L’U.S. Villemur, du rugby aux fêtes nautiques
Dans un précédent article intitulé « Les premières sociétés sportives à Villemur 1907-1912 » nous avons assisté à l’éclosion des « Gais cyclistes Villemuriens » puis par la suite, des « Gais Sportsmen Villemuriens » Nous avons découvert l’engouement pour les premières courses cyclistes, les concours de tir, et la place que tenait à l’époque la préparation militaire. Ces recherches sur la naissance du sport à Villemur nous ont conduit chemin du Roussel où stand de tir et vélodrome furent construits, première plate-forme sportive de la ville.
La renaissance du rugby après la guerre
Dans un autre article, « Villemur, champion de France de rugby » nous avons assisté, en 1912, à la naissance du club de « football-rugby » son appellation à l’époque : l’Union Sportive Villemurienne.
Après des débuts encourageants, la Grande Guerre va stopper net cet élan et il faudra attendre l’assemblée générale du 3 septembre 1919 pour renouer les liens. Le comité d’avant-guerre a pris l’initiative de cette réunion, et le Président Maurice Gaussens, dont Jean son frère est mort au combat en 1916 dans la Somme, reprend le flambeau « dans le but de savoir si les jeunes gens ont l’intention de continuer la pratique des sports et du football en particulier ». Il ajoute que « plusieurs joueurs d’avant-guerre ont promis leur concours » et lance l’appel suivant : « Il suffit que les jeunes qui ont continué à jouer pendant la guerre, fassent preuve de bonne volonté et de dévouement pour que la société, si florissante en 1914, reprenne son essor ».
Le nouveau bureau est constitué des membres restants du comité d’avant-guerre à savoir M.M Gaussens, Terrancle, Barbe, Vincens, Aussal, auxquels on adjoint M.M Bezombes, Degeilh, Souriac, Fonvieille, les délégués des joueurs étant M.M Descoffres, Ségur et Pélissier. Le président Gaussens entreprend les démarches auprès du Comité des Pyrénées pour l’engagement de l’USV au championnat de rugby et on s’affaire d’autre part pour aménager le terrain de rugby de Malaret – clôture, barrière pour le public, fauchage de l’herbe… Le café Léonard est choisi comme siège social, et la réunion du comité est fixée, sans convocation tous les mardis à 20 h dans une salle de cet établissement. La reprise du championnat est chaotique, beaucoup de matches sont reportés, à cause de la difficulté et du coût des déplacements, mais cela n’altère en rien le dynamisme des dirigeants qui décident de créer au sein du club une commission d’athlétisme en janvier 1921, d’aménager un terrain de tennis dont la section sera créée officiellement en septembre 1922. Une section de basket-ball verra le jour quelques mois plus tard !
Au rayon des curiosités en mai 1923, la tentative avortée d’un match de rugby féminin entre le « Femina Tolosa Sports et « L’Intime Sportive Toulousaine » Les dirigeants villemuriens décident « qu’en raison du peu de spectateurs susceptibles d’assister ce jour-là à la partie, il sera répondu qu’il vaut mieux remettre la rencontre proposée à l’année prochaine… »
Ma curiosité aidant, j’ai découvert qu’en fait ces jeunes femmes pratiquaient un jeu appelé la barette, version nationale du tout jeune Football-Rugby, que tenta de faire émerger un petit groupe animé par le Docteur Philippe Tissié un ariégeois installé à Bordeaux. En 1888 avec un de ses amis il fonde la Ligue Nationale de l’Education Physique qui répond à la création un an plus tôt de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA) à laquelle sont affilés les clubs de rugby, dont l’U.S.Villemur.
Pour la Ligue, et Tissié en premier lieu, les sports anglais ne sont que des anciens jeux français sous de nouveaux noms, donc on ne jouera pas au Football, mais à la Barette. « Ce n’est pas le football des Anglais qu’il faut jouer sur la terre de du Guesclin et de Jeanne d’Arc, c’est la barette française, la bonne vieille barette, que les Parisiens du quinzième siècle appelaient la Rabotte. » (Dixit Tissié) D’abord limitée à la région bordelaise, la pratique de la barette débordera vers Toulouse et Limoges puis le Dr Tissié cherche également à introduire le sport dans les écoles primaires mais sans réussite. Le Football-Rugby va bientôt supplanter la Barette car dans la capitale girondine, le Stade Bordelais fondé en 1889 et champion de France de Rugby en 1899 éclipse les anciens cercles de Barette. Dans sa vague montante, c’est toute l’Aquitaine qui abandonne bientôt le jeu du Dr Tissié.
