1918, l’année décisive.
L’année 1918 vécue par les villemuriens et ses soldats au front.
Une autre année commence, une année de souffrances, au front comme à l’arrière. Tenir bon, il faut tenir. Et si les soldats tiennent bon, ce n’est pas seulement grâce à leur courage et à leurs armes, c’est aussi parce dans leurs foyers, dans leurs familles, on les soutient du mieux qu’on peut. On s’écrit, parfois quotidiennement, on se prive pour envoyer un colis, un billet pour celui qui est au front. Dans toutes les villes et plus encore dans les villages, on a fait corps autour des valeurs de la République.
À Villemur, comme partout en France, chacun est parti défendre la patrie sans rechigner, il n’y a pas eu de défections.
La municipalité et les villemuriens font bloc autour de Charles Ourgaut le maire, qui prend les mesures pour le bien de ses administrés : le secours aux indigents, le contrôle des prix du pain, l’aide à l’usine Brusson et indirectement à ses ouvriers ne sont que quelques exemples. L’école laïque est soudée autour de ses maîtres, et se mobilise fortement lorsque hélas, elle perd un de ses enfants au combat. Enfin, la population quelle que soit sa couleur politique, et pour qui la religion est d’un grand secours dans les instants de détresse, est unie derrière le curé Joseph Maurette.
Et puis Villemur avec un peu plus de 3.000 habitants est un gros village, tout le monde se connait de longue date, les parentés sont nombreuses, en fait seules quelques familles « étrangères » à la commune sont venues grossir la population à la recherche d’un travail, bien souvent chez Brusson. Alors dans chaque rue, dans chaque quartier, Saint-Jean, le Pech, Notre-Dame, ou « delà l’aïga », (1) on se tient au courant du malheur des uns, et du bonheur des autres, car il y a bien quelques rares et heureux événements, naissances ou mariages. De toute manière on est là, toujours prêt à consoler ou donner un coup de main.
Tout le monde ignore, en ce début 1918, qu’il va falloir attendre encore 11 longs mois pour que cesse cette maudite guerre.
Et il va en falloir du courage, car la liste des victimes va s’allonger.
Dans les articles précédents sur la Grande Guerre, nous avons déjà parlé de Verdun et de ses environs, où en fait, on s’est battu pendant les quatre années de guerre et pas seulement pendant la légendaire bataille.
Les offensives de 1917 sous les ordres du général Guillaumat ont permis à l’armée française de revenir à ses lignes de 1916.
Au nord de Verdun, des villages de Louvemont, Beaumont, et Bezonvaux il ne subsiste que des amas de pierres. Deux ans de combats acharnés ont bouleversé le paysage, le sol est ravagé, criblé de trous d’obus, les forêts sont englouties.
C’est près d’ici, à la Côte du Poivre que Louis Soulié à été tué le 20 novembre 1917.
Les hommes du 2è bataillon de chasseurs qui tiennent ce secteur sont exténués par des conditions très défavorables, et en partie intoxiqués par les gaz. Parmi eux, le jeune Emile Gay, d’abord classé dans le service auxiliaire pour « faiblesse », a cependant rejoint les Chasseurs en mai 1917. Le 9 mars 1918, un violent bombardement s’abat sur tout le secteur du bois des Fosses, près de Beaumont au cours duquel Emile Gay est grièvement touché par un éclat d’obus à la cuisse droite. Transporté à l’hôpital d’évacuation n°11 à Fleury-sur-Aire, au sud de Clermont-en-Argonne, il décédera le lendemain soir. Il est inhumé à la nécropole de Rembercourt-aux-Pots dans la Meuse, où son corps a été transféré le 3 mai. Harassés, les hommes du 2è B.C.P tiendront encore 45 jours avant d’être relevés.(2)
Sur tout le front, les combats ont repris de plus belle. Dans l’Oise on retrouve Léon Gibert avec le 133è R.A.L. (3) Après un bref séjour dans les Vosges et la Marne, le régiment est aux environs de Rollot à l’ouest de Compiègne, en appui du 18è corps d’armée.
