La vie artistique à Villemur
2. Les sociétés musicales
La période de la fin du XIXe au début de la Grande Guerre, que l’on appellera à posteriori La Belle Epoque voit fleurir de nombreuses formations dont le répertoire musical adapte les grands airs d’opéra, d’opérettes de café concert, de musiques militaires et autres airs à la mode. Fêtes de quartiers, d’associations, fêtes scolaires mariages, la musique est partout.
Ces festivités, accessibles à tous et parfois accompagnées de menus pantagruéliques, entretiennent une convivialité et un lien sociétal qui ont contribué à stabiliser les institutions dans la IIIe république.
Le 30 janvier 1887 la Société Philharmonique sous la direction de Monsieur Terrancle, organise un concert dans la « Salle de l’Usine » entendez par là, l’usine de pâtes alimentaires Brusson où un atelier a été aménagé afin de recevoir cette manifestation. Participent à ce concert, « Mademoiselle Bancarel, forte chanteuse, 1er prix du Conservatoire de Toulouse, M.Vernet, professeur de piano, M. Galinier, chanteur comique », et autres interprètes aux tessitures variées (ténor, baryton et basse).
Au cours de la soirée, on peut entendre des chansonnettes, des romances empruntant le répertoire moderne et classique, entrecoupées d’évolutions de l’orchestre lui-même, mais aussi un opéra comique intitulé A Clichy. Comme on le voit un programme étoffé et très éclectique !
Cette Société Philharmonique est la première société de musique connue à Villemur.
Une poignée d’années plus tard (1893) voit la naissance de l’Harmonie La Lyre de Villemur, fondée par Antoine Brusson le manufacturier villemurien. Entre les deux formations la concurrence va être rude, « une rivalité s’installe, pas forcément d’ordre musical, faisant naître plus tard quelques épisodes dignes de Clochemerle » (1)
Les divers documents en notre possession nous permettent de suivre les évolutions de La Lyre tout au long des concours régionaux et des diverses manifestations auxquelles elle participe, en particulier la Sainte-Cécile, jusqu’en 1905. En juillet 1910 on trouve encore trace de la Société Philarmonique lors des fêtes du quartier Saint-Pierre, alors qu’apparaît l’Union Symphonique de Villemur qui regroupe orchestre et troupe théâtrale.
Cette formation composée de 20 musiciens anime les fêtes de Bouloc en 1910, de Vacquiers en 1912 .Elle assure aussi la partie musicale des fêtes scolaires tandis que Pierre Bousquet au piano accompagne saynettes et chansons diverses.
Ce même Pierre Bousquet va signer la partition de nombre de chansonnettes locales et en particulier celle, en occitan, de « La Bilomurienno » dont les paroles sont de Julien Blanc dit Lapin, morceau qui est joué par 80 exécutants (Excusez du peu !) lors de la Fête Scolaire de l’école publique de garçons le 7 avril 1912. Le refrain est le suivant :
O Bilomu, cantan toutis ta glorio, O Villemur nous chantons tous ta gloire
Noplo citat qu’enluzis l’astre d’or, Noble cité qu’illumine l’astre d’or
Jamay, jamay, perdren pas ta memorio Jamais jamais nous ne perdrons ta mémoire
Reyno del Tarn t’ouffrissen nostré cor Reine du Tarn nous t’offrons notre cœur (2)
Rappelons qu’à cette époque-là, l’occitan est couramment utilisé dans la vie quotidienne même si l’école laïque est obligatoire depuis 1883 et que le français est la seule langue enseignée. Cette belle langue d’Oc est dévalorisée sous le terme de patois et on apprend même aux écoliers de bannir son usage si l’on veut réussir ses études !
Malgré tout, un certain nombre de poètes locaux l’utiliseront pour exercer leur art de manière académique comme le sayracois Théodore Teysseyre lauréat de plusieurs concours au début du siècle. D’autres, comme Lafage dit le Fajou, tremperont leur encre dans le vitriol pour commettre quelques pamphlets d’ordre politique, enfin plus près de nous Jean Boulès et Françoise Mauruc célébreront Villemur dans des poèmes émouvants. Nous aurons l’occasion dans l’avenir de leur donner la place qu’ils méritent amplement.
La Grande Guerre va mettre en sommeil ces formations musicales, mais dans les années 1920 l’Union Symphonique renaît de ses cendres temporairement pour laisser place ensuite à l’Union Harmonique qui reprendra le flambeau, rassemblant dans son sein quantité de musiciens transfuges de La Lyre et des autres orchestres.
