La vie artistique à Villemur
Dans les chapitres qui vont suivre, consacrés à la musique et au théâtre, combien il est émouvant de parcourir les programmes de toutes ces représentations, ces fêtes scolaires, ces événements musicaux. Avec une lecture attentive, vous aurez peut-être la surprise d’y retrouver le nom d’un de vos ancêtres villemuriens. Comédien d’un jour, ou naissance d’une passion ? Possible, car certains de ces artistes en herbe, acteurs, mais aussi chanteurs, musiciens, auront une belle carrière, locale certes, dont ils pourront tirer une certaine fierté. Tous, certainement, en auront retenu le bonheur d’avoir participé à une belle aventure, et conservé pour la vie de merveilleux souvenirs.
1. Orphéons et chorales
La musique et le chant sont des modes d’expression que nos ancêtres du villemurois pratiquaient depuis des temps ancestraux, mais aucun témoignage n’est parvenu jusqu’à nous ! Nous en trouvons les premières traces sous la plume de Marcel Peyre, historien local. Dans un de ses nombreux écrits sur Villemur, il rapporte qu’aux environs de 1830, un groupe vocal de notre ville participa à Paris à un concours national de chant. Ce voyage aurait été patronné et financé par Monsieur de Vacquié, notable de la ville. Malheureusement, aucune source ne vient étayer cet événement.
C’est à cette époque, le premier tiers du XIXe siècle, que naît en France le mouvement des orphéons, appelés également Sociétés chorales ou Sociétés orphéoniques. Fondé par Wilhem en 1833, c’était un mouvement festif et musical de masses qui rassemblait, en France, puis aussi dans d’autres pays, des milliers de chorales masculines le plus souvent subventionnées par des entreprises ou des municipalités. Elles étaient constituées de chanteurs issus des classes moyennes ou populaires. Ces chorales étaient à l’origine uniquement masculines, mais par la suite, des femmes purent également y participer. Après le décès de Wilhem en 1842, Eugène Delaporte poursuivit son œuvre orphéonique.
Quantité de grands concerts et défilés furent organisés. Ils pouvaient rassembler des milliers de choristes devant des dizaines de milliers d’auditeurs.
C’est ainsi qu’en mars 1859, l’Orphéon de Villemur, une chorale masculine, participe au premier rassemblement national des orphéons à Paris en présence de Napoléon III et de l’Impératrice. L’Orphéon est dirigé par l’instituteur local Louis-Bernard Peyssiès, originaire de Labastide-Clermont petit village du canton de Cazères. Ce jour-là, 6.000 choristes sont réunis au Palais de l’Industrie, et l’Orphéon de Villemur fait partie des quatre groupes haut-garonnais participant à la manifestation.
Deux mois plus tard, l’Orphéon participe au concours de Carcassonne, obtient un premier prix et une médaille d’or dans sa division. Son retour à Villemur met la ville en liesse, les orphéonistes sont fêtés comme des héros comme le montre l’article ci-contre paru dans « Le Journal de Toulouse. »
A la même époque cet orphéon s’illustre dans des manifestations similaires à Toulouse, Rabastens et Gaillac.
Le meilleur reste pourtant à venir : en juin 1860, un festival donné au Crystal Palace de Londres reçoit la visite de 3.000 orphéonistes français. C’est un véritable triomphe ! Parmi les 137 sociétés chorales, la Haute-Garonne est représentée par l’Orphéon de Villemur, la Sainte-Cécile de Colomiers, la société Dalayrac de Muret et les formations toulousaines que sont la Clémence Isaure, la Lyre Toulousaine, et les Enfants de Toulouse. L’ année suivante à Paris, cinquante-huit départements sont représentés lors d’une grande réunion des sociétés chorales. On retrouve les mêmes formations que celles citées ci-dessus, auxquelles il faut ajouter les orphéons de Saint-Cyprien (Toulouse), de Grenade et Revel. De cette époque, on relève le nom d’un certain Monsieur Donnadieu qui dirige l’Orphéon lors d’une fête de charité organisée à Villemur en 1866 au profit des pauvres de la commune.
En 1891 l’Orphéon Sainte-Cécile , fort de 29 membres et dirigé par Monsieur Schilling participe au concours musical de Toulouse, en 1894 il obtient dans sa catégorie, le premier prix au concours musical d’Albi, et en 1901, lors de la réception de congressistes chez Brusson Jeune, il est fait mention de l’Orphéon des Etablissements, composé de jeunes gens et jeunes filles, entonnant un hymne à la gloire de la Manufacture.
Plus tard, en 1924, au concours international de musique de Toulouse, (1) la « schola Sainte-Cécile », chorale féminine de Villemur remporte le premier prix avec félicitations du jury, et dans la catégorie « estudiantinas » le groupe villemurien des Fleurs de France remporte le 1er prix à l’unanimité.(2). Selon le regretté Robert Vignals la première « Cantoria » chorale mixte, aurait vu le jour en 1941 avec la contribution des réfugiés mosellans. Elle était composée de 38 dames, 22 hommes dont 4 prêtres. Après 1945, la chorale « La Cantoria Saint-Michel » donnera de nombreuses soirées de gala au Moulin.
