1778 : la réception du Maréchal de Noailles à Villemur

Commentaires fermés sur 1778 : la réception du Maréchal de Noailles à Villemur Regards sur le passé. Faits marquants, anecdotes et histoires insolites

Passage à Villemur d’un “grand” du Royaume

 

philippe de noailles

1. Philippe de Noailles (1715-1794)

Le 3 septembre 1778, Guy Mémoire de Beaujau, fraîchement intronisé vicomte de Villemur trois mois plus tôt, reçoit sur ses terres l’un des plus grands seigneurs du Royaume, Philippe de Noailles, duc de Mouchy, maréchal de France, accompagné de son épouse la duchesse d’Arpajon et de sa fille, duchesse de Duras.

duchesse d arpajon

2. Anne Claude Louise d’Arpajon (1729-1794)

La réception n’a pas lieu à Villemur dans le cadre de la maison seigneuriale, mais dans la campagne de la rive gauche sur les terres du château de Saint-Maurice à Magnanac. On peut penser que le passage du bac sur le Tarn aurait été périlleux pour le cortège imposant accompagnant ces personnalités de haut rang.
C’est un véritable honneur pour Guy Ménoire le bordelais d’origine, que de recevoir Philippe de Noailles bordelais d’adoption, ’investi du gouvernement de la Guyenne depuis 1775, succédant au duc de Richelieu.
Le faste déployé durant cette journée est à mettre en parallèle avec la situation précaire des habitants de la vicomté en proie aux disettes et autres calamités de l’époque. Onze ans plus tard, 1789, la Révolution Française…

 

chemin des fallieres

3. Croisement de la route de Castres et du chemin des Fallières en direction de Sayrac.

 

 

Ci-contre, l’endroit où eut lieu la réception en 1778. À droite, derrière la ligne d’arbres se trouve le château de Saint-Maurice. C’est la famille de Pouzols (Pouzols de Clairac ou Pouzols de Saint-Maurice) qui possédait ce domaine depuis le milieu du XVIIe siècle. Ce n’est qu’après la Révolution que le domaine passera à la famille de Naurois.

 

Nous verrons plus loin quel fut le destin funeste de Philippe de Noailles et de sa famille, et laissons place à la narration de cette journée historique puisée dans les délibérations consulaires des archives communales de Villemur.

« Le dimanche troisième jour du mois de septembre 1778, Monseigneur Philippe de Noailles, Maréchal Duc de Mouchy, Grand d’Espagne de la première classe, Chevalier des Ordres du Roi et de la Toison d’Or, Grand Croix de l’Ordre de Malte, Commandant en chef de la haute et basse Guyenne, Madame la Maréchale son épouse née Duchesse d’Arpajon, Madame la Duchesse de Duras leur fille, sont partis de Montauban pour aller à leur terre d’ Ambres près Lavaur (1)

Monsieur le Président de Ménoire, vicomte de Villemur qui a l’honneur d’être particulièrement connu de Monsieur le Maréchal et de ces dames, leur a donné une fête à leur passage à Magnanac. Dans cette vue, il avait été dressé sur le bord du grand chemin joignant la maison de Mademoiselle de Pouzols Clairac, une tente composée d’une grande et belle pièce de compagnie, et d’une salle à manger avec des vestibules alentour le tout orné et décoré avec beaucoup de goût par les soins de Monsieur Guillemain, architecte décorateur des maisons royales, actuellement attaché à Monsieur le Vicomte.

Monsieur le Maréchal et ces dames sont arrivés avec leur suite à onze heures du matin au bruit de l’artillerie qui avait été disposée à cet effet à l’entrée du village. Leur voiture était escortée par les gardes de Monsieur le Maréchal, par une brigade de la maréchaussée et par douze citoyens à cheval qui avaient servi de gardes à l’entrée de Mr le Vicomte et de Mme la Vicomtesse le 14 juin dernier. En uniforme rouge, collet et parements bleu et vert, culotte blanche, ils ont été reçus à la portière par Mr le Vicomte, Mr le Maire et consuls de cette ville revêtus de leurs chaperons, et partie de la noblesse du pays. Mr le juge n’a pu se trouver à cette réception, étant retenu par une grave maladie.
Depuis le chemin jusqu’à la porte d’entrée de la grande pièce de compagnie, la haie était bordée par une compagnie d’une centaine d’hommes d’armes, les drapeaux déployés et les tambours battant aux champs. Après être entré dans la pièce de compagnie, Monsieur Maliver, le maire, a eu l’honneur d’haranguer Monsieur le Maréchal, Madame la Maréchale et Madame la Duchesse.
Il a été servi ensuite un magnifique repas auquel Mr Maliver, maire, Mr Mathieu lieutenant de maire, et les personnes qui avaient été présentées par Mr le Vicomte ont eu l’honneur d’être admis, Mr le Vicomte était placé à table entre Madame la Maréchale et Madame la Duchesse.

