La rue GAMBETTA
Elle s’est d’abord appelée rue de Castanéry selon la plus lointaine de nos sources, aux environs de 1583, et ce jusqu’en 1779 où elle deviendra la « rue des Faures et Castanery ». Sur l’origine du nom de « Castanery », le mystère demeure. En occitan « castanhièra » signifie « une poêle à châtaigne », le mot « faure » désigne le forgeron. (1) Ces deux mots ont en commun l’objet en fer et le travail du fer… Cette explication est un peu alambiquée je l’avoue, et en vaut une autre, mais pourquoi pas après tout ? On retrouve en tout cas dans cette rue un Pierre Romanhac « faure » en 1583, un Jean Malaret « forgeron » en 1645 et un Paul Vincens « maréchal » (ferrant) en 1779. (2)
Notons que le nom de la rue des Faures subira des variantes de 1817 à 1926, avec quelques références au passé : en 1836 « rue des Faures ou Castaneri » et en 1866 « rue des Faures Castanery » et des orthographes diverses : Faures, Faurés, Faurès selon l’humeur de l’agent chargé du recensement ? C’est dans cette rue que jadis se déversaient les eaux pluviales de tout un quartier posant ainsi de gros problèmes aux services de la voirie dans son point le plus bas face à l’actuelle pharmacie Terrancle.
Deux rues donnent sur la rue Gambetta, la rue Porte Saint-Roch et la rue Kléber cette dernière se prolonge en face par une impasse d’une vingtaine de mètres qui était appelée entre 1825 et 1832 « cul de sac vis-à-vis de Castelpailhas ». Dans l’article concernant « Les rues de la ville » (24/12/2020) nous avions évoqué la création de « la rue Neuve » qui devait prolonger cette impasse vers la rue Cailhassou, projet qui fut abandonné. En 1641 et 1645 cette impasse est appelée « rue del Sac », on la retrouve également portée avec cette appellation sur un plan des années 1840.
C’est dans la période 1927-1929 que la rue sera baptisée « rue Gambetta » en référence au célèbre homme d’état cadurcien. Rien de plus logique pour la municipalité radical-socialiste de l’époque puisque qu’elle communiquera avec d’un côté rue de la République (ex-rue Notre-Dame) et de l’autre place Jean-Jaurès ! (ex rue du Grail)
Cette rue séculaire a subi quelques transformations surtout dans sa section haute à partir de l’intersection avec l’actuelle rue Kléber. En effet la crue de 1930 va bouleverser cette partie du quartier avec de part et d’autre de la rue, la reconstruction de l’îlot Stradelis, (lire l’article concernant cette rue) et la rénovation de l’école maternelle dans la période 1935/36.
A cette époque, l’opération consiste à démolir les immeubles Marty, Sabatier et Constans ce dernier étant mitoyen avec le futur mur de façade de l’école. Ces trois maisons acquises par la mairie ayant fortement souffert de la crue, leur destruction présente un caractère d’urgence pour éviter tout danger. Les travaux sont confiés à l’entreprise de maçonnerie Duvernet sous la direction de l’architecte Félix Thillet. L’immeuble d’angle abattu dégage une placette donnant accès à l’entrée de l’école qui auparavant s’effectuait par la rue de l’Hospice. (3) Les deux autres immeubles abattus permettent d’agrandir la cour de récréation.
La maison d’angle était la propriété de Pierre Constans, dit « Le canard » serrurier de son état. Parmi les anciens, Marcel Peyre nous rappelait l’anecdote suivante. « Au lendemain de l’inondation de 1930, il rentra dans sa maison encore debout. Dans son atelier il reprit son ouvrage. Hélas ! Au premier coup de marteau donné sur son enclume, celle-ci, à la stupéfaction du brave Constans disparut dans les profondeurs du sol d’où elle n’a jamais été retirée. » La lourde enclume avait traversé le plancher et atterri dans quelque souterrain miné par les eaux. (4) Nous reparlerons plus tard de l’école maternelle dont l’adresse officielle est rue de l’Hospice.
