La vie artistique à Villemur (4) : le théâtre au Moulin

Commentaires fermés sur La vie artistique à Villemur (4) : le théâtre au Moulin Regards sur le passé. Faits marquants, anecdotes et histoires insolites

Le théâtre au Moulin

 

Dans les temps anciens…

Nous avons évoqué, dans un chapitre précédent, la première exhibition de la Société Philharmonique ayant eu pour cadre  une salle de « L’usine » Brusson en 1887.
En 1901, c’est « La cour d’honneur de l’usine » qui sert d’écrin à la Fête populaire donnée par M. Brusson Jeune, Maire de Villemur aux habitants du Canton à l’occasion de son élection au Conseil général.

Mais un lieu plus prestigieux va bientôt abriter fêtes et réceptions au sein de la manufacture. Sur la photo ci-contre, le seul document  mentionnant «L’Union Philharmonique » et non « La Société Philharmonique»

salle du paquetage

Jour de fête dans la salle du paquetage en 1901.

En 1898, dans le cadre de l’extension de l’usine Brusson Jeune, est construit un bâtiment parallèle à ceux du cartonnage et de l’imprimerie. Le rez-de-chaussée sert d’entrepôt de cartons et de produits finis. Le premier étage, entouré de sa vaste mezzanine, avec sa triple charpente métallique à croisillons, en forme d’anse de panier, frappe encore aujourd’hui par l’harmonie de ses proportions.
De nombreux villemuriens ont pu  visiter ce bâtiment rénové à l’occasion des récentes  journées du Patrimoine (1)

 

 

salle eiffel

La salle « Eiffel » aujourd’hui

Cet étage sert, à l’époque, d’atelier de paquetage, (2) mais aussi occasionnellement de « salle des fêtes .» Un théâtre y est aménagé et des représentations musicales et théâtrales sont offertes aux villemuriens et au personnel de l’usine lors d’événements d’importance. Ainsi en septembre 1901, le voyage corporatif organisé par le journal l’Epicier, rassemblant plusieurs centaines d’invités, fait étape à Villemur pour visiter la Manufacture de pâtes donnant lieu à une réception somptueuse.

Autres exemples de grandes fêtes, la Sainte-Cécile 1905 avec le formidable concert offert par l’Ecole Philharmonique Toulousaine et La Lyre de Villemur ou encore le mariage d’André Brusson en 1925 dont la partie musicale est assurée par l’Union Harmonique. Certaines manifestations donnaient également lieu à la distribution des diplômes d’honneur et des médailles du travail au personnel.

projet bourderes

Le projet de M.Bourdères en 1921

En 1921, après le rachat de la Salle des fêtes Saint-Jean par la municipalité, la salle du Moulin (propriété des Brusson) est envisagée comme terrain de repli à l’usage de l’Amicale des anciens élèves de l’école des Frères.
Un certain Monsieur Bourdères – un employé de la Manufacture – dans une lettre à Antonin Brusson, envisage de transformer cet espace qu’il appelle salle du Donjon, en une salle de cinéma-concert pour faire face à la concurrence étrangère (sic) entendez par là les séances de cinéma qui se déroulent sous la halle municipale ! Il faut préciser que les relations entre Antonin Brusson et le maire Charles Ourgaut étaient plutôt tendues !
Cette salle « pourrait accueillir 400 personnes, 600 si on créée une galerie et, rajoute t’il, et cela ne gênerait en rien les locataires de la boulangerie.»  (Le boulanger d’alors, installé dans la Tour était Marius Pélissié).
Pour des raisons inconnues, le projet va avorter.

Le théâtre au Moulin 1946 – 1975

plan theatre du moulin

Plan du théâtre du Moulin

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, faisant suite à la restructuration des ateliers de la Manufacture Brusson Jeune, les éléments du théâtre sont transportés de la salle de paquetage vers la grande salle du premier étage du Moulin (actuelle « Tour de Défense ») C’est André Brusson, désormais propriétaire des lieux, qui pilote les travaux.
La salle peut accueillir 213 spectateurs au parterre, et par un escalier on accède à la galerie où 66  places sont disponibles. Une cabine de cinéma  est également à disposition sur cette galerie.
Au total la salle a une capacité d’accueil de 278 spectateurs On est bien loin des 600 spectateurs prévus par Monsieur Bourdères, mais cette salle intimiste a belle allure.

L’inauguration a lieu le dimanche 24 février 1946, et à 21 heures précises, le rideau se lève pour une soirée de gala offerte par « la  Cantoria Saint-Michel » accompagnée par l’Union Harmonique.
Le spectacle est en deux parties entrecoupé d’un entracte.

Cette « Cantoria Saint-Michel » est en fait une émanation de la chorale « Cantoria Sainte- Cécile » créée en 1941 par l’abbé René Lauzet composée de villemuriens de tous âges auxquels se sont joints de nombreux réfugiés mosellans. (3).
Au début des années 50 la troupe prend le nom de « Groupe Lyrique du Vieux Moulin »

programme inauguration

Programme de l’inauguration du théâtre le 24 février 1946.

