Les rues de la ville

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Les rues de la ville

 

 

C’est dans les archives communales de Villemur, plus précisément dans les compoix que l’on va trouver les premières mentions des rues de la ville. Document emblématique du Sud de la France, pays de « taille réelle » (où l’imposition portait sur les biens), le compoix d’une communauté contient, sous le nom de chaque propriétaire et par articles séparés, la description de toutes les possessions, leur contenance, leurs confronts, leur nature, leur qualité et leur estimation.
Les compoix sont des sources fondamentales pour de très nombreuses études : recherches sur les familles, l’anthroponymie, la toponymie, la population, l’économie, les cultures, les impositions, l’espace rural et urbain… (1)
Les archives de la ville conservent une quinzaine de ces livres volumineux dont les plus anciens datent de la période 1583/1585. Chacun de ces compoix est composé de deux livres, l’un concerne la gache (quartier) Notre-Dame, l’autre la gache Saint-Jean.
A quoi correspondent des deux volumes ?

partage de la ville

Le partage de la ville, la rue Lescure et les deux quartiers

Villemur intra-muros est divisé en ce temps-là en deux quartiers sensiblement de la même grandeur, le quartier Notre-Dame à l’Est et le quartier Saint-Jean à l’Ouest, de part et d’autre de la rue de Lescure, l’actuelle rue Saint-Louis qui sert en quelque sorte de « frontière. »
On retrouvera ce « partage » de la ville en 1790 lors de la création des communes et de l’élection de la première municipalité de Villemur qui se déroule en février 1790. L’assemblée d’ancien régime est remplacée par un corps municipal élu, auquel on adjoint un certain nombre de notables pour former avec lui le conseil général de la commune.
La ville est divisée alors en deux sections, et les paroisses environnantes sont rattachées selon leur situation à l’une ou l’autre de ces sections :
La section de Saint-Jean comprend la partie ouest de la ville et englobe Magnanac, Sayrac, Le Terme, Puilauron, Lavinouse, les hameaux placés au couchant du chemin de Villemur à Monclar ( à savoir la côte vieille du Born) : les Filhols, les Trabols…
La section Notre-Dame comprend la partie est de la ville mais également Bondigoux, La Magdeleine, Villematier, Sainte-Escariette et les hameaux placés au levant du chemin de Villemur à Montclar : les Gendrous, les Blazys… (2)

Revenons à nos rues et quartiers.

L’évocation des quartiers Notre-Dame et Saint-Jean nous rappelle que nos ancêtres plaçaient volontiers leurs églises, quartiers, corporations sous une protection religieuse.
Le quartier Saint-Jean tire son nom de l’ancienne église bâtie hors les murs de la ville, au niveau du cimetière actuel, démolie pendant les guerres de Religion, quand à l’église paroissiale elle est sous la protection de Saint-Michel (qui est aussi le saint patron de la France) Ces deux églises sont mentionnées dès 1124.
Notre-Dame faisait l’objet d’une ferveur particulière, nous verrons que plusieurs sites de la ville lui furent dédiés. L’hôpital était dédié à Saint-Jacques,  une porte de la ville portait son nom, tout comme Saint-Roch mentionné au XVIe siècle, (chapelle, porte et rue, plus tard renommés « des Stradelis ») On peut encore citer l’église Saint-François de l’ancien couvent des Capucins, le prieuré Saint-Dominique hors les murs de la ville, et enfin plus près de nous la rue Saint-Louis et le quartier Saint-Pierre sur la rive gauche.

En reprenant la lecture des anciens compoix de 1584 où figurent le nom des rues, et à l’aide du premier plan de la ville (1779) on peut facilement imaginer la configuration de la ville intra-muros et son évolution au fil des siècles.

L’habitat s’est développé et a pris son essor dès la construction du castellum de Villemur dans la deuxième moitié du XIIe siècle. Dès cette époque-là nous avons sensiblement l’ aspect de la ville future : un grand quadrilatère entouré de murailles, percé dans ses angles de quatre portes, entouré à l’est et à l’ouest de profonds fossés, bordé au sud par la rivière Tarn, et dominé au nord par le château-fort sur la crête du coteau.
C’est dans cet espace restreint que rapidement, va s’ériger la ville. La charte des franchises de 1178 nous fait état d’une société déjà bien structurée avec les seigneurs, les chevaliers, les prud’hommes et les autres habitants du bourg.

