La vicomté de Villemur entre le XVIIe siècle et la Révolution
Un siècle de partage, entre pouvoir royal et vicomtes
1. Villemur retrouve le domaine royal 1621-1643.
Après avoir été pendant 25 ans la propriété du duc de Lesdiguières, la vicomté de Villemur va revenir au domaine royal qu’elle avait quitté en 1569.
Le 13 novembre 1621, le roi Louis XIII abandonne le siège de Montauban, et passe par Montbeton où « il fait l’acquisition des vicomté, châtellenie, terre et seigneurie de Villemur, consistant en ville close, château et maison forte, avec les bourgs et bailliages en dépendant, de la terre de Villebrumier et de la baronnie de Roquemaure avec la paroisse de Réal ».(1)
L’acte est passé devant Pierre Valès notaire de Montech, pour le prix de 700 000 livres.
Daniel de Bellujon, gouverneur de la ville récupère au passage la somme de 100 000 livres au titre de récompense pour son gouvernement de la place, mais aussi pour les armes et les munitions qui lui appartiennent. L’acte est enregistré par lettres patentes du 2 juillet 1622, unissant ainsi la vicomté de Villemur au domaine royal de la sénéchaussée de Toulouse.
En 1622, Augustin Oysellier, seigneur de la Molière (ou Lamolère) reçoit le gouvernement du château, de la ville et de la vicomté, la fonction n’étant pas de tout repos car les années qui suivent sont mouvementées, les protestants montalbanais battant de nouveau la campagne, commettant de nombreux larcins en prévision d’un nouveau siège.
Après la nomination du marquis de Saint-André Montbrun comme gouverneur de Montauban, les escarmouches redoublent.
César, duc de Vendôme (2) vient en personne à Villemur, et cache ses troupes dans la ville pour tendre un piège à Montbrun. Ce dernier fait retraite prématurément sur Montauban, est rattrapé par Vendôme, mais réussit a rentrer dans la ville. Vendôme passe sa colère en rasant le château de Reyniès et la ville de Villebrumier. Le maréchal de Thémines revenu à Villemur tenir garnison, se venge des dégâts commis par les huguenots en ravageant la campagne jusque sous les murs de Montauban.
Après la levée du siège de Montauban et d’interminables négociations entre Catholiques et Protestants, la paix est enfin signée à Montpellier le 19 octobre 1622. Elle confirmait l’Edit de Nantes, l’amnistie de tout le passé, et la réintégration des chefs calvinistes dans tous leurs biens, titres et privilèges. Montauban ainsi que La Rochelle demeuraient villes de sûreté.
Malgré cela le feu couvait toujours chez nos voisins montalbanais, attisé par Rohan,(3) protestant extrémiste, aux funestes desseins de revanche.
Les années 1625 et 1628 virent d’autres soulèvements. Au mois de juillet 1628, les troupes royales du duc d’Epernon (4) firent quelques dégâts aux alentours de Montauban. La réponse ne se fit pas attendre : après le départ des troupes royales,les montalbanais avec à leur tête Béraud, ravagent la campagne environnante. Les lieux de Saint-Maurice, Orgueil, Nohic, Le Terme furent livrés aux flammes. Selon l’historien Le Bret, « L’incendie dévora toutes les maisons de campagne jusqu’à Fronton… »
Le mois suivant, les montalbanais vont subir deux revers qui vont refroidir leurs ardeurs. Le gouverneur de Villemur La Molière, mit en déroute une bande de pilleurs montalbanais près de Bonrepos, et les rescapés sont ramenés prisonniers avec leur butin.
Quatre jours plus tard, le même sort fut réservé au capitaine de l’Hoste et Bernadou, venus graisser de nuit le moulin de Villemur dans un but de l’incendier.
Ces brigands pillèrent la campagne, chargèrent un bateau du butin qu’ils avaient fait, et décampèrent vers Montauban.
La Molière engagea la poursuite, les rattrapa à mi-chemin, et leur fit lâcher prise après avoir tué quelques hommes.
Enfin, en 1629, après la victoire de Louis XIII à La Rochelle et la signature le 28 juin, de la paix d’Alès, le calme revient. Montauban se soumet et démantèle ses fortifications.
À la mort du gouverneur de la Molière, en 1630, le conseil général de Villemur obtient du roi la démolition du château de Villemur, son maintien ne pouvant être que la source de désagréments. La ville perd sa vocation militaire, artillerie et munitions sont retirées, mais les murs d’enceinte de la ville conservés.