Depuis ces travaux du milieu des années 30, la rue n’a guère changé de physionomie. Seule la destruction d’une maison faisant angle avec la rue Kléber permettra « d’aérer » ce carrefour.
J’ai bien connu cette rue dans mes jeunes années, mais les souvenirs de Martine Pugigné qui elle y a vécu, ont été précieux pour la partie d’ histoire contemporaine.
La rue Gambetta fait partie de ces rues typiques du vieux Villemur, aux maisons plusieurs fois centenaires, dont certaines trop rares ont conservé leurs belles briques rouges, telle “la maison Darasse”. Au XIXe c’est une rue très peuplée, environ 150 personnes, composée de familles nombreuses ; les métiers des occupants sont variés : cultivateurs, menuisiers, cordonniers, chapeliers, briquetiers… La population va peu à peu décroitre au début du XXe siècle, la rue perdant les 2/3 de ses habitants, une douzaine de familles habitent la rue dans les années trente. Il faudra attendre les années d’après-guerre pour voir la rue se repeupler, malheureusement pour certains dans quelques immeubles vétustes dépourvus de confort. Mais malgré tout c’est une rue où les gens s’entraident où il fait bon vivre, «Ainsi les soirs d’été, ’’on prenait le frais’’ chacun sortait sa chaise sur le pas de la porte, c’était la causette dans la rue. » se souvient Martine Pugigné.
Le premier commerce de la rue semble être l’épicerie tenu par « les Demoiselles Darbieu », Angélique secondée, un temps, par sa nièce Louise. L’épicerie fonctionnera certainement entre 1890 et 1925. Louis Bégué est le premier commerçant “contemporain” de la rue, ouvrant sa boulangerie au début des années 30. Il exerçait auparavant dans le moulin de la Tour, avant que la crue de 1930 détruise son outil de travail. Seul le pétrin fut sauvé, ayant traversé le plancher avant de se poser sans casse quelques mètres plus bas ! Provisoirement hébergés rue de l’Hospice dans ce qui deviendra plus tard la boulangerie Balthazar, les époux Bégué s’installent rue Gambetta Louis officiant dans le fournil qui donne dans la rue Hoche, Valérie son épouse recevant les clients derrière le comptoir, un bail de plus de 50 ans ! A la retraite de Louis c’est son fils “Dédé” Bégué (Léon pour l’état-civil) qui prend le relais jusqu’en 1984. « Le matin, pour préchauffer le four, le boulanger utilisait des gros chalumeaux qui ressemblaient à des lance-flammes, infernale soufflerie qui s’entendait depuis les maisons voisines. Les particuliers pouvaient faire cuire des plats au four du boulanger, on utilisait alors la grande pelle pour les retirer, mais le plus souvent, on les posait sur le bord, car le four était très chaud donc la cuisson plutôt rapide (gratins, oignons rôtis ou clafoutis aux cerises). Cette faveur prit fin lorsque Léon installa un nouveau four électrique »
En face de la boulangerie, après l’inondation de 1930, le pâtissier Gilbert Blancal qui a subi de gros dégâts s’installe jusqu’en 1935 en attendant les réparations de son commerce rue de la République. Par la suite, Blancal louera cette maison à René Fontès qui créera l’autre commerce de la rue, la charcuterie-épicerie dont on peut voir encore la devanture protégée par de hauts volets peints en jaune dont les éléments se replient sur les côtés.