 

 

On peut penser que les premières maisons sont celles ayant trouvé refuge au pied du château : c’est le quartier du Pech (3)  avec encore aujourd’hui ses ruelles et venelles descendant vers la ville. La seule artère importante descendant du Pech, nous mène à l’église Saint-Michel.

Rien d’étonnant à cela quand on connait l’importance du pouvoir religieux au Moyen-Age. De fait, la rue Saint-Michel sera pendant longtemps la plus animée de la ville. Plus tard, le pouvoir communal prendra le dessus et ce n’est peut-être pas un hasard si la maison commune – et la halle au blé – se situeront au bout de la rue Saint-Michel adossés à la muraille dominant le Tarn. 

Deux autres voies importantes, « la rue droite Saint-Jean » et « la rue droite Notre-Dame » reliaient les portes du même nom. Elles font partie de « la traverse de Villemur » qu’empruntera plus tard la RD 14 reliant Toulouse à Salvagnac.

Ces trois rues Saint-Jean, Saint-Michel, Notre-Dame seront au fil des siècles les plus animées et commerçantes de la ville. Au bas du quartier du Pech, la porte Saint-Jacques permettait d’accéder au faubourg et à l’Hôpital du même nom. Enfin c’est par la porte et la rue Saint-Roch  (Plus tard des Stradelis) que rentraient les denrées et les récoltes étrangères à la vicomté.

C’est dans le quartier Saint-Jean que l’on trouve l’habitat le plus dense, le plus pauvre, avec des pâtés de maisons qui seront plus tard démolis, transformés en places et placettes permettant d’aérer la ville. (Places Lesdiguières et de la Marine, place de l’Hôtel de Ville)
De nos jours, il subsiste encore quelques « îlots » d’un autre âge autour des impasses du Dragon et Pharamond, les rues Kléber et Hoche, les rues des Albigeois et de la Croisade…

La ville va longtemps conserver cet aspect moyenâgeux, avec ses rues étroites et ses maisons à encorbellement décrites par l’instituteur Jean-Pierre Miquel dans la monographie de Villemur en 1885.
« Les rues sont généralement très étroites et mal pavées ; les maisons construites en briques sont petites et entassées. On voit encore les ruines de quatre grandes portes dont les gonds sont parfaitement conservés. Au milieu de la ville se trouve une belle place publique ayant une superficie de 25 ares… » (4)

vieilles ruelles

Quelques ruelles au début du XXe siècle

Au XVIe siècle, dans les compoix, sont mentionnés le barry Notre-Dame et le barry Saint-Jean, ancêtres des faubourgs, pas de rues ni ruelles, seulement quelques constructions dispersées. C’est très certainement vers le milieu du XVIIe siècle que les faubourgs – fors le bourg, hors des murs (selon l’ étymologie) de la ville vont se développer, avec la démolition du château ,les ponts-levis remplacés par des ponts dormants ponts de l’Hôpital et St Jean sur le ruisseau de Bifranc , pont Notre-Dame sur le fossé Notre-Dame.. Nous consacrerons plus tard un chapitre aux rues des faubourgs Notre-Dame, Saint-Jean et Saint-Jacques.

Un premier plan d’alignement des rues de la ville, visé par les ingénieurs du département et le Préfet, est levé en août 1810 sous le mandat de Pierre Roques. Déposé en mairie, il est exposé aux yeux du public jusqu’au 7 janvier 1812. Suite au rapport qu’en fait Bernard-Antoine Junière, (5) géomètre, le projet de démolition de deux pâtés de maisons pour la réalisation de deux places ( dont une parfaitement identifiée entre les rues Daunou et Castelpalhas, l’autre étant certainement la future place de l’Hôtel de Ville) est remis à plus tard vu le coût élevé des travaux et la « détresse où se trouvait alors la commune ». Quand à l’alignement des rues, il ne se ferait que progressivement, lorsque les propriétaires rebâtiraient ou répareraient leurs maisons. En 1818 puis en 1820, la préfecture renvoie les mêmes plans en mairie…pour le même résultat à savoir que les travaux projetés ne se feront que lorsque la commune en aura les moyens. 
Une série de plans, datés de 1824? conservés aux Archives Départementales, fait état de plusieurs projets de percement de rues en direction notamment des Fossés Notre-Dame, ayant pour but de « désenclaver » la ville. Une nouvelle rue appelée « rue Neuve » est projetée reliant la rue Cambon à ces mêmes fossés. Ces projets repris en 1842, seront sans suites.