Malgré la démolition du château, le titre de capitaine châtelain sera donné par le roi à Jean de Seguin dès 1634. Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi en 1626, il était marié à Jeanne de la Tour, petite-fille d’Antoine la Tour de Reyniès, défenseur de Villemur en 1592. À la mort de Jean de Seguin en 1650, c’est son fils Etienne de Seguin des Bros qui devient capitaine châtelain et gouverneur de Villemur.
(1).Amédée Sévène, Notice sur Villemur, Imprimerie Brusson Jeune, Villemur 1898.
(2).César de Bourbon, duc de Vendôme, duc d’Étampes, est le fils légitimé du roi Henri IV.
(3).Henri II, duc de Rohan, chef du parti protestant.
(4).Jean-Louis de Nogaret de la Valette, duc d’Epernon, gouverneur de Guyenne,
2. Louis ARDIER, Seigneur de VINEUIL 1643-1658
La vicomté de Villemur est toujours propriété du Royaume, ouvert à toute proposition selon un édit du mois de mars 1639, car la France, engagée dans la guerre de Trente Ans contre les Habsbourg a mis à mal les finances royales. C’est finalement Louis Ardier, seigneur de Vineuil qui va l’acquérir par adjudication le 6 septembre 1643. L’achat de la vicomté de Villemur n’est pas le fruit du hasard. On peut penser que les liens étroits qui unissaient son père et lui-même à Louis XIII aient favorisé la transaction. On peut supposer également que cet achat s’est réalisé sur les conseils de Gaspard de Fieubet, issu d’une riche famille toulousaine, ce dernier étant son propre beau-frère (il a épousé en 1618 sa sœur Claude Ardier).
Qui est Louis Ardier ? Il est né aux alentours de 1600, fils de Paul Ardier et Suzanne Phélypeaux. Originaire d’Issoire en Auvergne, son père est un grand commis du royaume, contrôleur général des guerres, puis contrôleur général des gabelles de France.
Tout au long de sa vie Louis Ardier a mené de front la politique et la galanterie. C’est un fidèle partisan du Grand Condé, et il va être mêlé de près ou de loin à la Fronde, prenant le parti des Princes. Pour avoir tenu des propos subversifs sur la régente, Anne d’Autriche, on le somme de se retirer de Paris, on l’arrête. Relâché sur ordre de Condé il accomplit pour lui des missions diplomatiques. Voilà ce que disait de lui Roger de Bussy-Rabutin (1) : « Monsieur de Vineuil était frère du président (H)ardier, d’assez bonne famille de Paris, agréable de visage, assez bien fait de sa personne; il était savant et honnête homme; il avait l’esprit plaisant et satirique quoique il craignît tout; et cela lui avait attiré souvent de mauvaises affaires; il était entreprenant avec les femmes, et cela l’avait toujours fait réussir. Il avait été bien avec Madame de Montbazon, bien avec madame de Mouy, et bien avec la princesse de Wurtemberg ; et cette dernière galanterie l’avait tellement brouillé avec le feu Chatillon, que sans la protection de Monsieur le Prince (Condé), il eût souffert quelque violences… »
Il est l’ami de Turenne, ainsi que du moraliste François de La Rochefoucauld avec lequel il collabore. Il entretient également une relation d’amitié avec de Madame de Sévigné avec laquelle il a, dit-on, un lien de parenté. Le 17 septembre 1675, cette dernière écrit à Madame de Grignan : « …je vins à Saumur où nous vîmes Vineuil; nous repleurâmes Monsieur de Turenne: il en a été vivement touché… Vineuil est bien vieilli; bien toussant, bien crachant et dévot, mais toujours de l’esprit; il vous fait mille et mille compliments… ». (2) Depuis un an, Vineuil était exilé à Saumur pour avoir parlé du roi avec trop de liberté.
De retour à Paris, il y décède rue des Lions, le 30 septembre 1681.
Pendant « les années Ardier » guerres et épidémies ont entraîné des dépenses notables. L’entretien de la garnison de Villemur, les frais incombant à l’épidémie de peste, ont grevé le budget des communes. Ajoutez à cela une présence militaire est constante dans notre région ; en pleine période de la Fronde, alors que la Guyenne voisine s’est ralliée à la cause de Condé, les régiments se succèdent à Villemur prennent leurs quartiers dans la ville et ruinent les finances. En 1650, les consuls font appel au futur vicomte Bernard de Fieubet et négocient avec lui le remboursement d’un prêt étalé sur quatre ans pris sur les recettes du four banier et des boucheries de la ville.
