Lundi 3 mars 1930,
« La crue du siècle »
Il y a exactement 90 ans, le 3 mars 1930, Villemur était touché de plein fouet par la crue du Tarn.
Les deux premiers mois de l’année il avait plu abondamment, faisant suite à un automne précédent copieusement arrosé.
Un temps anormalement pluvieux, avec pour conséquence des sols saturés, gorgés d’eau.
Les derniers jours de février il avait aussi beaucoup neigé sur les Cévennes, là où le Tarn prend sa source. Des hauteurs de deux mètres par endroit, bien supérieures à la normale.
La semaine précédent la catastrophe, il avait encore plu sur tout le Sud-Ouest et notamment sur les hauteurs de la Montagne Noire et des Monts de Lacaune.
Dimanche 2 mars.
Le dimanche 2 mars, c’est le répit dans le ciel. Il fait beau, le vent d’autan a chassé les nuages. Mais ce vent chaud du sud-est fait fondre la neige et il n’en fallait pas plus pour rajouter de l’eau à celle tombée en abondance les jours précédents.
Les cours d’eau des bassins versants voient leur niveau monter subitement. On parle d’inondations dans le Bas-Languedoc, et le dimanche les villes tarnaises riveraines du Tarn et de son affluent l’Agoût sont en alerte.
A Villemur, on surveille le niveau du Tarn. Un soupçon d’inquiétude sans plus. La rivière est capricieuse, on a l’habitude de ses sautes d’humeur. Plus les heures passent, plus l’eau monte. Au quartier Saint-Jean, dans la rampe qui mène au Tarn, les riverains plantent des bois de bois, mettent quelques pierres qui servent de repère à la montée des eaux. Même chose dans la rue des Fossés Notre-Dame (« le balat ») qui mène au moulin.
La nuit tombe, l’inquiétude grandit. Mais en 1930, pas d’alerte de Météo-France, pas de « vigiecrues », le téléphone est encore confidentiel. On ne voit pas le danger arriver.
Place de la Mairie, la fête bat son plein. Edouard Dellac qui a racheté le café Léonard, vénérable institution, maintient la tradition : le bal du dimanche soir. Ce café est idéalement placé à côté de la mairie. A l’étage, de la terrasse, la vue est imprenable d’un côté sur la place centrale et à l’autre bout du bâtiment on domine le Tarn…et vers 22 heures, les fêtards donnent l’alerte.
A 22 heures 30 Albert Ménestral 47 ans, est réveillé en sursaut par son épouse. Il a compris, N’écoutant que son courage il se précipite au dehors. Alors débute pour lui une nuit héroïque où il sauvera notamment huit personnes prisonnières des eaux dans l’épicerie de Sylvain Souriac à l’angle de la place. A bout de bras, l’une après l’autre il les arrachera de leur maison en péril.
François Rey 33 ans sort du café Dellac vers 23 heures. Il apprend que la route de Bondigoux à Villemur est coupée. Il file vers les allées pour sauver ses engins de pêche. Trop tard ! Il en profite pour amarrer ses bateaux aux marronniers des Allées ; après avoir mis à l’abri les chevaux de la caserne de gendarmerie face au pont suspendu, il poursuit son chemin sur les Allées où l’eau affleure déjà… Il aide Jean Meilhou à mettre son matériel de tonnelier à l’abri, revient vers le centre ville vient en aide au peintre Guillaume Lafférière rue de la République, à Toussaint Malpel rue Saint-Jean, emmène chez les enfants du gérant de l’Epargne, réveille Joseph Freixas incrédule, dont la maison est envahie par l’eau.
Nuit d’angoisse
Vers minuit la ville est plongée dans l’obscurité la plus totale : le pylône supportant les câbles électriques, ancré sur l’île Méjane au milieu du Tarn, est emporté par les eaux ! A 3 heures du matin c’est la centrale électrique de l’usine Brusson qui s’écroule, minée à la base par les eaux du Tarn.
François Rey retourne détacher un de ses bateaux et parcourt les rues inondées pour rassurer les habitants. Il se dirige vers le quartier Saint-Jean où des habitants sont en danger. Avec quelques hommes de bonne volonté il y transporte son bateau, sauve Monsieur Séguela en danger de mort. Dans son récit il rapporte que Louis Gay, Marcel Nourrit et Pierre Cassé avaient eux aussi sauvés plusieurs personnes à l’aide du bateau de Monsieur Cazaux. En compagnie d’Arnaud Gay, François Rey se dirige vers le centre ville, il y a déjà deux mètres d’eau dans la rue de la République. Ils sauvent la famille Maux, leurs trois enfants et la bonne qu’ils débarquent face à la boulangerie Delluc rue Saint-Michel.
Ils repartent sauver la famille Lanta et le grand-père de 70 ans, puis les trois membres de la famille Portes qu’ils descendent à l’aide de cordes. Puis vient le tour de la famille Sicard, opération périlleuse au milieu des maisons écroulées. Une vingtaine d’autres personnes sont sauvées, les familles Terral, Terrancle, Pagès, Mlle Pélissier et sa mère…
Lundi 3 mars au matin
Lorsque le jour se lève ce lundi 3 mars, c’est la stupéfaction devant la montée si soudaine du Tarn, c’est la désolation car on commence à mesurer l’ampleur du désastre, et l’eau qui monte toujours !
De toutes part dans la ville, dans les quartiers hors d’eau, au pied du coteau, au Pech, on s’entraide, on recueille les rescapés, on les réchauffe, les réconforte du mieux qu’on peut. Une chaîne de solidarité s’est mise en branle très vite.