(1) L’Express du Midi du 16 juin 1924.
(2) groupe musical traditionnel chantant en s’accompagnant avec des guitares que l’on pourrait rapprocher des « tunas » espagnoles.
Grâce à la richesse du fonds d’archives Robert Vignals, nous avons pu illustrer l’article suivant, témoin de la riche vie artistique à Villemur au début du XXe siècle.
La fête de la Sainte-Cécile à Villemur le 19 novembre 1905
dont la relation suivante a paru dans les colonnes du bi-mensuel « l’Art Méridionnal » en date du 1er décembre 1905
« Après ces journées de tempête épouvantable, c’est presque par un temps radieux — ce que nous en avions besoin, ô mon Dieu ! — que fut célébrée la fête de Sainte-Cécile.
Savez-vous qu’on fait bien les choses à Villemur? Et savez-vous aussi que les enchantements succèdent aux enchantements lorsque surtout s’en mêle M. Antonin Brusson, qui, dussions-nous blesser sa modestie, joint à ses hautes qualités d’industriel (on en a eu les preuves récentes à la dernière exposition de Liège) celles d’un musicien de haute valeur.
Il y avait donc, dimanche dernier, en ce modeste chef-lieu de canton, l’Ecole Philharmonique Toulousaine (groupes choral et instrumental) dont M. Antonin Brusson est le président dévoué et à laquelle la Lyre de Villemur avait modestement cédé le pas.
Le côté artistique de la fête était des plus chargés : il comprenait, en effet, avec la Messe, un Festival et un Concert, et vous comprendrez qu’il serait par trop long d’en donner un compte rendu complet.
Et puis, ce serait par trop abuser de l’hospitalité qui m’est si gracieusement offerte aujourd’hui dans les colonnes de l’Art Méridional.
Je me bornerai donc, pour la messe, à signaler combien furent goûtés le Gloria n° 3 de Gounod aux sonorités éclatantes, la Cavatine de Raff si habilement transcrite pour harmonie, et dominant tout le fameux Chœur des Pèlerins de Tannhaüser avec ses gammes chromatiques ascendantes amenant le colossal unisson que connaissent tous les dilettanti.
Il est vrai que M. Raymond Laporte tenait la baguette avec le sentiment artistique et l’autorité dont il est coutumier.
Le Festival, dirigé tour à tour par MM. Antonin Brusson et Raymond Laporte, fut également un véritable régal artistique et les divers morceaux qui le composaient applaudis à tout rompre par le public Villemurien.
J’ai gardé pour la bonne bouche le concert où, indépendamment de l’Ecole Philharmonique et de la Lyre de Villemur qui maintenant marchent carrément la main dans la main, se firent applaudir : la délicieuse chanteuse qu’est Madame Gaultier-Deloncle, un baryton de goût, M. Peyroux et les désopilants comiques que sont MM. Duhal, Théo et Moreau. M. Morisson tenait le piano d’accompagnement avec autant d’autorité que de discrétion.
Au banquet servi dans la vaste salle d’expédition des Etablissements Brusson Jeune — car toute fête de Sainte-Cécile ne va pas sans banquet — divers toasts furent portés avec autant de brio que d’humour par MM. Antonin Brusson, Raymond Laporte, Théo, Dastros, correspondant de la Dépêche, Cucurrou, membre de l’Ecole Philarmonique et Edouard Minot, rédacteur à l’ Art Méridional. Inutile de dire que les bans succédèrent aux bans. Théo y trouve même des bancs d’huîtres. Entre la première et la deuxième partie du concert une quête au profit des pauvres fut faite par Mlles Vieusse, Barrat, Terrancle, Miquel qu’accompagnaient MM. Edouard Minot, Tussot, Peyroux et Morisson.
Pour nous résumer une fête de Sainte-Cécile et, pourquoi ne pas le dire, une manifestation artistique sans pareille que nous devons à l’initiative intelligente et au goût artistique de M. Antonin Brusson et de M, Raymond Laporte. Il est dommage que de semblables manifestations n’aient pas de lendemain ou plutôt que ce lendemain n’ait lieu que dans deux ans.»
E. M. (Edouard Minot)
à suivre…
JCF / AVH Avril 2020
Sources :
Exposition AVH consacrée à « la vie des villemuriens vers 1900 » (2017 Mise à jour 2020)
Rosalis, bibliothèque numérique de la bibliothèque municipale de Toulouse ( archives de « La Dépêche du Midi » du « Journal de Toulouse », « L’Express du Midi » » Revue de Toulouse et du Midi de la France ».
Illustrations :
1, 2, 4 : Wikipédia.org 3 : Rosalis (Le Journal de Toulouse) Schola Sainte-Cécile et Cantoria appartiennent au fonds d’archives Robert Vignals. ( remerciements à Guy Vignals)