(1).Roger de Bussy-Rabutin Histoire amoureuse des Gaules Tome I PARIS 1829, pp 139-140 (1618-1693) philosophe et écrivain pamphlétaire satirique et libertin membre de l’Académie Française.
(2).Lettres de Madame de Sévigné , Furne et Cie Editeurs, PARIS 1855, p.284
3. Bernard de FIEUBET-CAUMONT (1658-1666)
Quinze ans plus tard, après ce que l’on pourrait appeler un arrangement de famille, la vicomté de Villemur va changer de main. Par acte du 20 août 1658 devant Mes Gaultier et Pallu notaires au Châtelet de Paris, Louis Ardier de Vineuil cède la vicomté à Bernard de Fieubet-Caumont, intendant des finances, secrétaire des commandements de la Reine, trésorier de France en la généralité de Montauban. Les deux familles étaient alliées, la sœur de Louis Ardier ayant épousé l’oncle de Bernard de Fieubet.
Ce dernier va associer dans l’affaire son propre frère aîné Gaspard, premier président du Parlement de Toulouse, dont Louis XIV dira en apprenant sa mort en 1686 : « que c’était un des plus grands juges de son royaume, un des plus attachés à son service ». L’acte est passé le 31 décembre 1659 devant Me Pierre Custos, notaire de Villemur, Gaspard de Fieubet apportant 60.000 livres tournois, moitié du prix payé par son frère.
La famille Fieubet-Caumont, qui puise ses racines aux confins du Lauragais, bien en cour, immensément riche, ne fera qu’un bref passage à Villemur, huit ans exactement, puisque Louis XIV reprend son engagement en 1666. Villemur est de nouveau rattaché au domaine royal.
4. Domaine royal (1666-1719)
En 1666, Louis XIV replace donc la vicomté dans le domaine royal. Parmi ses ministres, Colbert va entreprendre une vaste réforme des forêts royales. Celles-ci sont mises à mal entre autres par le défrichage, la surexploitation, la contrebande, à une époque où le bois est non seulement le premier matériau de construction mais également la première source d’énergie. Colbert n’oublie pas non plus le rôle du bois dans la construction navale, puisqu’il a la charge de la Marine Royale.
Lors de la réorganisation de la Maîtrise de Eaux et Forêts qui fut l’objet d’un édit en août 1669, consacré par lettres patentes de mars 1671, Villemur devint ainsi le siège de la Maîtrise de Toulouse, ce qui amplifiera le lustre de la ville.(1)
En dépendent entre autres, les forêts de Verdun, Montech, Saint-Porquier, La Grésigne, Giroussens, Buzet et Villemur.
C’est Pierre de Busquet, conseiller du Roi, qui en assume le premier la charge. Notre ville conserva ce tribunal pendant plus d’un siècle, un arrêt du conseil d’Etat du 4 juillet 1776 rétablira le siège de la Maîtrise à Toulouse.
L’année 1673 voit la reconstruction de l’église Saint-Michel. Vu l’état de délabrement de l’édifice, le Parlement de Toulouse avait condamné l’évêque et le chapitre à faire des réparations. Ces dernières sont entreprises en grande partie aux frais du chapitre Saint-Etienne de Toulouse et de l’évêque de Montauban. Nombre d’habitants apportent leur aide à la reconstruction de l’église.
La population de Villemur qui avait fourni un contingent considérable à la religion réformée, parait avoir été accessible à de rapides conversions à la religion catholique. Après la révocation de l’Edit de Nantes le 18 octobre 1685, cinquante-neuf chefs de famille, hommes ou veuves abjurèrent la religion protestante.
Ces années dans le giron royal seront marquées par une situation politique confuse, la création des offices de maire, plus tard de maires alternatifs en remplacement des syndics choisis par les assemblées d’habitants, la vente de ces nouveaux offices contribuant à renflouer les caisses de l’Etat. Dans ce contexte il est difficile de se plier aux nouvelles prérogatives de l’Etat, on regrette les anciennes coutumes où on élisait des gens du cru, connus et reconnus de tous. Les anciennes assemblées générales ont vécu, le droit électoral et la conduite des affaires communales passent aux mains d’une poignée d’hommes composant le conseil politique, cette situation perdurera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
La fin du règne de Louis XIV sera aussi marquée par des intempéries exécrables qui déboucheront sur des pénuries de céréales et des famines. La grêle, les crues, sans parler du terrible hiver 1709 laissent la région en proie à la disette. Le froid, la malnutrition, engendrent des problèmes de santé dans la population.