Après le repas, Mr le Maréchal et les dames sont rentrés dans la pièce de compagnie où tout le monde a été admis à leur faire la cour jusqu’au moment de leur départ vers trois heures de l’après-midi.
Cette fête champêtre préparée dans le court espace de vingt quatre heures a parfaitement répondu aux ordres de Mr le Vicomte et aux soins des personnes qu’il a employés. Il a été servi outre la table de Mr le Maréchal quatre autres différentes tables pour régaler les gens de la suite et partout régnait l’abondance et la délicatesse.
Mr le Maréchal, Mme la Maréchale et Mme la Duchesse ont donné à Mr le Vicomte à cette occasion les marques les plus distinguées de leur amitié ; Mr le Maréchal a embrassé Mr le Vicomte avec une effusion de cœur sensible, il a porté à table la santé à celle de Mme la Vicomtesse qui était absente ayant été privée de sa venue à cette fête à cause d’une indisposition.»

signatures registre

4. Signatures sur le registre consulaire de Villemur. Jean-Raymond  Maliver (maire) Etienne Mathieu (lieutenant de maire) Pierre Lacroux (troisième consul) Pierre Rouère (Curé de Villemur) Benoît Vieuuse (Procureur fiscal de la ville) Jean Vieusse (Greffier consulaire)

Biographie succincte de Philippe de Noailles et d’Anne Claude Louise d’Arpajon

Philippe de Noailles est né à Paris le 27 décembre 1715, fils cadet d’Adrien Maurice de Noailles (1678–1766), 3e duc de Noailles, maréchal de France, et de la duchesse née Françoise Charlotte d’Aubigné (1684-1739), nièce et héritière de Madame de Maintenon.
Il devient, dès l’âge de cinq ans, capitaine et gouverneur de la ville de Versailles et « des chasteaux de Versailles, Marly et dépendances et capitaine des chasses [des] parcs dépendans desdits lieux » , charge que le duc de Noailles, son père, lui obtint le 11 juin 1720.
Il commence très tôt sa carrière militaire en entrant à quatorze ans dans les mousquetaires et participe au siège de Kehl (1733) alors qu’il n’a que de seize ans. Il fait ensuite toutes les campagnes des trois guerres du règne de Louis XV, se signalant en de nombreuses occasions, par sa bravoure et son sang-froid. Il s’illustre particulièrement à Hickelsberg en Bavière (1742), où il sauve l’armée française de la déroute ; à Dettingen (1743), où il a deux chevaux tués sous lui, et à Fontenoy (1745), où il charge la colonne anglaise à la tête d’une brigade de cavalerie.

fontenoy

5. Bataille de Fontenoy (1745) par Pierre Lenfant

En 1746, il accompagne son père lors de son ambassade en Espagne, et y reçoit son titre de grand d’Espagne de 1ère classe, avec le titre de duc de Mouchy. En 1755, Louis XV lui confie une mission diplomatique auprès du Roi de Sardaigne, puis auprès de la Cour de Parme. En 1770, il est chargé par Choiseul, alors premier ministre, d’aller accueillir à Strasbourg la future Reine de France, ce qu’il fait avec son épouse et leur fils, le prince de Poix.
Retiré du service en 1759, il est élevé à la dignité de Maréchal de France le 24 mai 1775, sans avoir jamais commandé en chef une armée importante, mais en ayant cependant montré des capacités militaires bien supérieures à celles de son frère aîné, Louis de Noailles, nommé le même jour.
Le 2 février 1767, il est fait chevalier des Ordres du Roi. Quelque temps plus tard, il reçoit, à la suite du maréchal de Richelieu, le gouvernement de Guyenne, où il manifeste, une fois encore, les qualités qui lui étaient connues, de rigueur dans les usages et de goût pour la charité.

Philippe de Noailles avait épousé le 27 novembre 1741 à Versailles , Anne Claude Louise d’Arpajon (1729-1794) dernière représentante d’une des plus illustres familles rouergates, les Arpajon. Dernière baronne d’Ambres, elle était descendante en ligne directe de l’architecte Jules Hardouin-Mansart par sa fille Catherine, et comptait parmi ses ancêtres Pons de Lauzières, marquis de Thémines le défenseur de Villemur pendant le siège de la ville en 1592.

louise de noailles

Louise Charlotte de Noailles (1745-1832) duchesse de Duras

De leur union naquirent six enfants, cinq garçons et une fille, la cadette qui deviendra duchesse de Duras.
Anne Claude Louise d’Arpajon fut avant tout, dame d’honneur de la reine Marie Lesczsynska (décédée en 1768) Estimée pour ses qualités, elle est nommée deux ans plus tard, dame d’honneur de la nouvelle dauphine Marie-Antoinette d’Autriche.
Elle part à sa rencontre à la frontière avec l’ensemble de l’entourage français du Roi,  et assiste à l’arrivée de la future souveraine âgée de 14 ans.

