Les écluses de Villemur-sur-Tarn
Pour réguler les eaux du Tarn si utiles à l’activité des moulins et à la navigation, les hommes construisirent des chaussées d’abord rudimentaires : des piquets de bois plantés dans le lit de la rivière entrelacés de branchages et colmatés par de la terre et des cailloux. Chaussées dans lesquelles, il fallait aménager des passages pour les bateaux.
Déjà en 1326 (inventaire des actes du Parlement de Paris), est fait mention d’une « pessière » (chaussée) qu’il serait nécessaire de construire à Villemur.
Avant l’écluse, le passelis :
Le passage des bateaux était assuré, sur le coté de la chaussée, par un passelis : passage du bief supérieur au niveau de l’eau et constitué d’une glissière en pente douce rejoignant le bief inférieur. La chaussée d’alors, d’une longueur de 450 mètres (voir plan ci-contre) longeait le Tarn de façon oblique entre la Tour et l’actuelle base nautique.
En 1720, (archives Brusson) les fours et moulins de Villemur passent sous le contrôle de Charles Louis Auguste Fouquet, comte de Bellisle et vicomte de Villemur. Dès l’année suivante, d’importants travaux de réfection sont nécessaires pour remettre en état la chaussée et le passelis : les travaux sont confiés à Dominique Ricard pour la somme de 31000 livres : « trépois », « paisserou », « testières », et autre « bancalous » doivent être refaits essentiellement en bois. En effet, les crues fréquentes (telles celles de 1709, 1766, 1772, 1789 ou encore de 1808) endommagent considérablement la chaussée et ses équipements.
La première écluse sur la rive gauche :
La chaussée ou « païssière », selon le plan de 1816, était située entre les moulins, plus en aval que l’actuelle chaussée, à la hauteur de la Tour de Défense. La chaussée de 1816 comprend une partie en bois, une partie en maçonnerie. Son écluse, en maçonnerie, est aménagée sur la rive gauche. Moulins, chaussée et écluse appartiennent alors à Monsieur de Ménoire, dernier seigneur de Villemur. Un long procès opposa ses descendants à l’Etat pour déterminer les obligations d’entretien et réparations. Il aurait fallu près de 200000 francs (de l’époque) pour effectuer les réparations et notamment pour combler la brèche de 24 toises (50 mètres) dans la chaussée. En 1843, la famille abandonna ses droits à l’Etat.
La deuxième écluse sur la rive droite à partir de 1839 :
En 1838, Antoine Brusson obtient l’adjudication du nouvel ouvrage. La nouvelle écluse est achevée et mise en service le 22 octobre 1839, sur l’autre rive cette fois (rive droite), cependant, dès la crue de janvier 1843, celle-ci est fortement endommagée. Le 7 mai 1844, 18 mètres sur 40 s’effondrent brusquement à la jonction avec la partie la plus récente. Après de nombreuses polémiques entre l’Etat et les propriétaires (De Tauriac et Roques), l’Etat prend en 4charge les travaux en leur imposant une quote-part de 72 000 Francs et des frais annuel d’entretien. Et ce n’est qu’en 1846 que la navigation sera enfin rétablie.
Les usages de l’écluse :
Comme toutes les écluses construites selon les normes en vigueur à cette époque, elle avait pour dimensions 40 mètres de longueur et 5 mètres de largeur avec un tirant d’eau d’1,80 mètre. Des gabarres plus profondes ainsi que des péniches purent emprunter l’écluse. À Villemur, le débit moyen annuel s’élève environ à 160 m³/seconde, avec des pics à 347 m³/s en février et des baisses à 45 m³/s (et parfois 25 m³/s seulement) en période d’étiage de juillet à septembre et même de juin à octobre. Ces variations annuelles du débit entraînent des conflits d’intérêts entre les usagers que ce soit les bateliers, mariniers ou propriétaires des moulins. Régulièrement, la municipalité doit prendre des arrêtés pour réguler les fréquents conflits : ainsi, certains mariniers rivalisent pour passer en premier l’écluse, d’autres encombrent le passage avec leurs marchandises ou passent l’écluse, malgré l’interdiction, pendant les crues.