Louis XIV arrive au terme de son règne. Il meurt à Versailles le 1er septembre 1715. Louis XV succède à son arrière grand-père à l’âge de cinq ans, la régence est assurée par son cousin Philippe d’Orléans, le fils de Monsieur, frère du roi.
C’est à ce même Duc d’Orléans que la communauté de Villemur adresse une supplique pour obtenir le secours nécessaire après le terrible orage de grêle qui a dévasté la contrée le dernier jour de mai 1718. La récolte de grains et fruits est perdue, « la plupart de ceux qui sont dans le malheur ne pourront payer les tailles ni ensemencer l’année présente ».
(1) Siège des Eaux et forêts. La juridiction des Eaux et Forêts est instituée dans le royaume au début du XIVe afin de contrôler, surveiller et juger toutes les activités liées à l’exploitation des bois, à la chasse et à la pêche. L’organisation des Eaux et Forêts sera définitivement mise en place par l’ordonnance ou Code forestier de Colbert en août 1669.
Le retour des vicomtes
5. Charles Louis Auguste de FOUQUET Comte de Belle-Isle (1719-1730)
Petit-fils du surintendant Fouquet, et donc de naissance roturière, il est né le 22 septembre 1684 à Villefranche de Rouergue, fils de Louis Fouquet et de Catherine de Lévis, apparenté par sa mère à la plus haute aristocratie française. Par son mariage avec sa deuxième femme, Casimire de Béthune, il devient cousin issu de germains de l’électeur de Bavière et proche parent d’une multitude de princes allemands. Un véritable métis social donc, ce qui explique sans doute une formidable ambition et la variété des moyens employés pour la satisfaire. Avec son frère, le chevalier de Belle-Isle, tout dévoué à l’aîné de la maison, il entreprend une longue ascension. Colonel en 1708, il se distingue dans la défense de Lille et obtient d’être « mestre » de camp et général des dragons. Sous la Régence, il cède au roi la terre de Belle-Isle, qui ne rapporte rien, contre le comté de Gisors (1718) et d’autres domaines dont Villemur (1719) valant 80 000 livres de revenu annuel.
Lieutenant général en 1731, gouverneur des Trois-Évêchés en 1733, chevalier du Saint-Esprit en 1734, c’est un bon officier, un administrateur zélé qui transforme la ville et les fortifications de Metz, un grand seigneur de la Cour.
En 1740, chef du parti de la guerre contre l’Autriche, il est nommé maréchal de France pour être envoyé en Allemagne comme ambassadeur et commandant des troupes françaises.
Il pousse Louis XV à intervenir dans la guerre de la Succession d’Autriche. Durant cette guerre, il noue la coalition européenne contre Marie-Thérèse (1741) et s’empare de Prague (novembre 1741) avec Charles Albert de Bavière, assurant ainsi à ce dernier la couronne impériale. Duc de Gisors, grand d’Espagne et chevalier de la Toison d’or, prince du Saint-Empire, académicien français en 1749, ministre de la Guerre en 1757, il a réussi sa vie ; mais la guerre qu’il a voulue n’a rien apporté à la France. Plus tard, la mort au combat en 1758, de son fils, le comte de Gisors, éteint son duché et le nom des Fouquet.
Le duc de Belle-Isle meurt à Versailles, 26 janvier 1761.
Fouquet et Villemur.
En 1718, pour des raisons stratégiques et économiques Louis XV veut échanger la seigneurie de Beaucaire contre la place forte de Belle-Île, propriété de Fouquet. Cette décision déplaît fortement à la population locale et à ses édiles, craignant pour ses privilèges, son commerce, et ayant été toujours fidèle au roi. Celui-ci revient sur sa décision, Beaucaire reste dans le giron royal. En compensation, Fouquet hérite d’une multitude de domaines dont les terres de Villemur. Le contrat fut passé le 27 mai 1719 devant Me Baudu et Meunier, notaires à Paris, et enregistré au Parlement de Toulouse.
