Le père Joseph Auguste ARRIBAT
Joseph-Auguste ARRIBAT est né à Trédou (Aveyron) le 17 décembre 1879, deuxième de sept enfants, cinq garçons et deux filles, d’une modeste famille rurale. À la maison on ne parlait pas le français, mais, comme le rappelait avec fierté son neveu Joseph, « la langue d’Oc, qui n’est pas un patois mais bien une langue ». Auguste n’a appris le français qu’en rentrant à l’école.
Après avoir passé toute sa jeunesse au village dans le travail des champs et la piété, il intègre à l’âge de 18 ans, l’Oratoire Saint-Léon à Marseille. En 1898, il se prépare à la vie salésienne au patronage Montéty à Toulon, et effectue son service militaire au 96e R.I pendant deux années à Bron près de Lyon. À son retour, en 1903, la politique anticléricale d’alors, l’oblige à poursuivre son éducation religieuse en Italie où il reçoit la soutane des mains du bienheureux Michel Rua, successeur direct de Don Bosco.
Envoyé par ses supérieurs d’abord à Marseille, il arrive à l’orphelinat agricole de La Navarre près de la Crau dans le Var en 1908. Tout en s’occupant de ses élèves, l’abbé Arribat commence ses études de théologie, et le 21 décembre 1912, il est ordonné prêtre à Marseille, par Mgr Fabre évêque de la cité phocéenne. Il a alors trente-trois ans. Poursuivant son travail éducatif à La Navarre, il dessert aussi la paroisse voisine de Saint-Isidore à Sauvebonne sur la commune d’Hyères quand, en 1914, éclate la « Grande Guerre ».
Faisant partie de la classe 1899 il est rappelé en 1915, et affecté à la 14e section d’Infirmiers Militaires. Du mois d’avril 1915 à février 1919, l’infirmier Arribat allait vivre quatre dures années, difficiles, périlleuses. A l’issue du conflit, il sera décoré de la Croix de Guerre en reconnaissance de son courage et de son héroïsme.
C’est alors le retour à La Navarre après la guerre, de 1919 à 1927, puis le départ pour Nice où il est nommé catéchiste au Patronage Saint-Pierre de 1927 à 1931. Nommé directeur de La Navarre (1931-1934), il passe ensuite une année en Suisse à Morges, sur les bords du lac de Genève et voilà le père Arribat de retour en Aveyron en 1935, d’abord catéchiste, puis directeur pendant cinq années du collège du Sacré-Cœur de Millau.
Le Père Arribat et Villemur
En 1940, le père Arribat a 62 ans. Il est envoyé par ses supérieurs à Villemur-sur-Tarn pour prendre la direction d’une future école qui est en construction. Il y sera le premier directeur de l’école Saint-Pierre et le fondateur de l’œuvre salésienne.
L’origine de cette œuvre est liée à la famille Marchet, éprouvée par la mort de ses enfants, en particulier Paul, mort au champ d’honneur en août 1914 en Lorraine.
La famille Marchet, en léguant ainsi ses biens a voulu assurer sa continuité dans une œuvre de formation des jeunes. Cette donation consistait en une grande maison avec des dépendances, entourée d’un terrain sur lequel fut construite l’école confiée aux salésiens, et également une propriété appelée « Les Carles » située à trois kilomètres de Villemur.
En cette année 1940, les événements se précipitent. Peu avant l’arrivée du père Arribat, Joseph Maurette curé-doyen de Villemur décède fin juillet, remplacé par l’abbé Mittou ; la construction de l’école piétine, en cause la pénurie des matériaux en ces temps de guerre. En septembre 1941, l’école des Frères de la rue des Potiers est détruite dans un incendie, la rentrée s’effectue dans l’ancien domicile du Docteur Lafon près du théâtre, les cours sont assurés par le frère Prouet et Madame Davy.
Enfin le 1er octobre 1942, le carrefour Saint-Pierre s’anime, et petits et grands franchissent le portail d’entrée de l’Institution.
Si le premier soir 9 internes occupent le dortoir, ils sont bientôt 50 et le père Arribat doit refuser sans cesse des admissions.
Cette même année, à la tête du diocèse de Toulouse dont dépend Villemur, Mgr Jules Saliège s’insurge dans une lettre pastorale du traitement que réserve l’occupant aux juifs : « Les juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. » Très tôt, en adéquation avec son évêque, le père Arribat profite de son établissement pour dissimuler des enfants juifs, et dans la ferme de « Carles » leurs familles.
Mais il faut redoubler de ruse et de vigilance car dès la fin 1942, les allemands déferlent dans la zone sud et occupent la région.
La situation va s’aggraver en avril 1944, avec l’arrivée dans la région de la division SS « Das Reich ». Un détachement de cette unité veut réquisitionner l’école, le père Arribat se bat pour que les cours puissent continuer, acceptant d’abandonner les meilleures parties du bâtiment et se contentant des communs. Le père Arribat, très calme, très courtois, vis-à-vis des occupants trompe l’ennemi, lui donnant une leçon de dignité, de sérénité qui désarme ses interlocuteurs allemands. Ce n’est que grâce à sa sagacité et à son dévouement que l’école continue de fonctionner.
L’irréparable va pourtant arriver le 28 juin 1944 avec l’arrestation du jeune (16 ans) Paul Futter. C’est Maurice Lager, l’ancien instituteur qui raconte : « C’est dans la cour de récréation de l’école que Paul est venu me demander la permission d’aller au village voir ses parents. Autorisation que je lui ai refusé en lui expliquant les dangers encourus par la présence des SS dans la région…Il partit en cachette, c’est en arrivant chez lui qu’il a été arrêté par les allemands fouillant la maison (NDA : en face des Greniers du Roy) pour chercher son père dénoncé comme juif ».