On dénombre jusqu’à 1500 bateaux et 300 batelets qui passent au pied de Villemur et en franchissent son écluse dans un sens ou dans l’autre chaque année. La navigation sur le Tarn est donc très intense jusqu’en 1885, date à laquelle fut ouverte la voie ferrée Montauban-Castres qui provoque son déclin. Le dernier bateau à vapeur : le Charlot franchit l’écluse de Villemur en 1922. l’année suivante le Tarn fut déclassé en tant que voie navigable et ses écluses fermées.
Le démantèlement de l’écluse
C’est donc en 1923 que l’écluse est fermée. Longtemps certains villemuriens se sont “promenés” malgré l’interdiction, sur l’écluse désormais inactive, franchissant la passerelle métallique pour rejoindre le quai (bajoyer).
En lieu et place du mécanisme de l’écluse,une micro-centrale électrique est ultérieurement installée.
En 1974, alors que les Etablissements Brusson connaissent des difficultés financières, la tour du Moulin et le Parc sont vendus à la municipalité tandis que les droits du barrage, la centrale rive gauche et la micro-centrale rive droite sont vendus à la société Zago (délibération municipale du 5/10/19174).
Ainsi la municipalité est propriétaire du Moulin, mais l’entreprise Zago dispose du transformateur situé à l’intérieur.
Celui-ci est relié par un important câble électrique à la centrale de la rive gauche.
En 2007, la turbine et son câble électrique reliant le Moulin sont retirés.(Voir photos)
Conclusion : l’écluse aujourd’hui
L’écluse est aujourd’hui incorporée au domaine piblic fluvial (Etat). Elle est gérée par la SHEMA qui exploite la centrale hydroélectrique.En 2014, un projet est présenté par Val d’Aïgo pour envisager la réouverture de l’écluse permettant ainsi de rétablir une navigation de plaisance sur le Tarn. Grâce à la remise en service de l’écluse, la navigation serait possible de la chaussée des Derrocades à celle de l’Escalère.
Mais le 24 avril dernier,une brèche importante est constatée sous le quai(Un renard hydraulique)et d’importants travaux de sécurité sont entrepris : pour mettre en sécurité le quai, un batardeau est construit les jours suivants; Et l’on peut apercevoir sous les eaux restantes, quelques éléments d’architecture témoignant du riche passé de l’écluse : pieux de bois, éléments de maçonnerie
Véronique Gayraud AVH / juillet 2019
(Avec l’aimable collaboration de Gaston Sengès, Christian Arnaud, Jean-Luc Erpelding, et Gilles Franqueville pour les recherches et documents)
Quelques éléments de lexique :
Passolis ou passelis : passage, brèche ou pertuis pratiqué dans le barrage. Plan fortement incliné composé de madriers de chêne long de 10 à 15 mètres et large de 5 mètres environ.
Païssière ou chaussée : indispensables pour la navigation mais difficile à franchier lorsque l’écluse fait défaut,, elles jouent également un rôle essentiel pour l’énergie hydraulique nécessaire aux meuniers, presseurs d’huile, ou pour les foulons.Cette double finalité entraîne des conflits d’intérêt entre gens de mer (Bateliers et mariniers) et propriétaires des moulins, surtout en période de basses eaux.
Bajoyer : paroi latérale de l’écluse ou du passelis (quai sous lequel une brèche a été constatée le 24 avril 2019)
Renard hydraulique : terme désignant un phénomène d’érosion interne très dangereux qui se produit dans un ouvrage hydraulique, tel une brèche sous le bajoyer.
Bibliographie :
– La chanson des blés durs, Brusson jeune 1872-1972, Loubartières, 1993, Philippe Delvit
– Dossier : projet de navigation sur le Tarn, Val d’Aïgo, 2014
– Brusson : retranstriction : archives des moulins de Villemur, 10 décembre 1721 : réception des travaux exécutés
par Dominique Ricard
– L’inondation du 3 mars 1930 à Villemur sur Tarn et ses environs, publication AVH, mars 2010
– Villemur sur Tarn à travers la carte postale de 1900 à 1930, publication AVH
– Inventaire des actes du Parlement de Paris
– Site : le tisserand de Sayrac
– Site : A.T.E.V et archives de Gilles Franqueville.
Crédit photo :
1 et 3 Archives communales et J-C François 2 , 5 et 8 Gaston Sengès 4, 6 : coll J-C François 7 et 9 : Gilles Franqueville.
10 : Véronique Gayraud.