« René Fontès vendait de la viande de porc fraiche et de la charcuterie. Il proposait également l’huile à la tireuse, c’était une pompe qui alimentait deux récipients, une manette permettant de vider le litre dans la bouteille qu’on fournissait. Les haricots secs, lentilles, et pois cassés se trouvaient dans des bacs pour la vente au détail. Il vendait également de la morue salée, du fromage et du beurre au détail, lapins et volailles ainsi que des petits suisses dits ‘’fromachous’’ . Le jeudi, le charcutier faisait cuire les terrines qu’il avait confectionnées dans son arrière-boutique, l’odeur de pâté ou boudin embaumait la rue. »
A cette époque, un cordonnier ariégeois Eugène Delqué tiendra commerce pendant quelques années dans cette rue.
Au début des années 50, le couple Labouysse s’installe à deux pas de la boulangerie, dans un immeuble traversant. Côté rue Gambetta Rolande Labouysse ouvre une épicerie, et côté rue Kléber Gaston installe son atelier de tonnellerie. « Cette épicerie sera reprise quelques années plus tard par Yvette et Denis Sabatier puis par la famille Molette-Rossi qui avait acheté le magasin avec le pécule ramené d’Algérie. Enfin, Gilbert Martinez, un vieux garçon très gentil mais arrivé un peu tard pour faire fortune, car à ce moment-là, le centre Leclerc entamait son essor. » A la même époque, début des années 60, Kléber Nobles lui aussi rapatrié d’Algérie, ouvrira une agence des « Assurances l’Abeille ». C’est d’ailleurs lui qui assura ma première voiture ! Il sera secondé dans les années 70 par son fils Jean-Jacques, puis Jean Lissarague leur succèdera plus tard. (5)
Tout en haut de la rue face à l’école dans la maison faisant angle avec la rue des Stradelis, habitait François Dastros le marchand de vins et spiritueux. Tout à côté, « dans un garage au portail vert, Mérino le charbonnier, entreposait charbons et anthracite à même le sol Pour passer commande, les clients glissaient un papier dans la fente du portail qui servait de boite à lettres et il livrait plutôt rapidement à pied si le client était proche, avec de grands sacs noirs qu’il portait sur son dos.»
Parmi les anciens habitants de la rue Gambetta citons aussi Charles Darasse huissier de justice et son épouse Adèle Bonhoure, grand-parents de Xavier Darasse le célèbre organiste, Marie Dandine la sage-femme, Saturnin Sizes vannier, les familles Lambea, Allègre, Sicard (“Le Manetz”), Dastros, Peyrat, Langlade le tonnelier, Pugigné, Verdier… et bien d’autres encore !
8. La rue Gambetta du nord au sud.
JCF / AVH / Décembre 2021 avec la collaboration de Martine Pugigné pour ses souvenirs, Anne-Marie Père (souvenirs de Louis Bonnet) et de Pierre Villa pour les photos.
Notes :
(1) Lexique occitan-français de Max Rouquette (Les mots occitans de Max Rouquette) par Jean-Guilhem Rouquette (2020)
(2) 1G1 Compoix Notre-Dame 1583 ; 1G7 Gache Notre-Dame Muancier 1641-1644 ; 1G5 Compoix Gache Notre-Dame1645
(3) Délibération du 23 février 1936, archives communales de Villemur-sur-Tarn 1D28 1935,24 novembre-1948,19 janvier f°28-29.
(4) L’existence de souterrains, même s’il existe une réalité historique, a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Une entrée existe dans les sous-sols de l’école de la Sainte-Famille toute proche certifiée par notre ami Georges Labouysse.
5) Kléber Nobles avait lui-même succédé à Jean Meilhou (place du Souvenir).
Sources :
Archives communales Villemur-sur-Tarn
Archives départementales de la Haute-Garonne, recensements et archives communales
Les souvenirs de Martine Pugigné-Leplat
Illustrations :
1 , 2 : archives communales Villemur et ADHG 3 , 5 , 7, 8 : Pierre Villa. 4 , 6 : Martine Pugigné. Publicités : J.C.François, J.L.Mouyssac et P.Villa . Photos vues aériennes : “remonterletemps.ign.fr” et J.C.François