Après avoir été brièvement réintroduit au début des années 20 comme une pratique exclusivement féminine, la barette va définitivement disparaître une seconde fois.
Club véritablement omnisport, toujours subventionné par le Ministère de la Guerre pour la préparation militaire, l’U.S.V va se tourner vers un autre sport dès 1923 grâce à l’initiative de Monsieur Miramont qui « propose de subventionner les sociétaires propriétaires de canots, qui s’intéressent aux sports nautiques »
Cette proposition va faire son chemin et aboutira deux ans plus tard à l’organisation des fêtes nautiques avec pour point d’orgue « La traversée de Villemur à la nage ». La première manifestation a lieu le 14 août 1925 grâce à la rencontre entre Maurice Gaussens et Ernest Dufer un ingénieur agronome belge arrivé à Toulouse l’année précédente. Véritable apôtre de la natation son arrivée va être déterminante pour le club toulousain du T.O.E.C.
En ce mois d’août 1925, le Royal Brussels Swimming-Club effectue une tournée dans le Midi de la France. C’est un club historique et prestigieux qui compte dans ses rangs nombre de champions de natation et de water-polo. Lorsque Ernest Dufer annonce la venue de cette équipe dans la région et manifeste le désir d’organiser une fête nautique à Villemur, Maurice Gaussens accepte avec enthousiasme entraînant derrière lui L’U.S.V et la Mairie pour la logistique. Après une superbe exhibition à Bagnères-de-Bigorre, la délégation belge met le cap sur Villemur. Journée mémorable que celle du 14 août ! Le matin, discours et vin d’honneur se déroulent à la Mairie. L’après-midi, « fidèles à la tradition qui les honore, les Bruxellois, leur manager M. André Flick en tête, déposaient avec des paroles touchantes une grandiose gerbe de fleurs au pied du monument aux morts éternels de la Grande Guerre, toute la population villemurienne entourait les champions et ne ménageait pas les applaudissements et ses manifestations bienveillantes. »
« La fête fut ensuite une révélation pour Villemur. Le grand plongeur Borrès exécuta quelques magnifiques départs du haut du pont suspendu à 14 mètres au-dessus du niveau de l’eau et ce qui prouve sa grande virtuosité il nous faut dire que la profondeur de l’eau était à peine suffisante et un autre « as » que Borrès n’aurait pu risquer impunément de pareils exploits. »
Place ensuite à Martial Van Schelle et ses camarades sprinters et Félicien Courbet qui donne une leçon de maîtrise dans le sauvetage d’un homme se débattant dans ses bras, et pour terminer, le match de water-polo entre l’équipe bruxelloise et son homologue du T.O.E.C.
« Une foule inouïe couvrait le pont et les berges du Tarn et on peut dire sans exagération aucune que tout le pays, sauf les commerçants obligés bien à regret de garder le magasin ou la boutique, se trouvait là. »
Le soir, une grande réception attendait les nageurs bruxellois et toulousains au château de Saint-Maurice chez Monsieur le Comte de Naurois dont les chaleureuses paroles de bienvenue précédèrent un somptueux repas.
Le journaliste sportif de La Dépêche, Henry Musnik conclut ainsi son article : « Le retour se fit dans des voitures automobiles qui ramenèrent tout le monde à Toulouse dans la nuit. On se souviendra longtemps de l’équipe du Royal Brussels Swimming-Club à Villemur.
Et le Royal Brussels Swimming-Club se souviendra toujours de Villemur. »
Au mois de juillet 1927, Ernest Dufer revient à Villemur pour animer une conférence sur la natation organisée par l’Union Sportive Villemurienne au théâtre municipal. En présence de Charles Ourgaut maire et président d’honneur de l’U.S.V, Ernest Dufer vante les bienfaits et l’utilité de la natation et ces explications étaient nécessaires « pour bien montrer qu’on peut sans aucun danger nager en toute saison et à tout âge. »
Et qui sait si la persuasion et l’enthousiasme de Dufer n’influencèrent pas Charles Ourgaut qui, quelques années plus tard dota Villemur d’une piscine magnifique dans le site du Parc des Sports.
