Une monnaie japonaise découverte à Villemur-sur-Tarn

Commentaires fermés sur Une monnaie japonaise découverte à Villemur-sur-Tarn Regards sur le passé. Faits marquants, anecdotes et histoires insolites

Cet article a paru dans le numéro n° 39 de la Revue de Numismatique Asiatique de septembre 2021.
Nous le publions ci-dessous in extenso avec l’aval de l’auteur Marie-Laure Le Brazidec.

Une monnaie japonaise découverte à Villemur-sur-Tarn

 

Résumé. Les archives du Musée de Toulouse contiennent une lettre de 1885 faisant état de la
découverte à Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) d’une monnaie d’Extrême-Orient, en fait
japonaise. Il s’agit d’une « monnaie courante de Tempo » (Tempo tsuho) datant du XIXe siècle.
Peut-être a-t-elle été rapportée du Japon par un des missionnaires nés dans la commune, par
exemple le Père Bernard Lala, aumônier de la Marine, décédé à Shanghai en 1883.

Summary. The Toulouse Museum archives contain a letter from 1885 reporting the discovery
in Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) of a coin from the Far East, in fact Japanese. This is a
“Tempo common currency” (Tempo tsuho) dating from the 19th century. Perhaps it was
brought back from Japan by one of the missionaries born in the commune, for example Father
Bernard Lala, naval chaplain, who died in Shanghai in 1883.

À l’occasion de recherches récentes aux Archives municipales de Toulouse, j’ai été amenée à examiner des dossiers d’archives du musée de Toulouse du XIXe siècle, époque à laquelle il n’existait encore qu’un seul musée municipal, qui deviendra plus tard le musée des Beaux-Arts de Toulouse, après la création et l’ouverture du musée Saint-Raymond en 1892. Un de ces dossiers, portant la cote 2R31, contient différents courriers envoyés au musée pour demander des renseignements, proposer des achats et des dons, et également signaler des découvertes. C’est un de ces derniers documents qui a retenu mon attention.

Information sur une découverte locale

Il s’agit d’une lettre datée du 1er décembre 1885, envoyée par un érudit de la commune de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne), Amédée Sevène, juge de paix, au conservateur du musée de Toulouse, E. Roschach (1837-1909). Il y signale et décrit, à titre informatif, trois découvertes distinctes de monnaies sur le territoire de la commune de Villemur, dans l’ordre de sa présentation : une monnaie de Jean le Bon, une monnaie extrême-orientale et enfin un bronze de Marc Antoine et Cléopâtre (1)

À propos de la monnaie qui nous intéresse plus particulièrement ici, il écrit : « Au même quartier [des Condamines], on découvrit, il y a quelques années, des ossements qui ne furent pas recueillis, auprès desquels on trouva un fragment d’éperon qui a été égaré et une pièce de cuivre qui a été conservée. » À la suite de ces premiers éléments, il décrit et dessine ladite monnaie (Fig. 1) (2) : « Cette pièce est oblongue, percée au milieu comme les pièces de monnaie chinoises. Le trou central et la pièce ont un bord en relief plat. De chaque côté de l’ouverture sont des caractères que j’ai figurés grossièrement ci-dessous » (Fig. 2).

lettre amedee sevene

Fig. 1. Lettre d’A. Sevène, datée du 1er décembre 1885

Une monnaie extrême-orientale

La monnaie décrite et dessinée par A. Sevène dans ce courrier correspond à une monnaie japonaise de laiton Tempo tsuho, fondue à Edo (Tokyo) ou Osaka à partir de 1835, pesant théoriquement 20,6 grammes et valant 100 sapèques. Il en fut fondu jusqu’en 1869 (3). Il est très étonnant de trouver ce type de monnaies, dans un laps de temps assez court puisque la découverte a pris place plusieurs années avant 1885, sur la commune de Villemur. En l’état de la description de la trouvaille, on ne sait si cette monnaie était liée aux ossements et à l’éperon trouvés à proximité.

envers endroit piece japonaise

Fig. 2. Droit : Tempo tsuho (Monnaie courante de l’ère Tempo)
Revers : To hyaku (Vaut 100)

 

Comment expliquer la présence de cette monnaie japonaise à Villemur ? Peut-être en considérant qu’il y a eu, au XIXe siècle, beaucoup de Français qui allèrent au Japon, des diplomates, des militaires et des missionnaires, notamment. Sans doute l’un d’eux habitait-il à Villemur. J’ai cherché dans cette direction et j’ai trouvé au moins une personnalité locale liée à l’Extrême-Orient : Gabriel Lespinasse de Saune (1848-1939) (4), marin militaire français qui a notamment navigué sur les mers de Chine et du Japon, ayant embarqué comme lie vaisseau sur le croiseur à batterie Thémis en 1881, avant de revenir en janvier 1885 à Paris comme attaché à l’état-major au ministère de la Marine. Sa famille possède de nombreux et riches domaines, dont l’un se situe à Sayrac, sur la commune de Villemur, où le marin s’éteindra. Mais nous sommes ici à des dates contemporaines de la lettre d’A. Sevène, ce qui ne peut pas correspondre à la période de découverte indiquée. Notons toutefois pour finir sur ce personnage, que c’est lui qui, en tant que Commandant du transport l’Isère, conduira la statue de la Liberté à New-York en 1886.

L’arrivée de cette monnaie pourrait donc plutôt être liée à un des nombreux missionnaires catholiques que la commune vit naître au XIXe siècle (5). Aussi dans cette liste, trouvons-nous le père Bernard Lala qui fut aumônier de la marine et qui décédera en 1883 à l’hôpital militaire et maritime de Shanghaï. Un lien avec lui pourrait être envisageable, à la faveur d’un passage à Villemur ou de l’envoi d’objet à sa famille, par exemple. Il est très difficile, sans plus d’éléments à notre disposition, de suivre le cheminement de cette monnaie japonaise jusque sur le territoire de Villemur-sur-Tarn, probablement dans la seconde moitié du XIXe siècle et avant les années 1880. Il est simplement possible d’évoquer le rôle possible de missionnaires ou de militaires, en particulier. Dans la notice qu’il publia quelques années plus tard, en 1898, sur l’histoire de Villemur, A. Sévène ne dit pas un mot sur le XIXe siècle et mentionne encore moins cette découverte qui était donc restée jusqu’à aujourd’hui complétement inédite. La voici maintenant livrée à la sagacité des chercheurs, qui pourront peut-être apporter prochainement quelques éclaircissements.

 

Marie-Laure Le Brazidec
Chercheur-numismate associé aux UMR 5140 (ASM, Montpellier) et 5608 (TRACES, Toulouse)
Membre titulaire de la Société française de Numismatique
Vice-présidente de la Société d’études numismatiques et archéologiques
Toulouse 

Notes :
(1)  Les deux autres monnaies feront également l’objet d’une publication.
 Il s’agit du lieu-dit des Condomines,  situé à la sortie de Villemur entre la route des Filhols et celle de Varennes.
(2) Les photos sont de l’auteur.
(3) L’identification a été faite par F. Joyaux que je remercie très chaleureusement.
(4) Voir https://villemur-historique.fr/2017/09/14/gabriel-lespinasse-de-saune.
(5) Voir http://www.letisserand-de-sayrac.com/les_pretres__nes_a_villemur_911.htm

 

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