Après la Libération, un vent de liberté souffle dans la population, on éprouve le besoin de  se divertir après tant d’années de privations et contraintes. Dans ce groupe de jeunes d’une même génération encadrés par quelques chevronnés déjà mordus par le démon du théâtre amateur,  « la mayonnaise va prendre » comme l’on dit familièrement.

C’est ainsi qu’ils vont être des dizaines à « monter sur les planches » pour chanter, danser, jouer la comédie, et  distiller pendant des années , farces, opérettes, vaudevilles comédies tout au long de soirées mémorables accompagnées au plan musical par l’Union Harmonique .  Entre 1946 et 1954, une vingtaine de soirées seront ainsi jouées dans la « salle du Vieux-Moulin ». Au moins autant de ces spectacles mais également d’autres créations seront données à l’occasion des kermesses de l’école libre jusqu’au début des années 1960. Ces soirées se déroulaient à la fin juin et avaient pour cadre la cour de l’école Saint-Pierre ou  les jardins de la maison Brusson avenue de la Gare.

Sur la photo ci-dessus, représentation du  » Ballet Aragonaise  » le 20 février 1949 .
De droite à gauche : Michèle Fontès, Pierrette Sicard, Huguette Catto, Thérèse Lacoste, Andrée Catto, Anita Barthélémy. Quelques noms de participants parmi tant d’autres que vous pourrez déchiffrer sur les programmes illustrant cette page.

programmes

Quelques uns des spectacles proposés par la Cantoria ou le Groupe Lyrique du Vieux-Moulin

groupe lyrique

Le groupe lyrique de l’Union Symphonique. Debout, à l’extrême gauche, Germain Vignals

Mais qui dirige tout ce beau monde ? Plutôt qu’une personne, c’est la famille Vignals tout entière qui est aux manettes. Germain Vignals et son épouse Reine, tiennent commerce dans la rue Saint-Michel, lui est sabotier et elle modiste. Ils sont comédiens amateurs depuis belle lurette, Germain a fait partie du groupe lyrique de l’Union Symphonique avant la Grande Guerre !

robert vignals

Robert Vignals en 2014

Robert Vignals le fils,  monte aussi sur les planches, créée les décors. Il a de qui tenir : son grand-père Théophile Moreau, peintre-encadreur, musicien passionné, était un des piliers de la Lyre de Villemur, membre éminent de l’amicale des anciens élèves de l’école des Frères, jouait la comédie à l’occasion, c’est lui aussi qui fabriquait les décors de la Salle Saint-Jean, ancêtre du Théâtre Municipal. Lorsque Germain Vignals décède en 1951, c’est Robert qui prend les choses en main, adoubé par André Brusson qui est toujours le propriétaire du Moulin. Robert est l’homme à tout faire, acteur, metteur en scène, il élabore les décors, organise les répétitions au Moulin. Parfait organisateur rien ne lui échappe : les spectacles sont déclarés en bonne et due forme à la SACEM, la sécurité est discutée avec Gaston Grasset commandant des Sapeurs-Pompiers etc …(4)

Spectacles divers

Au fil des années la programmation, sous la houlette de Robert Vignals sera des plus éclectiques, alternant opérettes, pièces de théâtre, spectacles de variétés, vedettes locales… De nombreuses troupes toulousaines se produisent sur la scène parmi lesquelles « Les Comédiens Troubadours » (1955), « la Compagnie de la Chanson », on y joue l’opérette « Le Pays du Sourire » (1954) la comédie musicale « Rosette » avec en vedette Paulette Pastor. En 1953, « Au soleil de Toulouse » autre opérette dont la musique est composée par le pianiste et chef d’orchestre Lionel Cazaux. Ce dernier est également organisateur de spectacles qui font la part belle aux opérettes de Charles Mouly représentées jusque dans les coins les plus reculés de la région et qui connaîtront un grand succès dans le Midi Toulousain . Ainsi se produiront au Moulin, Dominique,(Gaston de son prénom)le transformiste, interprétant « La Catinou » dans l’opérette « Un américain à Minjesèbes » et bien sûr Georges Vaur dans « Sacré Piroulet » (5)

georges vaur

Georges Vaur

A de maintes reprises « Catinou et Jacouti » le duo comique occitan fit hurler de rire la salle du Moulin. Georges Vaur que j’avais jadis rencontré m’avait rapporté de façon touchante le plaisir qu’il avait eu à jouer dans cette salle,  l’accueil si sympathique du public villemurien, et son amitié envers Robert Vignals son cadet de 3 jours ! (6)
Au sortir de ces années d’après-guerre, après de longues années difficiles à bien des égards, ces spectacles populaires furent très prisés, en étant un excellent dérivatif à une époque où les loisirs n’étaient pas légion et où le petit écran n’était pas encore rentré dans les foyers.