La prise de possession est faite solennellement le 3 janvier 1720 par le ministère de Jean de Monselbe, conseiller du roi et son procureur en la Judicature de Villelongue, au siège de Buzet.
C’est son fondé de pouvoir, Mathieu Brémond, avocat au Parlement, qui représente le vicomte à cette cérémonie en l’église Saint-Michel. Le cortège se rend ensuite à l’ancien château, les clés de la ville lui sont remises par les consuls de la ville devant la porte Saint-Jean. Le duc de Belle-Isle confie l’administration de la justice à Mathieu Brémond assisté de Jean Cailhassou, avocat, comme lieutenant.
On doit à Fouquet de Belle-Isle la recomposition de la vicomté de Villemur, quelque peu morcelée. En très bon termes avec le marquis de Tauriac, il cède à ce dernier Montvalen et Le Born, (1720) puis Montgaillard et Vilette (1728) Par contre il rattache à la vicomté les paroisses de St- Nauphary, Corbarieu, Charros, Reyniès et Moulis, qui, curieusement dépendaient de la judicature de Puylaurens dans le Tarn. (Ces dernières terres faisaient partie de la cession / échange de la place forte de Belle-Île)
Mais dès la prise de possession de la vicomté, des vices de forme vont apparaître dans le contrat d’échange. Une estimation partielle des domaines en août 1726 remet Fouquet en possession de ses terres, notamment la vicomté de Villemur, et Mathieu Brémond est rétabli dans ses fonctions de juge avec l’avocat Pierre Pruet pour lieutenant.
L’échange est enfin ratifié par lettres royales en mars 1731, mais peut-être lassé de tant de procédures, le comte de Belle-Isle cède la vicomté de Villemur.
6. Joseph BONNIER de la MOSSON (1730-1744)
Le nouveau vicomte est Joseph Bonnier de la Mosson qui acquiert la vicomté de Villemur pour 275.000 livres par acte du 23 avril 1731 devant Me Caron notaire au Châtelet de Paris. Etant retenu lui-même dans la capitale, le nouveau vicomte donne procuration à son mandataire Jean Delpuech, habitant de la ville de Montpellier, pour prendre possession de la vicomté.
La cérémonie se déroule à Villemur le 11 juin 1730 selon le cérémonial habituel en usage lors de l’intronisation des vicomtes.
Né le 6 septembre 1702 à Montpellier, il est le fils de Joseph Bonnier, trésorier de la bourse des Etats du Languedoc, financier de métier, formé aux affaires du roi et riche d’une longue expérience. À la mort de son père, Joseph Bonnier a vingt-quatre ans. Il devient en 1726, baron de la Mosson et Trésorier de la Bourse des États de Languedoc.
Du jour au lendemain, il se trouve à la tête d’une immense fortune et titulaire d’une charge de Trésorier de la Bourse qui « à elle seule était une véritable mine à trésors ». Grâce aux deniers paternels, il devient « Maître de camp, Colonel du régiment des Dragons-Dauphin » l’un des plus beaux régiments de France et Maréchal des logis de la maison du roi. A l’armée, Il préfère les dépenses, le faste et les plaisirs sensuels. Il vit le plus souvent à Paris (1) rarement en Languedoc.
En 1729, il achève les travaux notamment toute la décoration du château de la Mosson, héritage familial. (2) Il fréquente les artistes, peintres, musiciens, chanteurs, avec lesquels il agit souvent en mécène, ou protecteur ; il est intime avec les comédiens, sa liaison avec une cantatrice de l’Opéra, mademoiselle Petipas, fera scandale.
Dans les années 1730, Bonnier de La Mosson met en place un cabinet de curiosités qui occupe plusieurs pièces de son hôtel particulier parisien, l’Hôtel de Lude ; il est exemplaire par sa taille et son contenu, c’est l’un des plus riches cabinets du XVIIIe siècle. Il est dispersé après sa mort, en 1744. Les boiseries d’une partie du cabinet sont remontées depuis 1996 dans la médiathèque du muséum national d’histoire naturelle où elles sont accessibles au public. (3)
En 1740 il épouse, en Normandie, Constance Gabrielle Magdeleine de Monceil de Louraille, une demoiselle pauvre et honorable, fille d’un Président du parlement de Rouen. Le mariage est célébré en grande pompe à Vaudreuil chez Jean-Louis Portail, président du Parlement de Paris. L’année suivante les époux sont au château de la Mosson où la baronne met au monde une fille Renée, le 1er octobre 1741. Elle sera le seul enfant du couple.