François Rey poursuit les sauvetages le lendemain avec André Louchet et le gendarme Huguet ; c’est au tour des familles Barbe, Dastros, Pélissier dont le mari, la jambe fracturée doit être descendu sur un matelas au moyen d’une échelle. Sont secourues également les familles Blanc, Gibert, Lormières, Pendaries, Galan, Brassier …
Camille Gay chauffeur à la Compagnie du Sud-Ouest doit être cité également pour son courage, il arrache à l’inondation pas moins de 18 personnes des familles Dijeaux, Terrancle, Portolès, Maury, Aussal, Mengué – le correspondant du journal «La Dépêche», ainsi que Charles Ourgaut et son épouse, dont la maison des allées Notre-Dame s’est effondrée.
Puis vers 12 heures 30, le pont métallique finit par céder, emporté par les flots en furie…
L’après-midi du 3 mars
Il est 15 heures quand sonnent les cloches de l’église Saint-Michel appelant les habitants à l’église. Ils viennent nombreux assister à un émouvant chemin de croix. Le curé Joseph Maurette exhorte les fidèles à avoir foi en la puissance de Dieu, sortant de l’église la procession emprunte la rue Saint-Michel, jusqu’à l’impasse du Dragon. Arrêtés par l’eau, on ne peut aller plus loin. L’abbé Cyprien Chabbert portant l’ostensoir, trace un signe de la croix sur les eaux boueuses à ses pieds…La sœur Pégueux, supérieure des sœurs de Saint Vincent de Paul jette des médailles miraculeuses dans les flots…Les assistants à genoux pleurent et prient.
L’eau ne monte plus, le Tarn est étale. Simple coïncidence ou miséricorde divine ? Selon ses croyances, chacun choisira.
A l’autre bout de la ville, place du Souvenir, l’eau lèchera les pieds de la statue de la Vierge, et n’ira pas plus loin.
François Rey rentre chez lui vers 16 heures, pour changer de vêtements. Mais pas de répit, une heure plus tard le gendarme Huguet vient le chercher. Il y a urgence ! A l’angle de la place du Souvenir, Louis Beringuier et sa bonne Marie Castella sont en danger de mort, accrochés à une fenêtre. François Rey aidé de Lucien Castella, réussissent à les sauver à l’aide de draps de lit noués ensemble.. Quelques secondes plus tard, le mur s’écroule.
Sur la rive gauche, c’est aussi la désolation. La centrale électrique de l’usine Brusson a été laminée, la manufacture est sous les eaux, emprisonnant des dizaines d’ouvriers. Le quartier Saint-Pierre a énormément souffert.
Les actes d’héroïsme se multiplient à Pechnauquié, à Sainte-Raffine, le hameau en bordure du Tarn et qui est sous les eaux.
La liste des courageux sauveteurs s’allonge ; citons Pierre Bétirac, Messieurs Couture, Miquel, Viot, Groussac, Ausset Turroques, Gibert, Laynat…
Le soir tombe sur la ville. De temps à autre un bruit sourd se fait entendre, une maison s’effondre. On en compte déjà plus de vingt!
C’est une population abasourdie qui va vivre encore un nuit d’angoisse, une ville endeuillée par la mort de 6 malheureux, malgré le courage extraordinaire des sauveteurs , ceux cités ici et d’autres anonymes.
Rappelons pour terminer les mots de Charles Ourgaut le maire, « La population villemurienne…fut admirable de calme, courage et d’énergie. Résolument elle se dressa contre l’adversité. »
Et parlant des sauveteurs « A eux vont notre reconnaissance et notre admiration »
Quelques témoins de ce drame racontent…
Marius Clamens, âgé de 10 ans à l’époque, raconte comment, du clocher de l’église Saint-Michel, (son père était carillonneur) « de ce perchoir », il a pu voir l’étendue de la crue. Et passer sur les eaux boueuses, des meules de paille entières, des charrettes, des troncs d’arbres…Puis ce fut l’écroulement du pont vers 12 h 30 et la vague énorme qui suivit…
Gaston Galan a pris le chemin de la côte, vers la Tour Béziat . De là il aperçoit sa maison du Port-Haut sur la rive gauche cernée par les eaux. Il voit lui aussi le pont s’écrouler dans les eaux du Tarn.
Marcel Peyre qui habitait place de la Résistance se souvient du sauvetage de sa famille dans la nuit noire, il avait 13 ans, dit-il « et rien n’a pu me faire oublier ces terribles journées » Il raconte leur hébergement avec d’autres familles au château de la Forêt dans les coteaux au-dessus de Villemur.
Le témoignage le plus poignant est celui de Jeanne Senchet. Elle habite avec ses parents et son frère quai Scipion de Joyeuse en bordure du Tarn. Alertés vers minuit, ils surveillent le niveau de l’eau qui monte inexorablement. Ils se réfugient au premier étage, puis sur le toit. Le père, seul à savoir nager, part chercher du secours. Soudain à 7 heures du matin, la maison s’écroule… Sa mère, son petit frère, un couple de voisins ont disparu dans les flots… Jeanne au prix d’un courage extraordinaire se sauve miraculeusement par les toits !
JCF / AVH mars 2020
Sources :
– Gaston Sengès, L’inondation du 3 mars 1930 à Villemur-sur-Tarn et ses environs, Editions AVH , 2010
– Inondations du Midi en mars 1930 Les paisibles rivières devenues « Torrents de ruine et de mort. » Les deuils les ruines, les héros. Edition 1930.
Crédit photo :
1,2,3,4,6,8 : coll AVH 5 : Jean-Claude François. 7 : Gaston Sengès. 9 : Jean-Luc Mouyssac.