percement des rues et places projetees

1824 / 1842 : percement des rues et places projetées

Quelques années plus tard, Jean-Bernard Girou (6) adjoint au géomètre en chef du cadastre, est chargé par Joachim Dezès maire de Villemu,r de dresser un nouveau plan d’alignement de la ville. Le 21 février 1837, il rencontre à la mairie de Villemur les membres de la commission chargée de travailler sur ce projet. Plusieurs constatations émergent de leurs travaux : la commune n’a pas de revenus, donc pas de dépenses dispendieuses. Il existe ensuite, quantité de petites rues étroites qu’il faudrait élargir, mais ces rues sont composées de petites maisons appartenant à des gens peu fortunés et on ne pourrait, sans leur porter un grand préjudice, les forcer par expropriation de se mettre sur le nouvel alignement.
La commission juge convenable de laisser ces rues dans l’état, plutôt que d’engager des travaux trop onéreux, par contre elle décide qu’il est plus utile d’effectuer des élargissements indispensables dans des rues plus importantes et plus fréquentées. Jean-Bernard Girou établira un nouveau plan en 1842 approuvé par ordonnance royale le 9 août 1844 ; Il en résultera quelques aménagements concernant la rue Notre-Dame et la promenade du même nom.

Mais le gros chantier de cette époque concerne la création de la place de l’Hôtel de Ville, suite à la démolition du pâté de maisons qui occupait cet espace. Les travaux, commencés aux alentours de 1842/43, prirent fin en 1861. Pour la petite histoire, ce projet de démolition de ce « moulon » de la place avait été conçu par le Vicomte de Ménoire en 1789 ! (7)
En 1887 Jean-Marie Elie Brusson propose en conseil, municipal d’acheter (et de démolir) « tout le moulon depuis l’église jusqu’à la place pour y construire un nouvel Hôtel de Ville, écoles, et autres maisons publiques ou privées… » En 1896, lorsqu’on cherche un lieu pour la construction des écoles communales, ce projet revient à l’ordre du jour mais il est classé sans suite. Autres projets dont celui, farfelu, en 1934 d’aligner la rue de l’Hospice en démolissant en partie les futurs Greniers du Roy ! Mais ce plan souleva un tel tollé qu’il fut rapidement abandonné !
Lors de la reconstruction de la ville dans les années 1930, il est un projet qui aurait eu belle allure, suggéré par Edouard Herriot (8) lui-même : la création d’un vaste quai surplombant le Tarn et allant du pont suspendu au quai Saint-Jean. Cette promenade aurait été magnifique mais pour cela il fallait raser tous les immeubles bordant la rivière !
Impensable dans ces artères ( les rues de la République et Saint-Jean) où les commerces florissaient et où résidaient de nombreux notables ! (9)

Le nom des rues

Nous allons donc, dans les prochains mois, raconter l’histoire des rues de Villemur intra-muros, ou du moins ce que nous en connaissons.
Nous aborderons par la suite,  les rues du Villemur de la rive gauche. Les noms de ces rues déchiffrés sur les compoix du XVIe siècle vont perdurer jusqu’au début du XXe avec très peu de variantes. En 1840, un conseiller municipal Frederic Pendaries propose « de faire indiquer le nom des rues et le numéro des maisons » Vœu sans lendemain semble t’il puisqu’en 1918 ce problème est de nouveau à l’ordre du jour à propos du courrier : « des erreurs se produisent en raison de l’homonymie de beaucoup de noms (ainsi) l’utilité de la dénomination des rues apparait de façon saisissant ».