Joseph Bonnier de la Mosson décède prématurément en 1744 laissant derrière lui des dettes colossales . Sa succession, difficile, va se compliquer avec le décès de sa fille unique en 1753. Son épouse devient son unique héritière.
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(1) Dans l’hôtel de Lude, son hôtel particulier, au 58 rue Saint-Dominique (actuel 7e arrondissement de Paris). Aujourd’hui disparu, démoli en 1861.
(2) Vendu par Constance de Mourailles après la mort de son mari, puis démantelé par son acquéreur. En 1982, il est acheté par la ville de Montpellier et classé au titre des Monuments Historiques en 2003. Des campagnes de restauration ont tenté de sauvegarder ce qu’il reste de la grandeur passée du domaine.
(3) Les cabinets de curiosités désignent au XVIIe et XVIIIe siècles des lieux dans lesquels on collectionne et présente une multitude d’objets rares ou étranges représentant les trois règnes: le monde animal, végétal et minéral, en plus de réalisations humaines. Voir l’article suivant
7. Gabrielle Madeleine Constance du Moncel de Lourailles (1744-1764)
Joseph Bonnier de la Mosson décède prématurément en 1744. Dans son testament, il « donne et lègue à la dame de la Mosson son épouse, la jouissance sa vie durant, des terres et seigneuries de Villemur, la Mo[i]sson et Fabrègues situées dans le pays de droit écrit à la charge par ladite dame d’entretenir très proprement celle de la Mo[i]sson ». Son épouse Constance devient son unique héritière après le décès de leur fille unique en 1753, et par là-même vicomtesse de Villemur.
Constance se remarie en 1745 avec Louis Gabriel de Batz d’Artagnan, lieutenant des armées de Sa Majesté, dont l’aïeul n’est autre que le célèbre mousquetaire gersois. De leur union va naître un seul enfant Louis-Constantin, né en 1747 à Paris où le couple vit dans un hôtel particulier, rue du Cherche-Midy. Le 12 mai 1756, Constance du Moncel de Lourailles « Haute et puissante Dame, vicomtesse de Villemur, Dame de Fabrègues et de Mirandolle et autres lieux » et son époux Louis Gabriel de Batz, donnent pleins pouvoirs à leur procureur Antoine Mathieu l’autorisant à recevoir en leur nom les fermages et revenus de la terre et vicomté de Villemur.
Constance du Moncel de Lourailles décède le 9 juin 1764, faisant de fait son fils Louis Constantin qui n’a que 17 ans, le nouveau vicomte de Villemur.
Ci-contre : son portrait par Jean-Marc Nattier “en Diane”.
8. Louis Constantin de Batz de Castelmore. (1764-1775)
Louis-Constantin, comme son arrière grand-père, l’illustre d’Artagnan, va embrasser très vite le métier des armes, à 16 ans, il est déjà mousquetaire du Roi,puis l’année suivante, en garnison à Strasbourg, il gravit les échelons, promu colonel du régiment d’infanterie de Royal-des-Vaisseaux . Pendant ce temps à Villemur…la délibération du 1er septembre 1765 annonce l’arrivée prochaine du nouveau vicomte, Louis-Constantin de Batz en ces termes : « Messieurs les marquis et comte de Castelmore, ce dernier vicomte de Villemur doivent venir en cette ville et y faire leur entrée… » Cinq personnalités de la ville sont désignées pour lui rendre les hommages de la communauté, le maire, Antoine Mathieu, Gaspard Bremond premier consul, Jean Vaissié second consul, noble Jacques de Vacquié, et maître Pierre Viguier juge de la ville et de la vicomté. La somme de 139 livres a été prévue pour les frais de la réception. Autant dire que l’arrivée du nouveau vicomte est remise aux calendes grecques !
L’année suivante survient la terrible inondation de 1766, qui occasionne des dégâts considérables, suivie peu après en 1772 par une crue tout aussi catastrophique.