Ces fêtes nautiques seront organisées de 1925 à 1929, traditionnellement la semaine du 15 août, l’inondation de 1930 mettant cette manifestation en sommeil pendant quelques années jusqu’au retour de ces fêtes en 1934.
En 1934, la Fête Nautique est organisée par l’U.S.V dans le bassin du Tarn le 19 août. Une subvention de 1000 francs a été votée par la Municipalité pour la Société, Monsieur Brusson prenant à sa charge la compétition de hors-bords, en attribuant une subvention de 400 francs à la Société.
En réunion préparatoire, le bureau demande aux membres de l’U.S.V beaucoup de dévouement pour cette fête qui doit marquer les esprits.
Sept courses de bateaux et une compétition de hors-bords sont prévues au programme, la traversée de Villemur à la nage clôture cette fête.
Pour chaque course d’aviron, une coupe est offerte au vainqueur, et a titre d’encouragement, une coupe est offerte au vainqueur de la course de hors-bord dont nous n’avons malheureusement aucune photo.
Organisation de la fête de 1934
Le pont est fermé à la circulation ainsi que les Allées.
Un guichet double est prévu à l’entrée des Allées et un autre à l’entrée du pont rive gauche.
Guichetiers :
Gautié, Mouyssac rive gauche.
Vergnet, Paul Gay, Boyer, Téna rive droite.
Commissaires :
Portolès, Puiel, Davy, Baudrillard, Adell, Sengès, Téna, Bréchet, Delprat, Audard, Esquié, Gay.
Prix des places : le prix des places est ainsi arrêté :
– Tribunes rives gauche : 5 francs
– Populaires rive droite : 2 francs
Publicité : l’affichage et la publicité nécessaire seront effectuées en automobile.
Malpel Louis, Boyer Georges et Téna Joseph en assureront le fonctionnement.
« La Traversée de Villemur » est un parcours à la nage d’environ 3 kilomètres dont le départ est donné à hauteur du Château de Vernhes avec une arrivée au pont de Villemur. La compétition porte aussi le nom de « Coupe du Tarn ».
Les bateaux prévus pour accompagner les nageurs à la traversée de Villemur seront conduit par Malpel. A, Rey François et Gay. F
Un remorqueur mis à notre disposition par M. Pendaries Julien les accompagnera.
Le transport des nageurs au lieu du départ sera effectué en camionnette par un véhicule mis à notre disposition par M. André Brusson .
Pour la Traversée du Tarn, il y aura comme prix deux coupes, une au premier de la course, et l’autre au premier villemurien, deux plaquettes et quelques médailles.
En 1935, la fête nautique est présidée par le maire de Villemur Charles Ourgaut. Trente-cinq nageurs, un chiffre record prennent le départ. La course est remportée par Severing (TOEC). Au début de la fête M. Ernest DUFER adresse la bienvenue à Charles Ourgaut ainsi qu’au nombreux public présent. Dans son discours il rappelle l’antériorité de cette fête, les événements douloureux qui l’ont interrompue et souligne que la propagande en faveur de la natation avait porté ses fruits. Il se félicite de l’ouverture prochaine de la piscine de Villemur remerciant au passage les efforts faits par la municipalité en faveur de la natation. Il remercie enfin Monsieur Gailhac secrétaire de l’U.S.V qui s’est chargé avec dévouement de l’organisation d’une fête très réussie.
Dans sa réponse à M.Dufer, Charles Ourgaut rappelle à son tour les premières manifestations de natation à Villemur, et convie tous les sportifs à l’inauguration l’année prochaine du futur Parc des Sports.