Emmené par les allemands, le convoi part en direction de La Magdeleine sur Tarn où le corps torturé, martyrisé de Paul sera découvert quelques jours plus tard, formellement reconnu par le Docteur Paul-Louis Bernard.
Pendant toute cette période, le père Arribat a été le paratonnerre de Villemur. C’est ce qu’affirmait avec conviction Maurice Lager à qui il convient de redonner la parole : « Au cours de la vie que nous avons menée à Villemur pendant ces années d’occupation, il y a eu incontestablement cette grâce de pouvoir vivre cette époque si pénible sans que rien ne soit arrivé au moment où il y avait l’occupant, surtout après le drame de l’enfant. Nous pouvions être dénoncés, mais l’enfant martyrisé s’est refusé à parler. Je vois là une action providentielle dans le fait que les allemands n’aient pas poursuivi davantage leurs recherches, alors que dans les villages voisins, nous avons noté des massacres terribles au niveau de la population (NDA : 18 morts le 20 août 1944 à Villaudric) Personnellement j’en déduis une protection du Père Arribat. Je l’ai toujours appelé le paratonnerre de cette époque. »
En 1947, le mandat du directeur de l’école arrive à expiration.
Avec beaucoup de regrets et de tristesse, le Père Arribat quitte Villemur, et un établissement auquel il était très attaché.
Le devoir l’appelle dans les Alpes, à Thonon pays de Saint-François de Sales, où il restera six années comme responsable du Foyer Social.
Revenu à La Navarre en 1953, le Père Arribat y vécut jusqu`à sa mort le 19 mars 1963 après 58 ans de vie religieuse et 51 de sacerdoce. Le Cardinal Marty, originaire du Rouergue comme lui, écrivit à son sujet : « Tout, dans la vie du Père Arribat, se déroule dans la simplicité. […] Un visage serein, un sourire toujours accueillant, traduisant une sérénité intérieure qui entraînait irrésistiblement ceux qui le rencontraient. Sans rien laisser paraître, sans rien perdre de sa dignité, il cherchait les tâches les plus humbles et les accomplissait discrètement avec bonne humeur. […] Ainsi il témoignait de la tendresse de Dieu auprès des hommes. D’une manière exceptionnelle il réalisait l’équilibre entre l’humain et le chrétien »
Après l’élan donné par le Père Morand Wirth, le procès de canonisation du Père Arribat a été ouvert par Mgr Madec à la cathédrale de Toulon le 18 mars 1995 et de ce fait il reçoit le titre de “Serviteur de Dieu”. De 1995 à 1998 la Commission diocésaine a recueilli 121 témoignages – dont 15 de villemuriens – et Monsieur Marcel Renault, notaire actuaire, eut la lourde charge de consigner ceux-ci dans un ouvrage de 712 pages. Ce sont des Actes complets du procès de canonisation qui furent déposés le 7 décembre 2002 à la Congrégation pour les Causes des Saints à Rome. Ces faits motiveront des villemuriens à se constituer dans une association “Le trait d’union” regroupant “les élèves de l’école Saint-Pierre et amis du Père Arribat”, dont Pierre Sicard sera le premier président. Le mercredi 9 juillet 2014, après avoir reçu en audience privée le cardinal Angelo Amato, préfet de la Congrégation des causes des saints, le pape François a autorisé la publication d’un décret reconnaissant les vertus héroïques de ce prêtre de la Société salésienne de Saint Jean Bosco, étape importante en vue de sa béatification. Le père Auguste Arribat est désormais « vénérable » (1)
Enfin, le 22 janvier Yad Vashem, l’Institut commémoratif des héros et des martyrs de la Shoah, décernait au Père Joseph-Auguste Arribat le titre de Juste parmi les Nations. (2)
Quelques mois plus tard, Lucien Fayman, au nom de Yad Vashem, remettait le diplôme et la médaille commémorative à sa famille en la personne de Nathalie Arribat son arrière petite nièce. (3)
Cette cérémonie empreinte d’émotion se déroula le 25 juillet 1996 aux Greniers du Roy de Villemur, en présence des personnalités religieuses et politiques locales, des anciens élèves de l’école Saint-Pierre et bien sûr des membres de la famille du père Arribat. Le nom d’Auguste Arribat est désormais gravé sur une plaque apposée au Mur du Souvenir dans les jardins de Yad Vashem à Jérusalem.
(1) Se dit de quelqu’un dont la vie exemplaire justifie l’étude de la cause de béatification.
(2) Il est bon de rappeler qu’une autre habitante de Villemur-sur-Tarn, Madame Marcelle Fraysse (née Rivene) a reçu elle aussi le titre de Juste parmi les Nations en 1999, ainsi que l’abbé René de Naurois (Sayrac , Saint-Maurice) en 1988, et 3 habitants de Villematier : Madame Noémie Marty, Madame Louisa Ramondou (née Marty) et Monsieur Adrien Montet, tous trois reçus en 2001.
(3) Depuis 1963, l’Etat d’Israël honore celles et ceux qui, au péril de leur vie, ont pris le risque d’abriter et de sauver des Juifs pendant la guerre.
Sources :
Auguste Arribat, Serviteur de Dieu, prêtre salésien de Don Bosco (1879-1963), Morand Wirth, Editions du Signe, 2012.
Auguste Arribat, c’est si simple d’aimer, textes recueillis par le Père Emile Phalippou, La Crau, Communauté La Navarre, 1998
https://yadvashem-france.org/
http://www.la-croix.com/
https://www.don-bosco.net/
Un grand merci à Pierre Sicard pour ses archives personnelles ainsi qu’à Guy Vignals (archives du fonds Robert Vignals)
JCF AVH/8-2017