C’est dans une ville meurtrie, encore en chantier, qui porte encore les stigmates des précédentes crues, que le 6 novembre 1774 le comte de Castelmore fait son entrée solennelle à Villemur pour prendre possession de la vicomté, dont il déléguera l’administration à Etienne Mathieu. Jour d’allégresse où résonnent fifres et tambours et claquent les salves de mousqueterie en l’honneur du jeune vicomte de 27 ans. À la tombée de la nuit des feux de joie sont allumés devant l’hôtel de ville et la maison seigneuriale, sur le plateau du château, tandis que chaque habitant de la ville et des faubourgs est invité à mettre des flambeaux aux fenêtres pour éclairer les rues « et qu’on crie Vive le Roy et Monseigneur le comte de Castelmore. »
Passage éphémère du vicomte, puisque cinq mois plus tard, la vicomté change de mains. Plus tard marié à Jeanne Molé en 1793, il meurt le 14 décembre 1827 au château de Scey-sur-Saône, chez le prince de Bauffremont qui l’hébergeait depuis quelques années.
Entrée solennelle de Louis Constantin de Batz à Villemur en 1774
Délibérations consulaires, 1D9 du 23 juin 1767 au 23 juin 1778, archives communales de Villemur-sur-Tarn
9. Guy Ménoire de Beaujau, le dernier vicomte (1775-1790)
C’est le 11 février 1775 que Guy Ménoire de Beaujau acquiert de Louis Constantin de Batz, marquis de Castelmore, la vicomté de Villemur pour la somme de 712 000 livres. La production de blé, l’attraction du marché de Toulouse, la présence des moulins sur le Tarn sont les gages de gains substantiels.
Dès les jours suivants il donne tous les pouvoirs à Etienne Mathieu pour gouverner et administrer les affaires de la vicomté, fonction qu’il avait déjà occupée précédemment.
Guy de Ménoire de Beaujau et son épouse font leur entrée solennelle à Villemur trois ans plus tard, le 14 juin 1778, le cérémonial en a été réglé par la délibération du conseil du 24 mai précédent. Le 19 juillet, les notables et syndics de la ville et des paroisses du consulat, se rassemblent dans une salle du couvent des Capucins, la Maison commune étant en piteux état, et reconnaissent les droits appartenant au vicomte.
Si Guy de Ménoire passe l’essentiel de son temps dans son hôtel particulier rue du Cancéra, proche de la place du Parlement, dans le vieux Bordeaux, il n’en séjourne pas moins de temps à autre à Villemur.C’est même le vicomte le plus assidu au niveau des séjours dans notre ville.
Sa fortune est déjà colossale, mais Villemur l’intéresse et lui rapporte, ses revenus sont des plus élevés tant au niveau des forges que des fours banaux. Un document très intéressant détaille les biens du vicomte : dans les Affiches et annonces de Toulouse du 23 juillet 1783, Guy de Ménoire propose à affermer, à louer en quelque sorte, « La terre et vicomté de Villemur, sise près la rivière du Tarn, à la distance de quatre lieues de Toulouse, composée de neuf Consulats et vingt-deux paroisses, dont les principaux objets consistent savoir … » suit l’énumération de tous les biens de la vicomté qui rapportent bénéfice. (voir le détail dans l’illustration ci-dessus) Aucune suite ne sera donnée à cette annonce. (1)
En 1778, Guy de Ménoire décide la construction dans l’église Saint-Michel, d’une tribune pour lui-même et sa famille, marquant par la-même son rang et son statut lors des offices. Ces aménagements seront effectués avec l’aval de la communauté à qui appartient l’église. Le 18 juin 1778, quelques jours après son investiture, le vicomte assiste à la grand-messe dans sa tribune, et, reconnaissant, « grand-seigneur » pourrait-on dire met 120 livres (5 louis d’or de 24 livres pièce)dans la corbeille du Très Saint Sacrement.
Il est temps maintenant de parler de Guy Ménoire. Qui était-il ?
Guy Ménoire, né à Bordeaux le 9 décembre 1730, est le fils de l’un des plus grands négociants de cette ville, Jean Ménoire et de Catherine Cholet.
Son père, d’origine agenaise, nouveau venu à Bordeaux, mais homme plein d’ambition, était un petit boutiquier du quartier de La Rousselle. Enrichi dans le commerce sucrier, il fut élu juge de la Bourse en 1744, puis jurat en 1745.
Guy Ménoire dirige lui-même pendant quelques années (1762-1768) l’importante maison de commerce fondée par son père. Il épouse, par contrat du 20 novembre 1766, Marguerite de Beaujau, née à Casseneuil en Agenais, qui lui apporte 130 000 livres de dot qui vient s’ajouter à sa fortune personnelle.