Classement 1935 :
1er Severing (T.O.E.C)… 6e Giotti (U.S. Villemurienne) 17e Malpel (USV) 18e Delprat (USV) 24e Croz (USV) 30e Portolès (USV)
Ernest DUFER
(Extraits d’articles du site des Dauphins du TOEC -Historique du club 1908-1930 le temps des pionniers -(1) et de Thierry Dupuy dans « La Dépêche du Midi du 9/2/2022) (2)
Né le 25 avril 1894 à Saint-Gilles-lez-Bruxelles (Belgique), dans une famille aisée (son père dirigeait la Bundesbank de Bruxelles)il arrive à Toulouse en 1924. Doté de moyens financiers importants, l’homme pouvait faire beaucoup mais pas forcément au plan de la natation, la rentabilité n’étant pas garantie. Mais étant passionné de ce sport et sans doute de Toulouse, son choix sera vite fait. Et c’est ainsi qu’à partir de 1924 les fidèles du TOEC vont pouvoir disposer d’un bassin des Ponts-Jumeaux revu et corrigé. L’inauguration a lieu le 25 août 1925 en présence de plusieurs finalistes des J.O de l’année précédente, dont le fameux suédois Borg. Ainsi les toulousains peuvent prendre conscience de ce que représente la natation de haut niveau. Dans ces années-là, et grâce à Dufer, les nageurs toulousains vont s’imposer au niveau régional et bientôt national.
En 1938, la section natation du T.O.E.C. se sépare de l’omnisports et devient les Dauphins du T.O.E.C.
Un homme est à l’origine de cette réussite, c’est Alban Minville. Il va entraîner pendant un vingtaine d’années des nageurs de valeur européenne et mondiale, Alfred Nakache, Georges Vallerey, Charles Babey, Jo Bernardo, Alex Jany, Jean Boiteux et bien d’autres qui connaîtront pour la plupart les podiums olympiques et européens. (1)
Mais Ernest Dufer a une autre vie en dehors du sport. Après avoir décroché son diplôme d’ingénieur agronome, il fait l’acquisition d’un domaine agricole à Puylaroque dans le Tarn-et-Garonne. En 1940, fuyant les forces allemandes, des milliers de réfugiés belges se retrouvent dans la région. Un haut-commissaire belge de réfugiés est nommé à Montauban pour aider les milliers de réfugiés. C’est Ernest Dufer. L’homme s’investit aussi dans la résistance, protège les Israélites et les Belges recherchés par l’occupant, seconde un chef de réseau d’exfiltration de militaires alliés vers l’Espagne… Et puis, tout d’un coup, le châtiment tombe. Dénoncé en 1943, il est arrêté et incarcéré à Fresnes. A la Libération, Ernest Dufer reprend l’exploitation de Puylaroque, devient vice-consul puis consul de Belgique à Montauban. Père de six enfants, il a été fondateur du Rotary Club à Montauban et très bon joueur de l’Echiquier montalbanais. Lorsqu’il meurt, le 29 juillet 1972, il sera porté en terre dans le cimetière de Puylaroque.
Un hommage solennel lui est rendu en janvier 2017 par la pose d’une plaque en sa mémoire, au n° 5 du faubourg du Moustier, en présence de trois de ses enfants, de Brigitte Barèges, maire de Montauban et de Jean-Louis Courtois de Viçose, consul de Belgique à Toulouse et de Robert d’Artois, président de l’Association des Palmes Académiques 82. Un simple plaque où l’on peut lire qu’un «Résistant et Français de cœur, a vécu dans cette demeure de 1946 à 1965.» Mais une plaque hautement symbolique qui nous rappelle que le siège du consulat de Belgique a été à cette adresse-là. Mais surtout qu’un homme, Ernest Dufer a beaucoup fait pour aider les réfugiés belges lors de l’exode de 1940. (2)
JCF / AVH février 2022
Sources :
Bibliothèque numérique de Toulouse Rosalis /La Dépêche, le Midi Socialiste, l’Express du Midi
https://cspg-rugby.ffr.fr Lire l’article 1889 : le jeu de la Barette sur l’excellent site du CSPG Rugby, club de rugby situé à Puy-Guillaume dans le Puy-de-Dome en Auvergne
https://www.lesdauphinsdutoec.net/historique
http://surlatouche.fr/la-barrette-et-le-docteur-tissie/
La Dépêche du Midi du 09/02/2022
Illustrations :
USV 1919, balcon sur le Tarn : Arch. J.C.François. Jeu de la barette : https://cspg-rugby.ffr.fr Photo Van Schelle : Daya BnF.fr. Photo Courbet : Wikipedia. Ernest Dufer : les Dauphins du TOEC. Photo Montauban : DDM/Manu Massip . Tous les articles de journeaux proviennent du site Rosalis, la bibliothèque numérique de Toulouse.