La place Charles Ourgaut
1. Le projet de destruction du « moulon » de la place.
Le projet d’une place centrale, est resté un vœu pieux pendant des lustres. Il existait bien deux foirails dans les faubourgs Notre-Dame et Saint-Jean, mais pas de véritable place de marché.
Il existait à cet effet la vétuste halle couverte contiguë à la mairie, mais le seul endroit en plein air dédié à cet effet pour les marchands étalagistes soit forains ou de la ville, se trouvait réduit à un espace exigu entre la mairie et les couverts des maisons qui lui font face….espace traversé par la route départementale n°14 ! L’idéal bien sûr serait de supprimer le pâté de maisons faisant face à la mairie, appelé « le moulon de la place », (1) ensemble de maisons très vétustes, parmi lesquelles se trouvent les prisons de la ville.
Finalement c’est la municipalité de Victor Gay en 1842 qui va réellement lancer ce vaste chantier. Pour étudier ce projet, une commission est nommée composée de 5 membres à savoir Mrs Roques, de Vacquié, Brusson, Castella, et Doumeng.
Le 8 mai 1842, Emmanuel de Vacquié qui est le rapporteur de la commission devant le conseil municipal, prend la parole : « La commission chargée d’étudier le projet qui vous a été soumis par M. Brusson (2) , d’enlever le moulon faisant face à votre Hôtel de Ville pour y former vraiment une place digne de ce nom et en rapport avec l’importance de Villemur, m’a fait l’honneur de me choisir pour son organe.
Ce projet sur lequel notre commission en a délibéré, a pour lui le mérite d’avoir été conçu à une époque déjà reculée, avant la Révolution de 1789.
En effet Mr le Vicomte (de Ménoire) voulait faire établir un pont sur la rivière du Tarn sur le point précisément où nous siégeons aujourd’hui et il voulait qu’il débordât dans une place formée par l’enlèvement de ce même moulon, qu’il encore question, depuis tant d’années de faire disparaître.
Monsieur l’ingénieur en chef du Département a également dessiné cette place comme devant exister dans son projet pour la traversée dans Villemur de Villemur de la route départementale n°14 Toulouse-Salvagnac… »
Le maire Victor Gay explique « que la place est, dans les grandes comme les petites villes et les moindres villages, une chose essentielle et indispensable.
Si dans les grandes villes on les multiplie et les embellit « pour les montrer aux étrangers », moins somptueuses, dans les petites villes, elles sont destinées à faciliter la circulation de l’air, à servir de promenade intérieure pour les habitants, et surtout, c’est là leur grand but d’utilité, à tenir les foires et les marchés… Il est incontestable qu’à Villemur mous n’avons qu’un simulacre de place qui même dit cesser de l’être par sa destination de route départementale. »
Le projet est approuvé à l’unanimité, le conseil demandant à Mr le Maire d’entamer les démarches nécessaires pour obtenir des instances supérieures l’approbation de ce projet.
2. Les travaux
Si l’emplacement semble idéal, le problème du financement va vite se poser car il faut acquérir 13 maisons pour un coût approximatif de 40.000 francs. On fait les calculs, subventions, vente des matériaux de démolition…Le chemin va être long !
Fin 1843, on lance un emprunt, en 1846 on autorise la démolition de la prison, propriété de la commune, qui est effective deux ans plus tard. Enfin le 2 octobre 1846 le maire Victor Gay donne lecture de l’Ordonnance Royale qui autorise la commune de Villemur d’établir une place de marché, donnant droit à un nouvel emprunt. Dès lors les démolitions vont pouvoir se poursuivre, à commencer par la maison de la veuve Dijeaux. Suivront les maisons Lala, Duran, Esquié, Lauriol, Gaillac, puis enfin celles de la veuve Gibert et Constans.
Finalement, la ténacité des maires successifs, Victor Gay, Antoine Brusson et Adolphe Campardon aura fini par payer : dix-neuf ans après que le projet ait été lancé, en février 1861 toutes les maisons de la place sont démolies. L’emplacement est désormais libre, il conviendrait dit-on d’y planter des arbres « et d’y faire les travaux nécessaires à son appropriation. » Chose dite, chose faite : des acacias seront en effet plantés sur la place.