On ne possède pas pour l’instant, d’autres informations sur Monsieur Terrancle, qui joue le rôle de précurseur au niveau des formations musicales, comme vers 1860 l’instituteur Louis Peyssiès a sans doute joué un rôle identique au niveau des chorales.
On verra par la suite, quel élan a donné Antonin Brusson sur les sociétés musicales et La Lyre en particulier, quelle a été sa volonté de démocratiser l’apprentissage de la musique et d’en faire un des éléments de l’éducation populaire. Plus tard, Pierre Bousquet devient un personnage incontournable de la musique à Villemur.
Le potier des Allées Notre-Dame enseigne aussi la musique à l’école publique et va être impliqué dans les diverses formations musicales pendant plus d’un demi-siècle. On le retrouvera bien sûr dans l’Union Harmonique née après la Grande Guerre jusqu’à la fin des années 1940 . On ne peut que louer ces hommes-là, de vrais passionnés qui ont su mener leurs « troupes » dans la convivialité, dont les répétitions étaient suivies avec assiduité et sérieux, témoins les multiples récompenses et médailles obtenues dans les concours régionaux et nationaux.
Comment ont été recrutés tous ces musiciens ? Pour les ensembles musicaux nés à la fin du XIXe siècle, il est certain que très peu de personnes avaient pu se payer une formation à l’exception de quelques enfants issus de familles aisées. La plupart avaient été formés à l’armée, où tous les régiments possédaient (une musique) un orchestre militaire. À côté des airs militaires, les musiques d’harmonie exécutaient en effet tout le répertoire d’opéra et d’opéra-comique du XIXe siècle, sous la forme d’extraits parfois organisés en « fantaisies » ou en « mosaïques », voire des transcriptions de symphonies, des suites d’orchestre ou de grandes ouvertures. (3) Au début du XXe siècle, les 163 régiments d’infanterie de l’armée française sont dotés chacun d’une musique composée de 38 exécutants, 1 chef et 1 sous-chef dont la hiérarchie des grades (sous-lieutenant, lieutenant, capitaine) est établie en 1902.
Pendant la Grande Guerre, la correspondance entre deux grands mélomanes Théophile Moreau peintre encadreur de la rue Saint-Michel et son voisin Pierre Sicard, boucher dans la même rue, est édifiante. (4) Anciens membres de La Lyre, ils se trouvent tous deux dans des régiments d’infanterie territoriale. En novembre 1915 Pierre Sicard, fort mécontent écrit à son ami : « On a dissous les musiques territoriales de la division, et par ce fait nous sommes rentrés dans nos compagnies… » Privés de musique, ces fantassins de la territoriale en ont gros sur le cœur !
Revenus à la vie civile, et en dehors de ces grandes formations « officielles » bien structurées, ces hommes exerçaient leur talent dans de petites formations animant mariages, fêtes, tours de ville, bals de quartier. Ils fréquentaient notamment le café Peyre dans le quartier Saint-Jean, écumant aussi les guinguettes alentour à Bondigoux, Villebrumier, Tauriac….
Hélas, la guerre de 14-18 va faire des coupes sombres dans toutes ces formations, et dans le milieu des années 1920 seule l’Union Harmonique subsistera, animant la plupart des animations de la ville et ce jusqu’à sa disparition dans les années 1960.
à suivre…
Des articles plus denses consacrés à « La Lyre » de Villemur » et à l’Union Harmonique patienteront, les circonstances actuelles m’empêchant l’accès de certaines archives.
JCF / AVH avril 2020
Notes :
(1) Gérard Brusson) dans « La chanson des blés durs » Brusson Jeune 1872-1972. CAUE de la Hte-Gne Ed. Loubatières, 1993.
(2) Traduction de Georges Labouysse.
(3) Musique populaire et musique savante au XIXe siècle. Du « peuple » au « public » Sophie-Anne Leterrier
(4) Théophile Moreau à La Lyre et Pierre Sicard à l’Union Harmonique ont tenu un rôle prépondérant dans ces deux formations.
Sources :
Exposition AVH consacrée à « la vie des villemuriens vers 1900 » (2017 Mise à jour 2020)
Fonds d’archives Robert Vignals. Archives Pierre Sicard.
Christian Teysseyre Nouvelle Histoire de Villemur Tome 2
Illustrations :
Toutes les illustrations proviennent du fonds d’archives Robert Vignals grâce à la bienveillance de Guy Vignals.
La photo de la musique d’infanterie de l’Armée Française provient de Wikipedia.org