Le 31 mars, le 5e groupe du 133è fait route dans les environs de Montgérain. Léon écrit à ses parents à Villemur : « …l’autre jour j’étais sur la route en colonne et le président m’a parlé… ». Il a effectivement croisé la route de Raymond Poincaré en visite sur le front accompagné par le général Humbert : « …De Clermont nous allons à Mongerain où se trouve le poste de commandement du général Jacquot, commandant du corps d’armée qui se bat du côté de Rollot. Les routes sont encombrées de troupes et d’artillerie lourde et sont très boueuses. A plusieurs reprises nous sommes embourbés ou arrêtés par les convois. Reconnu par les soldats, je suis vite entouré et très respectueusement salué, souvent avec des vivats. » (4)
Le 133è d’artillerie lourde a pour mission de pilonner les positions allemandes, leurs canons crachant entre 400 et 600 obus par jour rien que pour leur seule 13è batterie. Le moral est au beau fixe : « Je crois que les boches ne nous remuent pas comme les Anglais. Ils vont l’avoir dure s’ils veulent nous déloger et ils vont y laisser de la bourre car il y a nos petits 75 qui sont là.
Par contre à Villemur il doit y avoir beaucoup de la dèche, car l’usine en ayant fermé, ça ne doit pas faire sourire trop les bonnes gens. Hier j’ai reçu des nouvelles de Jean Vacquié « le fabou », ainsi que d’Etienne Malpel, ils sont tous en bonne santé »
Le soir au cantonnement, par chance, il s’est baladé avec Raoul Brassier et Augustin Lormières, du 225è R.I, qui cantonnent tous deux dans le même village, à Maignelay-Montigny. « Ça fait bien plaisir de voir des copains du patelin, nous avons parlé longuement et tu peux croire qu’ils en ont marre depuis le début ! Mais je crois que ça va être le dernier coup de torchon, car ça doit être effrayant les pertes qu’ils doivent avoir les boches ; mais en tous cas, ils foutent des bonnes plumées à Messieurs les Anglais ! Ah tu peux croire que ces derniers sont contents lorsqu’ils voient arriver les Français ! ». Quelques jours avant de quitter la Picardie pour retrouver les Vosges, Léon fait une rencontre surprenante : « Ce matin on a parlé avec un américain. Il m’a donné trois cigarettes et on a parlé longuement de la guerre. » Il devait s’agir d’un soldat de la 1ère division d’infanterie « The big red one » qui quelque jours plus tard participa à son premier engagement majeur de la guerre, à Cantigny, village proche de Maignelay. Le soldat américain en question devait bien pratiquer la langue de Molière, car Léon, outre le français, ne maniait guère que l’occitan !!
Un autre « pays », le sayracois et maréchal des logis Théodore Teysseyre artilleur de la première heure, présentement au 118è R.A.L se trouve lui aussi dans ce même secteur. Son régiment est aussi en soutien du 18è corps d’armée engagé dans la bataille de Picardie aux alentours de Rollot et Cuvilly. Ils cantonnent non loin de là, dans le village de Gournay-sur-Aronde. Ce lundi 20 mai 1918, il est environ 22 heures 30, la nuit est froide, la lune éclaire le ciel. Cette belle soirée pourrait inspirer Théodore le poète : il écrit en effet des poèmes remarqués en occitan, et ce soir peut-être, carnet et crayon en main, son esprit s’évade vers Sayrac, son village…Soudain c’est l’alerte : les Boches ! les avions ! On ne les a pas entendus arriver ! Ils ont le temps de lancer une dizaine de torpilles. Trois maisons situées sur la place du village sont touchées et s’effondrent. On retire les victimes des décombres, les blessés sont dirigés à la hâte vers l’ambulance 5/8 de Gournay-sur-Aronde, où Théodore Teysseyre y décède à 1 heure du matin le 21 mai. Le bombardement, outre Théodore fera 12 victimes et 10 blessés, membres du parc d’artillerie du 18è corps d’armée, service des eaux. C’est non loin de là, au combat de Conchy-les-Pots que Paulin Termes du 120è B.C.P sera sérieusement touché à la cuisse par un éclat d’obus et devra être amputé.
