Peyre donnait sur ce même boulevard.

restaurant blaise
13. Le restaurant Blaise devenu “Café des Carmes” en 1998

Mais le commerce phare restera la boucherie et plus tard pension de famille et restaurant de la famille Sirié  plus connu sous le nom de : « Chez Blaise » . En 1998, rebaptisé « Café des Carmes » il connu ses heures de gloire puisque dans ses murs furent tournées plusieurs séquences d’un feuilleton à succès de l’époque « L’instit’ » avec le sympathique Gérard Klein dans le rôle principal. Plusieurs scènes furent également  tournées dans différents lieux de la cité en particulier dans l’usine Brusson, faisant suite au célèbre « Téléphone Rose » de 1975. (4)

Depuis longtemps la place Saint-Jean est devenue un parking dévolu à l’automobile,  et il se murmure que la municipalité doit engager, dans les mois qui viennent des travaux importants sur ce site.

l instit
14. “L’instit” feuilleton TV avec Gérard Klein

JCF / AVH décembre 2018, révisé avril 2021

(1) a), Canal creusé ou construit pour assurer l’adduction de l’eau dans une agglomération ou pour irriguer des cultures.
b), Ouvrage d’art, pont supportant ce canal.
(2) Quelques explications sur ce terme : rue qui longe les remparts à l’intérieur de la ville, chemin de ronde, terrain couvert dépendant d’une habitation, un endroit couvert, permet de supposer par exemple qu’il servait à écosser les légumes (cossier « tiges et cosses sèches de pois » de cochlea « escargot; cosse ») http://www.etymologie-occitane.fr/2015/03/escoussieres-mirepoix/. Autre définition dans “le glossaire autour des bastides” (http://bastidess.free.fr/) :Chemin de ronde aménagé le long du mur de la ville. ( synonyme . : chemin couvert).
(3) Notes de Marcel Peyre, feuillets libres sur rues et places de Villemur.
(4) L’Instit est une série télévisée franco-suisse en 46 épisodes de 90 minutes créée par Pierre Grimblat (producteur) et Didier Cohen (scénariste) et diffusée du 17 février 1993 au 26 janvier 2005 sur France 2. L’épisode tourné à Villemur est intitulé « Le Menteur ». ( saison 5, n°22 / 46 diffusé le 02/09/1998)
Si vous souhaitez visionner cet épisode cliquez sur le lien :
https://youtu.be/vXcJbzrGkTc?list=TLPQMTAwNDIwMjEyTIyzm0kmZg

Crédit photographique :
Photos-montages Jean-Claude François, images coll personnelle, archives AVH, Inondation du 3 mars à Villemur (7dr ), La Dépêche du Midi (9) et mes remerciements à Anne-Marie Malpel photo (9) Guy Vignals  (11) et  à Pierre Villa (11, 12) pour ses dons d’observateur !

Sources :
Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 19 : registre des délibérations du conseil municipal, 1830, 19 septembre-1844, 30 mars

Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 20 : registre des délibérations du conseil municipal,1844, 4 mai-1847, 6 novembre
Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 24 : registre des délibérations du conseil municipal, 1884, 15 novembre-1906, 21 avril
Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 25 : registre des délibérations du conseil municipal, 1906, 27 mai-1919,15 juin.
Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 26 : registre des délibérations du conseil municipal, 1919, 31 août-1928, 3 juin
Notes de Marcel Peyre, feuillets libres sur rues et places de Villemur.

place saint jean un
Années 1950 : vue aérienne de la place Saint-Jean, place de la Résistance, et du square des pupilles de la Nation.

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