Toujours en 1918 le conseil municipal nomme une commission ( Mrs. Maury, Barbe, Sabatié, Souriac, Sizes) et propose « afin de léguer à la postérité » de baptiser des rues de la cité,  « du nom de contrées, villes ou personnes qui se sont illustrées durant la Grande Guerre ». Annonce sans lendemain, pas de Verdun, la Marne, Joffre Foch ou Clemenceau pour les rues de Villemur. Il faudra attendre les années 1926-1929 pour voir une vague de nouveaux noms puisés dans l’histoire locale par les membres d’une nouvelle commission (Désiré Barbe, Joseph Duran ,Louis-Etienne Malpel, Victor Pendaries, Jean-BaptIste Maury, Joseph Rigaud)  Apparaissent alors les noms d’Henri de Navarre, Thémines, Albigeois, Lesdiguières Scipion de Joyeuse, Huguenots… De la période révolutionnaire et de l’Empire, seuls Kleber et Hoche deux généraux républicains ont trouvé grâce auprès des décideurs qui n’ont pas oublié heureusement les deux gloires locales que sont le colonel Caillassou et le général Lapeyre. Une question : pourquoi trois rues portant le nom de savants – Berthelot, Curie, Pasteur – à proximité de l’église Saint-Michel ?
Les édiles locaux vont mettre à l’honneur la République en baptisant la place du 4 septembre, prolongement des Fossés Notre-Dame, qui sonne mieux que le « cul de sac Notre-Dame » (porté sur le recensement en 1921) On honore également deux pères fondateurs du régime Jules Ferry et Léon Gambetta, et la municipalité anticléricale de l’époque (10) débaptise la rue Notre-Dame pour la rue de la République, déjà l’artère la plus commerçante. Vu sa couleur politique , Villemur se devait d’honorer Jean-Jaurès. Pour cela on débaptisa la rue du Grail, et ce ne fut pas un hasard si on fit voisiner le leader socialiste avec l’Ecole religieuse de la Sainte-Famille ! Pour se faire pardonner (?) on donna à la rue voisine le nom du curé Fieuzet à la place de la rue Lormet. Autre cas où le politique vient interférer avec les décisions locales : le 31 mars 1940, en conseil municipal, lecture est faite d’une lettre du préfet de Haute-Garonne qui demande « si des hommages publics n’ont pas été conférés à des hommes s’étant réclamé de l’ Internationale communiste et de changer les appellations dont les édifices publics, places ou rues porteraient ces noms.
Le conseil municipal délibère et fait connaitre qu’il n’y a pas lieu de changer aucune appellation et que toutes ont été données à des hommes dignes de les recevoir »
Les dernières modifications au niveau de la voirie interviendront après les inondations de 1930, par l’ouverture de nouvelles voies (Avenue du Quercy, rue Jean-Marie Elie Brusson)  et la démolition d’îlots insalubres.

Adieu à ces rues aux noms pittoresques : Crabouli, Dentejac, Narbusse, Crugarie... dans le quartier du Pech, et les rues Daunou Castanery, Castelpailhas… dont la signification nous échappe encore aujourd’hui. Seules une poignée d’entre elles ont gardé leur nom d’antan , les rues Saint-Michel et Saint-Jean, la rue de la Boucherie (depuis 1583) la rue du Temple, celle des Stradelis. (depuis 1621).

NB : Les deux derniers baptêmes en date (sur la rive droite mais hors les murs de la ville) sont celui du pont suspendu reliant les deux rives (Simone Veil) et la place Nelson Mandela.

à suivre…

JCF / AVH décembre 2010

Notes

(1) Archives départementales de l’Hérault https://archives-pierresvives.herault.fr/
Lire également Christian TEYSSEYRE qui consacre un chapitre fort bien documenté sur « les impôts sous l’ancien Régime » dans le tome 2 de « La nouvelle histoire de Villemur » pages 156-159.
(2) Sources : Archives communales de Villemur-sur-Tarn, Registre des délibérations consulaires 1D 11 , p. 57/200 du 22/02/1790
(3) Du point de vue toponymique, Pech est la retranscription française de l’occitan puèg qui dérive du latin Podium et désigne un endroit plat et surélevé.
(4) SAULAIS, Brigitte. “De mémoire d’instituteur…, les monographies communales de la Haute-Garonne rédigées en 1885 (origine et répertoire)”, Toulouse, Conseil Général de la Haute-Garonne / Archives départementales, 1993, 52 p.
(5) Bernard-Antoine JUNIERE, né à Varennes (24) en 1754, décédé à Villemur en 1835, il était le beau-frère du maire Pierre Roques.
(6) Jean-Bernard GIROU né en 1789 à Tonneins (47) décédé à Toulouse en 1863.
(7) Voir l’article consacré à la place Charles Ourgaut dans l’onglet HISTOIRE : «la ville, les rues, les places..».
(8)
Edouard HERRIOT, (1872-1957) maire de Lyon de 1905 à 1940, ami de Charles OURGAUT. Il décida en d’adopter la ville de Villemur à la suite des inondations de 1930.

(9) L’inondation du 3 mars 1930 à Villemur-sur-Tarn et ses environs. G.SENGES et Collectif Editions AVH, 2010.
(10) Le maire Charles Ourgaut était radical-socialiste.

Sources :

Archives communales de Villemur-sur-Tarn, délibérations du conseil municipal.
Archives Départementales de la Haute-Garonne.

Illustrations :

Les cartes proviennent des Archives Départementales de la Haute-Garonne, révisées par Jean-Claude François.
Les photos anciennes de Villemur proviennent de la collection de Jean-Luc Mouyssac.

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