Après l’échec des offensives allemandes du printemps-été 1918, la contre-offensive franco-américaine lancée le 18 juillet marque un retournement de la situation. Dès le 8 août, le maréchal Foch, qui assume depuis avril le commandement des armées alliées, lance une série d’offensives qui font reculer l’armée allemande malgré sa résistance pied à pied. La guerre fait désormais appel massivement, du côté allié, aux chars et à l’aviation. Sur le front de Somme, les allemands sont peu à peu repoussés vers la ligne Hindenburg. (5)
Lorsque le mardi 1èr octobre 1912, le jeune Albert Gayral franchit le portail de la caserne Sarrut à Pamiers pour être incorporé au 59è R.I, il ne se doute pas qu’il ne reverra plus la ferme familiale où il travaille avec ses parents Pierre et Virginie.
Né en 1891, ce solide gaillard fait partie de la classe 1911 et aurait dû théoriquement être libéré de ses obligations militaires en octobre 1914. Mais en août 14, adieu la « quille », le 7 août il part de Foix avec le 59è RI, direction les frontières de l’est. Le baptême du feu est pour le tristement célèbre 22 août devant Sart et Anloy en Belgique, jour fatal pour ses copains Emile Montet et Jacques Alières eux aussi du 59è d’infanterie.
Il va vivre ensuite les attaques de mai et septembre 1915 en Artois, et puis….Avocourt, la Champagne, l’Argonne, la Woëvre, Verdun, les Flandres. Albert s’est battu sur tous les fronts, il a vu toutes les horreurs de cette sale guerre, et maintenant la Somme et l’Aisne….
Le 59è régiment d’infanterie qui a relevé une brigade australienne près de Lihons, est aux trousses de l’ennemi, occupe la ville de Chaulnes, et force les allemands à repasser la Somme. Retranché derrière cette barrière naturelle, la résistance est forte, mais le 59è finit par passer la Somme près de Falvy et poursuit sa chevauchée.
À l’approche de Saint-Quentin et de la ligne Hindenburg, la résistance se fait plus vive. Le 13 septembre à la mi-journée, lors des combats pour la prise du village de Savy, le 2è classe Albert Gayral est touché mortellement par un éclat d’obus, et déclaré « Mort pour la France » à Beauvois-en-Vermandois aux portes de Saint-Quentin. Il faudra encore 5 jours de durs combats pour que le 59è R.I se rende maître du bois Savy avant d’être relevé.
En ce début d’été 1918, le Haut-Commandement allemand tire immédiatement parti du nouveau contexte stratégique qui lui est totalement favorable : la révolution russe et l’effondrement en suivant de l’armée tsariste, permettent désormais de mener la guerre sur un seul front, l’Ouest, en y concentrant toutes les forces disponibles. Tour à tour, la Somme et les Flandres subissent le choc.
Après les sévères combats d’août devant Beaumont au nord de Verdun, le 287è, appelé aussi « Berry-au-Bac », reprend du service à la mi-septembre sur le front des Eparges et la région de Toul. Début avril 1918 le régiment quitte la Lorraine pour la Somme, et le 24 du mois, la division monte en ligne sur le front Hailles-Hangard. La situation n’est pas brillante, les abris sont inexistants et l’artillerie martèle nos positions inlassablement avec des obus de tous calibres. Le 28 mai c’est un éclat d’obus qui touche mortellement Jean Péfourque un garçon de 23 ans, cultivateur, né à Sainte-Rafine, dont le père Antoine est conseiller municipal dans la municipalité villemurienne. Incorporé en août 1914, il était pourtant passé entre les balles à la côte 304, au Mort-Homme ou aux Éparges. Le destin en a voulu autrement, sa vie s’est arrêtée dans la Somme devant le village de Hailles.
Le début de la fin
Après l’échec des allemands dans leurs tentatives de percées, Ludendorff élabore de nouveaux plans et attaque fin mai entre Soissons et Reims, sur un front devenu peu actif après le revers français d’avril 1917 sur le Chemin des Dames.