Le théâtre du Vieux-Moulin va servir aussi de cadre à de nombreuses soirées organisées par de multiples associations caritatives, sportives ou culturelles. Le Comité local puis cantonal de la Croix-Rouge Française, y organise sa soirée de gala annuelle de 1953 à la fin des années 1960.
On refuse du monde pour le grand gala de l’U.S Villemurienne, le 2 décembre 1952, relevé par la présence du Docteur Paul Voivenel, Président d’honneur de la Fédération Française de Rugby, qui entre deux actes, parla du « Sport et de l’Esprit » dans un discours bref mais empreint d’émotion.
Tandis que les écoles Libres utilisent le Moulin pour leur kermesse annuelle (1951, 52) dans les années 1970, c’est le cercle Philatélique de Villemur qui investit le Moulin pour son exposition annuelle.

Des années 1970 à nos jours

falba baschiera

à gauche, Jean Baschiera dans son atelier, à droite inauguration de la salle André Falba en 2011

Depuis quelques années, la ville de Villemur a étoffé son programme culturel et accueille  dans les salles du rez-de-chaussée de la Tour de Défense, environ une dizaine d’expositions annuelles. Peintres, sculpteurs, photographes, artistes locaux trouvent dans ce cadre magnifique un lieu idéal pour afficher leurs œuvres. Diverses associations locales y exposent également :  « L’Atelier d’arts plastiques », les « Doigts d’Or », d’autres encore….
Par le passé de beaux hommages ont également été rendus aux artistes villemuriens Jean Baschiera  et André Falba dont une salle porte le nom.

Enfin depuis 2009 les Amis du Villemur Historique bénéficient de cet écrin chargé d’Histoire pour présenter leur exposition annuelle avec pour partenaire l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Villemurien (7)

Je conclurai cet article par un souvenir personnel.
A la fin des années 1950, le jeudi matin après l’heure de catéchisme, l’abbé de l’époque nous emmenait au Moulin pour une séance de cinéma très attendue, ce qui je pense, motivait l’assiduité de certains…

De ces séances matinales, je garde en mémoire les films retraçant les aventures de Tintin et Milou : le film muet, pas de son hormis le ronronnement du projecteur,  l’image fixe qui tressaute régulièrement, le film qui casse parfois…
Qu’importe, c’était du pur bonheur avec à la clé des rêves à la pelle ! 
Le film est terminé. En lettres grasses, le mot FIN s’affiche. Une volée de gamins se lève dans un bruit assourdissant. Clic Clac ! L’abattant en bois servant de siège qui se rabat contre le dossier résonne encore à mes oreilles… Clic Clac, Clic-Clac…

Clap de fin !

JCF / AVH juin 2020

Notes :
(1). On l’a baptisé du nom de « salle Eiffel » car ses structures métalliques rappellent les ouvrages du génial ingénieur. La fin du XIXe siècle voit l’architecture métallique révolutionner la construction ; à Toulouse, les marchés des Carmes et de Victor-Hugo ont été construits selon cette technique. Pour ce nouveau bâtiment,  en 1898, Jean-Marie Brusson va faire appel aux ateliers de construction Saint-Eloi situés sur un terrain appartenant à la famille, à Toulouse dans le quartier des Minimes.
(2) Salle où l’on conditionne les pâtes alimentaires, où on les met en paquets.
(3) né à Launaguet en 1913, prêtre en 1938, professeur au Petit Séminaire de Toulouse. Après son passage à Villemur, il est vicaire à l’Immaculée-Conception,directeur de la Scola Cantorum de la cathédrale Saint-Etienne puis aumônier du monastère des Dominicaines de Blagnac où il décède le 8/10/1997.
(4) Robert Vignals, né à Villemur le 22/9/1920, décédé en 2015.
(5) Charles Mouly (1919-2009) journaliste de radio et de presse, écrivain et auteur de théâtre, illustrateur, créateur des personnages de Catinou et Jacouti qui connurent une grande célébrité dans le Midi toulousain dans la deuxième moitié du xxe siècle.
(6) Georges Vaur, né le 19 septembre 1920 dans le quartier de Saint-Cyprien à Toulouse,décédé en 2010.
(7) Entre 2001 et 2008 l’A.S.P.V organise une exposition annuelle ayant pour thème le patrimoine du villemurois dans des domaines aussi variés que le monde agricole,les vieux métiers et outils, la pêche, le sport…)

Illustrations :
La grande majorité des illustrations provient du fonds d’archives que nous a légué Robert Vignals (†) avec l’aimable autorisation de son fils Guy que je tiens encore une fois à remercier vivement.

Autres photos :
Photos de Georges Vaur, Jean Baschiera André Falba : « La Dépêche du Midi »
Document Bourdères : Joël Brusson
Robert Vignals : Jean-Claude François.
Salle  » Eiffel  » : Mairie de Villemur-sur-Tarn

 


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