Bientôt c’est au tour de la halle aux blés, en 1875, de subir des travaux d’importance. Ce bâtiment vétuste qui jouxte la mairie n’est plus adapté aux besoins commerciaux, d’autant que le péage du pont va être supprimé, amenant ainsi au centre ville un regain d’activité des échanges de denrées agricoles. Tout ce qui est propre à contribuer à la prospérité du pays n’est pas à négliger, d’autant que la ville vient de se doter d’un poids public et que les deux foirails dans les faubourgs sont propices à accueillir des animaux.
Un autre projet un peu fou va bientôt naître. Lors de la séance du conseil municipal du 26 juin 1887, une proposition de Jean-Marie Elie Brusson soutenue par son collègue Guillaume Pendaries (et d’autres membres du conseil) consiste « à acheter tout le moulon depuis l’église jusqu’à la place, pour y construire un nouvel Hôtel de Ville, écoles et autres maisons publiques ou privées… »
L’accès de l’église Saint-Michel nouvellement construite aurait pu se faire ainsi par la rue Pasteur, mais cette entrée n’a jamais été utilisée, car le projet de destruction demeurera sans suites. Pourtant ce ne sera pas faute d’essayer… Pendant des années, jusqu’à la construction du groupe scolaire sur les allées Notre-Dame en 1911, le projet d’édifier écoles et mairie sur la place centrale reviendra sans cesse dans les délibérations du Conseil Municipal. C’était probablement un des rêves du maire de l’époque Jean-Marie Elie Brusson.
3. La place s’anime
La fin du XIXe siècle marque un tournant dans la vie de Villemur. La fin de l’octroi sur le pont, l’arrivée du chemin de fer, le succès grandissant de la Manufacture Brusson Jeune, vont amener un regain d’activité, d’échanges, de commerce dans la ville. La place le l’hôtel de ville désormais libérée du « moulon » va profiter de cette situation.
Deux hôtels vont occuper les deux plus belles demeures de la place. Jean Duvernet va occuper l’ancienne demeure des de Vacquié (aujourd’hui groupe médical) et Jean Chaubard puis son successeur Jean Lormières l’immeuble (ex-Cazaux) face à la mairie. Ces deux hôtel-restaurant vont accueillir pendant des décennies mariages et réceptions des diverses sociétés des mondes musicaux et sportifs de la ville.
Deux cafés également ajoutent au côté festif de la place : le café d’Emilie Lala « café de la Place » contre l’hôtel Lormières, et surtout collé contre la Mairie, plus huppé que le précédent, le grand café Léonard également dancing et salle de projection des premières séances du nouveau cinématographe.
Quelques notables choisiront les maisons bordant la place pour élire domicile : Pierre Duran le vétérinaire et l’ancien maire Adolphe Campardon. Mais ce sont aussi les commerçants qui vont tirer profit de l’emplacement « stratégique » de la place. De part et d’autre de l’Hôtel Duvernet, le coiffeur Jean Vincent dit « Tambinn », et la boutique de Marie Malpel « La Prussette » débit de tabac et babioles en tout genre. On trouvait aussi contre le café Léonard, Léon Pendaries l’horloger puis son homonyme Antoine, coiffeur, enfin deux grandes épiceries se faisant face, celle de « Basilou » Galan (angle de la place et rue Saint-Jean), et Sylvain Souriac (actuelle médiathèque).
Pour élargir cette liste, nous consacrerons dans d’autres chapitres dédiés aux commerçants de la ville.
Les premières photographies de la place datent du début du siècle. Elle a belle allure, bordée sur les côtés par des platanes qui en 1893 ont remplacé les acacias. La part belle est faite sur les photos à l’Hôtel de Ville, au grand café Léonard et aux hôtels.
4. Malheurs et reconstruction
Quel contraste devant les photos de désolation de la même place après les inondations de 1930. Maisons effondrées, mairie ravagée par les eaux, place jonchée de décombres, tel est le spectacle au matin du 4 mars. Le 8 mars le président de la République Gaston Doumergue accompagné du Présidant du Conseil André Tardieu et du Préfet Guillon arrivent à Villemur. Ils cheminent du bas de la côte du Born à la place de la Mairie et sont atterrés par l’ampleur des ruines.