Les troupes allemandes franchissent l’Aisne et la Vesle, s’enfoncent vers le sud et trouvent sur leur route le 147è R.I qui vient d’être rapatrié dare-dare de Bar-le-Duc où il cantonnait. Le 28 mai au matin, il reçoit l’ordre de se porter au bois d’Arcy où l’accrochage a lieu dans la nuit du lendemain.
Le régiment résiste autant qu’il peut dans un duel acharné, mais en début d’après-midi, il commence à céder, le combat est trop inégal. Toutes les positions sont tenues jusqu’à la dernière minute, et la mort dans l’âme c’est la retraite. Ce combat d’Arcy-Sainte-Restitue fait une nouvelle victime, Adrien Soulié, né à Toulouse mais travaillant comme typographe à l’imprimerie Brusson Jeune, soldat de 2è classe, au 147è R.I, disparu au combat, et dont le décès officiel ne sera transcrit à Toulouse que le 12 mars 1921. Le régiment se replie de quelques kilomètres au sud, renforce ses positions, barrant définitivement la route à l’ennemi. Relevé le 5 juin le 147è reçoit alors la mission de tenir les passages sur l’Ourcq.
L’ennemi attaque sur tout le front de l’Aisne. Au nord de Soissons, c’est le 5è régiment de Cuirassiers qui est engagé sur les bords de l’Ailette à Pont-Saint-Mard. Le 29 mai il se regroupe devant la ferme Bonnemaison en direction d’Epagny. François Trilhes a 24 ans, il travaille la terre avec ses parents à Magnanac. Il fait partie de ces cuirassiers qui vont se défendre becs et ongles. Il a depuis 1914 toujours servi dans la cavalerie dragons, chasseurs et, enfin le 5è cuirassier depuis août 1917. Le 30 mai, au lever du jour, malgré les assauts acharnés des forces allemandes, le régiment défend le plateau de la ferme de Bonnemaison avec une énergie désespérée. Mal secondé par l’artillerie qui dans un premier temps tire trop court, puis hélas, dans nos lignes, après les demandes d’allongement de tirs, le 5è cuirassier se replie laissant plus de 347 hommes hors de combat dont François Trilhes, (6) porté disparu au combat sur la commune d’Epagny. L’offensive allemande va faire une troisième victime dans l’Aisne, trois victimes en 3 jours parmi nos villemuriens.
Au sud d’Arcy-Sainte-Restitue où Adrien Soulié a été tué, la situation est critique. Le 14è régiment d’infanterie arrive de l’Oise, appelé en renfort. Le voyage n’a pas été de tout repos, le convoi étant même bombardé en gare de Crépy-en-Valois. Dans les heures qui suivent leur débarquement à Longpont, les hommes du 14è R.I sont au contact de l’ennemi et organisent la résistance autour du village de Blanzy petit coin de l’Aisne jusque là épargné par la guerre. Plus de 300 hommes sont hors de combat, 156 disparus. Dans cette liste figure le villemurien originaire des Filhols où il cultive la terre, Jean Chaubard 34 ans, soldat de 2è classe. Blessé au bois des Chevaliers dans la Meuse fin 1914, avec le 214è, puis arrivé en renfort au 14è R.I et il a été de toutes les campagnes avec ce régiment : Saint-Rémy-Blanzy dans l’Aisne sera son dernier combat. Maria Estabes qu’il a épousée au Born en 1909, et leur petite fille attendront novembre 1921 et l’avis de décès officiel pour faire le deuil de son mari et père.
Dans ces parages, au sud-ouest de Soissons, on retrouve Léon Gibert dont le régiment, après s’être ressourcé dans les Vosges, est maintenant en appui de la 3è brigade marocaine, en avant de la 10è armée du général Mangin : « Nous ne sommes pas marmités, mais tu peux croire que ça barde ! On leur envoie quelque chose sur leurs tranchées. Ça tombe jour et nuit…J’ai vu passer les prisonniers boches, tu peux croire qu’ils n’avaient pas trop bonne mine. Ils n’avaient pas eu le temps de mettre leurs molletières. »
C’est l’été à Villemur, et si le temps se met au beau, dans les cœurs c’est l’hiver. Ce mardi 2 juillet est un jour de deuil, on enterre Pierre Capoulat, soldat au 50è régiment d’infanterie.