À cette époque, Guy Ménoire ajoute à son nom celui de sa cousine Jeanne-Angélique Beaujau, qui l’avait institué comme son héritier universel par testament du 31 mars 1767: il se fait appeler désormais Ménoire de Beaujau.
En 1768, il abandonne le commerce, acquiert une charge de conseiller secrétaire du roi près le Parlement de Bordeaux et, en 1769, se fait pourvoir de l’office de président en la Cour des Aides de Guyenne, charge qu’il exerce jusqu’à la suppression de cette cour en 1791. Personnalité marquante de cette Cour, a joué un rôle actif dans la vie politique bordelaise malgré l’opposition conjuguée du marquis de Tourny l’Intendant de Guyenne et du Parlement de Bordeaux.
Il investit à Saint-Domingue où il possède deux habitations sucrières gérées sur place par ses ses deux frères Casimir et Alexis. Les frères Ménoire ne limitent pas leur activité au commerce des denrées coloniales de leurs propriétés mais l’étendent aux produits des plantations de leurs voisins. Ils acheminent le café et le sucre vers Bordeaux où ils sont vendus aux plus grands noms du négoce.
Diversifiant ses avoirs et s’essayant à la viticulture, il achète le château de Barbe à Villeneuve (Gironde) le 19 juillet 1774 : 142 000 livres et 3 000 livres de pot de vin. Exempt de la taille pour ce domaine, il fait modifier le château par l’architecte Victor Louis. (2)
Le régime féodal étant aboli en 1790 Guy Ménoire redevient simple citoyen, n’entraînant aucune hostilité contre lui. Contrairement à d’autres villages voisins, Buzet-sur-Tarn ou Villeneuve-les-Bouloc, il n’y aura pas sang versé à Villemur pendant toute la période de la Révolution.
Il défend la monarchie avec loyauté et fait plusieurs dons civiques d’une valeur totale de 332 000 livres, alors que sa fortune personnelle est estimée à deux millions de livres ! Devant le Tribunal révolutionnaire de Bordeaux, Ménoire de Beaujau se disculpe aisément en affirmant qu’il avait choisi cette sorte de magistrature parce qu’elle était tout à fait populaire et qu’elle servait de sauvegarde aux citoyens contre les agents des financiers.
On ne trouve alors plus de traces de sa venue à Villemur.
En 1791, il est élu maire de Bordeaux mais décline la charge au profit de François-Armand Saige qui sera guillotiné sous la Terreur en 1793.
Si avant la Révolution il compte parme les plus riches parlementaires bordelais, la révolte des noirs et l’indépendance de la colonie de Saint-Domingue vont peu à peu le ruiner. Il meurt le 15 janvier 1812 à Bordeaux, en laissant de nombreuses dettes et une succession difficile. Sa femme Marguerite va continuer à exploiter les moulins de Villemur, et fera de fréquents séjours dans notre ville. Elle assiste en particulier à la Fête de la Fédération donnée sur la Promenade Notre-Dame le 14 juillet 1790, et est remerciée par le Maire, Monsieur de Vacquié, pour « Les vins étrangers qu’elle avait envoyé avec profusion au repas patriotique » qui suivit la fête.
Après le décès de Marguerite de Beaujau le 24 octobre 1823, l’exploitation des moulins de Villemur reviendra à son héritière, sa petite fille, Delphine Catherine de Brivazac, et ce jusqu’en octobre 1824 où elle cède ses biens au consortium Roques/de Tauriac /Chaptive. (Catherine est en fait la seule héritière, sa sœur Jeanne Honorine ayant renoncé à la succession).
(1) Avec l’aide de Christian Teysseyre, Nouvelle Histoire de Villemur , Tome 1, Au siècle des Lumières 1715-1789
(2) Le Château de Barbe a été la propriété du marquis de Barbe jusqu’en 1774 mais le vignoble existe depuis le XIVe siècle.
C’est en 1680 que le marquis de Barbe, a fait construire la chapelle de Barbe en bordure de gironde, d’où l’on pouvait charger les vins en barriques sur les navires à destination des Amériques et des pays du Nord.
Reconstruit au XVIIIe siècle par de nouveaux acquéreurs après la Révolution, le château sera transmis de génération en génération jusqu’à Isabelle de Brivazac (Fille de Léon, baron de Brivazac et d’Alice de Lur-Saluces).
Isabelle épousera le comte Savary de Beauregard dont les descendants restent les propriétaires jusqu’en 1993.
JCF/AVH, 2013-2018.
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