La photo ci-contre est émouvante : les personnalités venant de la rue Saint-Michel passent devant la boutique du tailleur Brassier, Charles Ourgaut en tête. Au passage du cortège, les hommes enlèvent casquette et béret, le président Doumergue, chapeau à la main parait ému.
Les jours suivants, la volonté tenace du maire Charles Ourgaut, le courage des habitants, l’aide des secours, et les militaires qui prêtent main forte pour déblayer les ruines, vont permettre à Villemur de redresser la tête de façon spectaculaire.
Tout est mis en œuvre pour une reconstruction rapide. L’Hôtel de Ville fait bien sûr partie de ce programme de reconstruction, la question s’était déjà posée en conseil municipal un an auparavant, vue la vétusté de l’édifice. La pose de la première pierre par le maire Charles Ourgaut se déroule le 27 mars 1935, une horloge est placée provisoirement au centre de la place. La maladie rattrape malheureusement le premier magistrat de la ville, qui décède le 12 février 1936. Quelques jours plus tard, le 23 dans la séance du Conseil Municipal, c’est Désiré Barbe, le 1er adjoint qui prononce l’éloge funèbre du maire défunt.
Il propose que « pour perpétuer la mémoire de son regretté maire et pour rappeler aux générations futures l’œuvre accomplie par ce grand administrateur, il y a lieu de donner son nom à la Place de l’Hôtel de Ville. » Proposition adoptée à l’unanimité, la place porte depuis cette date le nom de Charles Ourgaut. (3)
Dans ce grand chambardement de la reconstruction, les rues d’accès à la place seront élargies, et dans le coin de la place la vielle halle et la maison Souriac démolie pour laisser place à un bâtiment plus moderne et fonctionnel, inaugurée en 1937. Une nouvelle vie sera donnée à ce bâtiment, devenant la médiathèque Léon Eeckhoutte en décembre 2000.
5. La place Charles Ourgaut, cœur de la ville.
Ainsi la place Charles Ourgaut cœur de la ville est devenue, au fil du temps, le théâtre de tous les grands événements de la cité qu’ils soient politiques, sportifs ou festifs, tristes ou heureux.
Pêle-mêle nous pouvons citer en 1944 la prise d’otages par les allemands d’un groupe de jeunes gens et l’acte héroïque du maire Désiré Barbe qui les sauve d’un sort funeste ; 1958 c’est Léon Eeckhoutte qui du haut du balcon de la mairie annonce l’élection du Général de Gaulle, ce sont également ces moments de joie et de liesse populaire pour fêter les « vert et noir » de l’Union Sportive Villemurienne champions de France de rugby en 1959 et 1966.
En janvier 2015, c’est aussi la foule silencieuse et grave des villemuriens massés autour de Jean-Marc Dumoulin et de son Conseil pour dire non à la barbarie après les attentats de Paris.
Enfin devinez où se déroule le marché fermier du samedi, celui de Noël et son inamovible patinoire, les bals du 14 juillet et de la Saint-Michel ?
Sur « la Place » bien sûr !
Les hôtels ont disparu depuis longtemps, l’Hôtel des Postes a déménagé, fini le temps du café Dellac et de son cinéma, et du quincaillier Cazaux.
D’autres commerces ont depuis pris le relais. Il n’y a plus de fontaine pour se rafraîchir, plus de bancs pour se reposer sous les six platanes plus que centenaires. Cette place a toutefois gardé son charme, ses briques rouges d’antan et 150 ans après sa création elle n’a guère changé.
Et c’est toujours ici, depuis plusieurs siècles, que dans l’Hôtel de Ville s’écrit et se décide en grande partie l’Histoire de Villemur.
Notes :
(1) En urbanisme, ensemble de maisons voisines les unes des autres.Les limites du moulon sont données par les rues qui le séparent des autres moulons ou d’autres structures construites ou non. (Wikipédia)
(2) (NDA : Antoine Brusson est, rappelons-le, entrepreneur de travaux publics et oncle de Jean-Marie Elie Brusson)
(3) Délibérations du conseil municipal de Villemur, (1D 28, 24-11-1935 au 19-1-1948) Séance du 23/2/1936.
JCF/AVH/2017