La presse relate l’événement : « Encore un nom à ajouter à la noble série des victimes de la guerre. Mardi dernier ont eu lieu les obsèques d’un jeune soldat, Pierre Capoulat, qui vient de trouver la mort en instruisant de jeunes recrues pour un lancement de grenades.
Un de ces engins, dépourvu de mèche, ayant éclaté dans la main d’un des soldats qu’on instruisait, en a blessé deux et a tué celui dont nous déplorons la mort prématurée. On a fait à ce jeune vaillant qui avait été déjà blessé, et qui était décoré de la croix de guerre, des obsèques dignes de lui. Monsieur Ourgaut, notre maire si distingué, a prononcé au cimetière un vibrant discours qui, dans le champ des morts, a plus profondément ému la nombreuse assistance.» (7)
Pierre Capoulat est âgé de 24 ans et menuisier comme Pierre son père, lorsqu’il est incorporé au 50è R.I de Périgueux en décembre 1914. Il est nommé caporal en juin 1916, se distingue au combat en Champagne en mars 1917 et cité à l’ordre de la brigade : « Repoussant une contre-attaque ennemie dans une lutte corps à corps ». Un mois plus tard, gravement blessé à Saint-Souplet dans la Marne par des éclats d’obus sur tout le corps, il est rapatrié vers l’intérieur. Rentré à son dépôt, la caserne Bugeaud à Périgueux, et, considéré « inapte à faire campagne », il devient en tant que sergent, instructeur pour les nouvelles recrues. Le 28 juin 1918 au matin, sur le champ de tir de la Rampinsolle à Coulounieix, l’accident stupide se produit au cours d’un exercice.
Nous sommes maintenant au mois d’août, « Il fait une chaleur terrible, il n’a pas plu depuis bien longtemps, tout sèche » dixit le menuisier Emile Pendaries, « Pompo » qui donne périodiquement des nouvelles à Camille Terrisse. Après avoir été intoxiqué par les gaz, Etienne Malpel (alors au 48è RAC) a eu quelques jours de permission « je l’ai eu pendant dix jours, et chaque soir on se retrouvait sur l’Allée, nous avons fait vivre un peu du passé ; mon frère (nota: Marius Pendaries, qui est au 159è d’infanterie) est au repos. Son régiment se reforme, ils ont perdu 700 hommes. On est sans nouvelles de Lormières, de notre classe, depuis quelques jours, il avait même couru le bruit qu’il était porté comme disparu. (8) Les « classards » de la classe 20 ont manifesté dimanche. Comme ils ne sont que 7, (9) ils avaient avec eux toutes les classes à venir, le tapage était ainsi plus grand. La grippe espagnole est à Montauban.»
Quelques jours plus tard, c’est encore dans l’Aisne que la mort va frapper. Le destin est cruel, car c’est à Tigny que le 2è classe François Razat va trouver la mort. Tigny, Saint-Rémy-Blanzy, Arcy-Sainte-Restitue, ces trois villages sont distants de moins de 5 kilomètres entre eux, et trois de nos soldats y ont déjà perdu la vie. François Razat est un jeune homme de 21 ans né à Auterive, venu travailler la terre à Villemur et il appartient au 412è R.I qui faisant partie de la 10è armée du général Mangin. Ce dernier a lancé depuis le 18 juillet avec l’appui des forces américaines et britanniques, une virulente contre-attaque partie de la forêt de Retz, l’objectif est l’axe Soissons-Château-Thierry, à hauteur de Tigny. L’attaque est déclenchée au matin du 21 juillet, et malgré l’appui des chars, l’issue du combat est incertaine, les allemands étant formidablement retranchés.