La comtesse de Noailles a la responsabilité de veiller à ce que la dauphine assimile et respecte bien les us et coutumes de la cour de Versailles, si nécessaires  dans ce milieu si spécial qu’était la Cour de France. Marie-Antoinette ne lui accorde pas sa faveur, ayant le sentiment de ne pouvoir faire tout ce qu’elle aurait aimé, et lui donne le surnom de « Madame l’Étiquette »
 Quand, en 1774, Marie Antoinette devient reine de France, elle renvoie la comtesse de Noailles, qui finit par rejoindre le parti d’opposition noble à la reine, avec Mesdames, les filles de Louis XV.

Le destin cruel des Noailles

À l’automne de sa vie, Philippe de Noailles est élu membre de l’assemblée des notables en 1787 et 1788, mais, affaibli par l’âge, s’abstient de participer aux travaux de cette assemblée.

place du trone

6. Place du Trône Renversé “Paris-illustré” de Adolphe Joanne (1867)

Il reste en France lors de la Révolution, s’efforçant de protéger, autant qu’il le peut, le Roi Louis XVI contre les assauts révolutionnaires, jusqu’au 10 août 1792.
Il se retire alors dans son château de Mouchy, où il finit par être arrêté.Pris dans la prétendue conspiration des prisons, il est condamné à mort, ainsi que son épouse, par le Tribunal révolutionnaire le 27 juin 1794 et transféré de la prison du Luxembourg à la Conciergerie. Le lendemain tous les deux montent à l’échafaud alors installé barrière du Trône, l’actuelle Place de la Nation.

plaque place trone

7. Plaque commémorative, sur l’actuelle place de la Nation

Alors que quelqu’un lui lançait : « Courage, Monsieur le Maréchal ! »,
il répond : « À quinze ans, j’ai monté à l’assaut pour mon roi ; à près de quatre-vingts, je monterai à l’échafaud pour mon Dieu. »


Comme tous ceux qui les avaient précédés et qui suivirent, les corps de Philippe de Noailles et son épouse furent inhumés ou plutôt jetés dans une fosse commune creusée dans un terrain à l’origine de l’actuel cimetière de Picpus.

Moins d’un mois plus tard et cinq jours avant la chute de Robespierre, d’autres membres de la famille montent à leur tour sur l’échafaud :

cosse brissac

8. Catherine Françoise Charlotte de Cossé-Brissac (1724-1794)

duchesse d ayen

9. Anne Louise d’Aguesseau, duchesse d’Ayen (1737-1794)

Leur belle-soeur Catherine Françoise Charlotte de Cossé-Brissac, la veuve de Louis de Noailles, frère de Philippe

Leur belle-fille Anne Pauline Louise Adrienne vicomtesse de Noailles  qui avait épousé leur fils Louis Marc Antoine (1756-1804) qui, ironie du sort, député de la noblesse aux Etats Généraux avait provoqué, par son intervention à la tribune l  e vote qui aboutit à l’abolition des privilèges. Elle était la fille de la duchesse d’Ayen, qui suit, et la soeur de Marie Adrienne Françoise épouse du Marquis de La Fayette.

Anne Louise d’Aguesseau, duchesse d’Ayen , épouse de Jean-Louis Paul François de Noailles, duc d’Ayen, fils de Louis de Noailles et de Catherine Françoise Charlotte de Cossé-Brissac

JCF / AVH juin 2019

Sources :
Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 10 : registre des délibérations consulaires, 1778, 28 juin-1788, 15 avril
Le bel article de Marie-Christine Pénin dans  Tombes et sépultures dans les cimetières et autres lieux. https://www.tombes-sepultures.com/
Christian Teysseyre, Nouvelle histoire de Villemur tome 3,   Familles de Magnanac, page 750 et suiv.

Photos :
1,2, 5, 6, 7 / Wikipédia. 3 : Google map. 4: Archives communales Villemur. 8, 9,  : Marie-Christine Pénin

(1) Ambres faisait partie des domaines de la puissante vicomté de Lautrec. Les aléas des successions et des procès le firent tomber en 1386 dans les mains du Comte de Foix. Voir aussi Christian Teysseyre Nlle Histoire de Villemur Tome 3, page 742 “Arpajon”

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