Les combats des 21 au 23 juillet sont très meurtriers, les chiffres terribles : huit officiers sont tués dont le commandant Gerde, la troupe payant un lourd tribut, plus de 900 hommes hors de combat. Une grande quantité de disparus furent retrouvés, plusieurs semaines après la bataille, gisant sur le terrain, mortellement atteints par les projectiles. Ils étaient tombés dans les grands blés qui, au moment du combat recouvraient le sol, et leurs corps avaient échappé aux recherches des brancardiers. François Razat fait partie de ces pauvres hommes. (10) D’abord porté disparu, son corps sera retrouvé puis enterré au cimetière de La Râperie proche de Tigny, le 9 août 1918. Aujourd’hui, il repose à la nécropole nationale « Bois Roger », dans la commune d’Ambleny près de Soissons.
La dernière victime des combats dans l’Aisne est un brillant jeune homme de 27 ans, Joseph Fieuzet. Futur prêtre, il est originaire de Magnanac où son père est menuisier. D’abord incorporé au 11è régiment d’infanterie de Montauban, il gravit les échelons, caporal puis sergent; rentre ensuite dans les troupes coloniales au 3è régiment de Zouaves, où il est sergent-fourrier. Le 18 mai 1918 il est promu lieutenant et intègre le 7è régiment de tirailleurs algériens qui dans l’Aisne, mène une lutte farouche pour tenter d’enfoncer la ligne Hindenburg. Grièvement blessé au combat près de Vauxaillon au nord de Soissons, il est rapatrié à l’arrière et meurt le 8 septembre à l’ambulance de Villers-Cotterêts. Cité à l’ordre de l’Armée et décoré de la croix de guerre, il s’était distingué le 26 septembre 1914 au Mesnil-les-Hurlus dans la Marne. Ce jour-là, alors agent de liaison du Commandant du 11è R.I, il s’était porté en avant, pour ramener dans ses lignes un de ses camarades blessé.
La presse locale se fait l’écho du décès de Joseph Fieuzet, quelques jours plus tôt, elle rappele aussi dans un autre article les faits d’armes et la décoration d’Etienne de Naurois lieutenant au 360e R.I, le frère de Jean de Naurois mort au combat un an plus tôt dans l’Aisne à la tête de son bataillon.
Souffrir jusqu’au bout
Dans les derniers jours de septembre 1918, les alliés repoussent les allemands sur tout le front. La ligne Hindenburg est enfoncée par la 10è armée de Mangin dans l’Aisne, et plus au nord par les britanniques dans la Somme.
Il est l’heure de frapper un grand coup. C’est en Champagne que le général Gouraud avec sa 4è armée va porter une attaque d’envergure alignant sept corps d’armée sur un front de trente kilomètres. Plus à l’est c’est aussi la première armée du corps expéditionnaire américain du général John Pershing qui lance ses divisions entre l’Argonne et Verdun.
L’attaque se déclenche le 26 septembre et sur tout le front les troupes avancent. Le premier jour, les Allemands sont bousculés au nord de Ville-sur-Tourbe, de Massiges et sur de Perthes-les-Hurlus. La 4è armée s’empare de la ferme de Navarin, de la butte de Souain, de Tahure, de Rouvroy et de Cernay-en-Dormois. On approche de Sommepy, les renforts allemands arrivent et la résistance de l’ennemi est grandement facilitée par la nature du sol en partie marécageux. Le 28, dans l’attaque de Sommepy, le jeune Gaston Olivié du 407è R.I est tué au combat, il est natif de Villaudric, célibataire, et vient d’avoir 21 ans. Le lendemain, non loin de là, Jean-Marie Falguière, artilleur au 12è R.A.C, disparait à son tour à Tahure. Lui aussi est né à Villaudric, engagé volontaire, il n’a pas encore 19 ans Le 30 septembre, toujours à Sommepy, les combats font une autre victime : Louis Jolibert du 64è R.I, né à Magnanac, et âgé de 33 ans, issu du 14è régiment de Toulouse, venu renforcer le 64è R.I.
Un mois plus tard, la mairie de Villemur est avisée du décès du soldat Jolibert par le dépôt du régiment à Ancenis : « Monsieur le Maire de Villemur, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien, avec tous les ménagements nécessaires dans la circonstance, prévenir Monsieur Jolibert à Magnanac de la mort de Jolibert Louis soldat au 64è régiment d’infanterie … »
Charles Ourgaut prendra le chemin de Magnanac pour annoncer la funeste nouvelle…comme il l’a fait tant de fois. La famille Jolibert devra attendre avec angoisse la fin de janvier 1919 pour voir rentrer Antonin, le fils cadet, prisonnier des allemands depuis le 22 août 1914 à Bertrix.
Louis Jolibert et Jean-Marie Falguière seront les deux derniers soldats villemuriens, morts au combat dans le même secteur entre la ferme de Navarin et Somme-Py.
Le front craque de partout, les allemands sont repoussés vers leur frontière, en pleine déroute militaire et politique, le dénouement est proche.
La grippe espagnole, cet autre fléau qui arrive en France au printemps 1918, finit par toucher Villemur. (11) C’est Emile Pendaries qui raconte dans un courrier du 20 octobre à Camille Terrisse : « La grippe a fait son apparition soudaine au commencement de la semaine. Dès maisons entières l’ont, mais on a aucun décès, les gens se soignent avant d’en être trop (touchées). À la scierie Sabatié on a suspendu le travail à cause des malades, et les écoles sont licenciées jusqu’au 3 novembre dans tout le département à cause de cela. Nous avons failli manquer de pain, il a fallu réquisitionner des boulangers, on se disputait le pain.»
Les nouvelles du front sont meilleures, la presse s’en fait largement l’écho, mais est-ce bien vrai ? Est-ce bien la réalité ? Tous les malheurs semblent s’abattre sur la population, à bout de souffle. Emile Pendaries se fait l’écho de bien de ses congénères et l’on sent du découragement dans ses mots : « Et cette paix ? J’ai peur que nous ne l’ayons pas encore. J’avais bon espoir, mais maintenant je le perds. Je crois qu’une fois arrivés chez eux, ils vont lutter jusqu’à la dernière cartouche. Guillaume n’abandonnera pas volontairement le pouvoir, il faudra qu’il y soit obligé par la force ! Si cela se passe ainsi, nous y voila pour quelques jours de plus et pourtant cela ne leur servira qu’à prolonger la guerre et à faire quelques victimes de plus. »
Des victimes, il y en aura encore à déplorer en cette fin 1918 : Alphonse Carrat de l’armée d’Orient, mort loin de France en Serbie, mais aussi d’autres qui décèdent des suites de leurs blessures parfois anciennes, en milieu hospitalier, tels les soldats Louis Jean (blessé au Chemin des Dames en octobre 1917) et Jean-Marie Portes, (maladie) le caporal Pierre Boué, (maladie) morts respectivement dans les hôpitaux des Sables d’Olonne, de Lourdes et à Troyes.
Il y a ceux aussi, qui gravement blessés ou malades puis réformés, ont été rapatriés dans leur famille : les artilleurs Albert Gay, « le Callor » ägé de 20 ans, décédé chez ses grands-parents à Bouxoulis, et Jean Bonnadieu, au domicile de ses parents à Rouzet.
Villemur pleure aussi François Vacquié, ouvrier de Brusson, ancien de la territoriale, et Germain Lacaux le boulanger, décédés chez eux dans leur famille. Enfin Fernand Bécade du 78è R.I dont la blessure à Beauséjour dans la Marne en 1916 avait entraîné l’amputation de la jambe droite, est emporté par la grippe espagnole le 2 octobre 1918. Définitivement réformé, il exerçait de nouveau sa profession de tailleur d’habits à Toulouse, quand la maladie le rattrapa.
C’est à Coufouleux dans le Tarn, chez sa grand-mère maternelle Marie-Victorine Lauzeral, qu’il rendit le dernier soupir. Maria Bécade sa cousine de Villemur annonce sa mort à Raoul Majorel un de ses proches amis, alors en Alsace avec le 201e RI : « On a dû t’annoncer la mort du pauvre Fernand, je t’assure qu’on le regrette beaucoup ! Cela nous donne le cafard de voir disparaître en si peu de jours des personnes jeunes, emportés par la terrible épidémie qui sévit dans nos régions. »
Pour clore cette liste funèbre, citons également ceux dont nous n’avons pas parlé, décédés tout au long du conflit dans les hôpitaux civils et militaires : Eugène Capus du 57è RAC en 1914 et Guillaume Panassié (14è RI) tous deux emportés par la typhoïde, Jean Maury (7è RI), François Clamens (15è RI) en 1915, Pierre Balat (57è RAC) en 1916 et Pierre Gay (117è RIT) en 1919 tous décédés suite de maladies contractées en service ainsi que le gendarme Donatien Marambat de la brigade de Villemur, victime de la grippe espagnole en 1918.
Et pour tous les soldats encore au front ou prisonniers, la délivrance est proche.
JCF / AVH septembre 2018
Notes :
(1) De l’autre côté de l’eau, c’est-à-dire rive gauche.
(2) Historique du 2è B.C.P., Anonyme, librairie Chapelot, Paris, numérisé par Alain Béthencourt.
(3) Les régiments d’artillerie étant en pleine réorganisation, le 12è groupe du 103è R.A.L, son ancien régiment, devient le 5è groupe du 133è.
(4) Raymond Poincaré : « Au service de la France- Neuf années de souvenirs- Victoire et armistice 1918 ». https://gallica.bnf.fr
(5) Ligne défensive fortifiée organisée par Hindenburg et Ludendorff durant l’hiver 1916-1917, allant, pour la partie française, de l’ouest de Lille à Soissons en passant par La Fère, Péronne et Roye.
(6) Rapport du Lieutenant-Colonel Altmayer commandant le 5è Cuirassier, p.44 à 46. J.M.O du 5è régiment de cuirassiers, 8 décembre 1916-8 août 1918 26 N 876/17.
(7) « L’Express du Midi » du jeudi 4 juillet. Rosalis, bibliothèque numérique de Toulouse.
(8) Fait prisonnier à Montdidier dans la Somme le 8 août, il est effectivement porté comme disparu au corps de 225è R.I.
(9) Louis Bourbon, Marius Gailhac, Adolphe Malpel, Pierre Malpel, Fernand Moussié, Marius Pélissier, Raymond Pélissier
(10) Historique du 412è régiment d’infanterie, Charles-Lavauzelle, éditeurs militaires, Paris, Limoges, Nancy, 1923
(11) Le virus de la grippe espagnole), semble être né en Chine en 1915 puis être arrivé aux États-Unis dès 1916. En avril 1918, une première vague épidémique touche l’Europe après l’arrivée de troupes américaines à Bordeaux. La pandémie de grippe espagnole aurait touché dans le monde un humain sur deux. Les spécialistes les plus prudents parlent de 20 à 40 millions de morts dans le monde, alors que les plus nombreux évoquent désormais 50 à 100 millions de victimes, dont beaucoup d’adultes jeunes. En France, les statistiques officielles ont été révisées à 408.000 après une récente relecture des registres d’état-civil.
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1,3,5g,6,8,10,11,12,13g,15,16 : Jean-Claude François. 2 : Fonds Raoul Berthelé A.M.Toulouse. 4 : http Dreux-par-pierlouim.over-blog.com. 5d : Nadine Manneville. 7,18 : Claudine Pendaries.9 : Google. 13d : Jean-Luc Mouyssac. 14 : Rosalis. 14 bis : Christian Teysseyre 17 : Monique Portolès.
Sources:
– « Les villemuriens dans la Grande Guerre » Jean-Claude François / AVH, septembre 2014, → voir l’onglet Publications
– Le site de « Mémoire des Hommes » www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/
– Rosalis, la bibliothèque numérique de Toulouse. https://rosalis.bibliotheque.toulouse.fr/
Prochains articles :
– L’armistice du 11 novembre 1918 à Villemur
– Le livre d’Or des « Morts pour la France » de Villemur.
– Les prisonniers de guerre de Villemur
– Retour sur les années 1914 et 1915