Villemur au temps de la Révolution
Avec la Révolution, nous entrons dans une décade de fortes turbulences, à Villemur comme dans de multiples communes en France. Nous assistons à la fin d’un monde, à la passation des pouvoirs, de l’Ancien Régime à la nouvelle République.
Si cette période s’est déroulée sans effusion de sang, elle est tout de même marquée par la violence, tant verbale que physique. Au plan politique nous assistons à des bouleversements permanents, c’est le temps où les lois et décrets s’accumulent, où les édiles locaux ont des vies politiques parfois éphémères. C’est le temps aussi des revendications sociales, le temps des disettes et de la misère qui font gronder le peuple.
Les années qui suivent 1789 sont aussi une période difficile pour l’Eglise, persécutée sans cesse, où arrestations et emprisonnements se succèdent. L’ordre local est fortement troublé par les frasques de la Bande Noire et de l’abbé Peyrusse, nous y reviendrons plus tard.
Dans les pages qui suivent nous allons essayer d’y voir plus clair sans toutefois rentrer dans des détails politiques par trop nombreux et indigestes.
L‘administration locale sous l’Ancien Régime
Le conseil municipal nommé conseil politique, est la base de l’administration municipale. En 1789 il se compose de quatre consuls – maire et adjoints – et de douze conseillers politiques.
Le premier consul à la qualité de maire, il est choisi pour 4 ans. Le second consul à qualité de lieutenant de maire (En quelque sorte le premier adjoint), son mandat est de 3 ans.
Viennent ensuite les deux autres consuls dont la durée d’exercice est de 2 ans, mais l’un de ces derniers est alternativement remplacé chaque année. La fonction de consul n’est pas élective : c’est un « office », c’est-à-dire une charge que l’on achète.
Le choix des consuls est exercé par le vicomte Guy de Ménoire, conformément à l’ancienne coutume, sur une liste adoptée par le conseil politique.
Les douze conseillers politiques sont des notables choisis parmi les plus forts contribuables.
Ils sont élus pour 2 ans et renouvelés par moitié chaque année. Ne participent à leur élection que les chefs de famille payant un certain revenu cadastral. La dernière réunion du conseil politique d’Ancien Régime a eu lieu le 7 mars 1790.
Le premier consul faisant office de maire était alors Jean-Baptiste Subsol seigneur de Puylauron, le second consul Jean Pendariès, le troisième Jean Campan, et le quatrième Jean Brusson. (1)
Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous sur le personnage du maire, Jean-Baptiste Subsol. (2) Il est seigneur de Puylauron, petit territoire de la paroisse de Varennes, consulat de la Vicomté de Villemur. Ses ancêtres maternels les Lamy possèdent cette seigneurie depuis près de deux siècles. Il a reçu son investiture le 23 mai 1787 succédant à Etienne Mathieu dans cette charge. C’est un homme cultivé, passionné d’histoire, ses discours enflammés jalonnent les délibérations du conseil municipal de l’époque. Sa relation de la Grande Peur d’août 1789 (3) « témoignage pour la postérité » dit-il, est un document d’anthologie. Il cerne parfaitement la situation du moment, se soucie des nécessiteux de la ville et du Consulat. C’est aussi un visionnaire éclairé de son temps, témoin son intervention du 16 janvier 1789. Revenant sur le souhait des villemuriens d’avoir un député représentant du Tiers-Etat aux Etats Généraux il répond ceci : « La réclamation générale du Tiers-Etat a été sans doute excitée par l’ambition de vouloir concourir à maintenir et augmenter le rôle de l’Etat, plutôt mû par la crainte que les deux ordres supérieurs ne profitent du nombre pour continuer à verser sur votre ordre la plus grande charge des impôts. Non, Messieurs, une pareille crainte ne peut être conciliée avec l’idée que nous avons de l’esprit de charité, symbole du premier Ordre, (Le Clergé) ni avec le noble caractère des descendants des héros des anciens Francs (La Noblesse). Le siècle des Lumières doit tranquilliser sur les siècles passés. L’hydre féodale est prête à expirer… » (4)
L’échéance est proche ! Dans 6 mois la Révolution va sonner le glas de l’Ancien Régime
L’économie
Elle est fondée essentiellement sur l’agriculture. Les parcelles sont morcelées sur les coteaux et cultivées de façon traditionnelles. Les grandes propriétés sont dans la plaine du Tarn : c’est le domaine des céréales : blé, seigle, millet. La culture de la vigne est présente ainsi que le chanvre. Les échanges commerciaux se font essentiellement par voie d’eau ; à Villemur, la batellerie et les métiers qui en découlent emploient un grand nombre d’habitants (patrons et maîtres de bateaux, marins, radeliers, mais aussi charpentiers de bateaux, cordiers… )
La forêt royale toute proche joue un rôle d’importance bien sûr auprès des charpentiers de bateaux, mais également des potiers, tuiliers briquetiers dont elle alimente les fours. Cette population est soumise à de nombreuses taxes féodales à savoir les banalités (5) et corvées, (entretien chemins et fossés) ainsi que les dîmes dues au clergé.
Les aléas climatiques viennent aggraver la situation économique. Ainsi à la veille de la Révolution, en 1788, aux pluies et orages de l’été, (en particulier ceux des 4 et 5 août) succéderont de terribles gelées de l’hiver qui anéantiront les récoltes.
La débâcle des glaces qui emporte la digue des moulins de Villemur le 10 janvier 1789 portera un grand préjudice aux bateliers et artisans de la ville.La communauté est alors obligée d’intervenir pour soulager la misère des plus démunis, en achetant des grains et en vendant du pain à prix réduit, et aussi en créant des chantiers de travail. Pour remplacer le Moulin du Pas démoli par l’inondation sur la rive gauche, on reconstruit un nouveau moulin en face de la Tour de Défense. (6)
Préparation des états généraux
La convocation
Sous l’Ancien Régime, les États généraux sont des assemblées extraordinaires qui réunissent des représentants de toutes les provinces appartenant aux trois ordres de la société : clergé, noblesse et tiers état. Ils sont convoqués par le roi pour traiter d’une crise politique, d’une guerre, d’une question militaire ou fiscale. A l’été 1788, la situation financière catastrophique du Royaume amène Louis XVI à convoquer les Etats Généraux qui n’avaient pas été réunis depuis 1614. Eux seuls peuvent décider la levée de nouveaux impôts et engager la réforme du pays avec l’espoir d’une sortie de crise.
C’est le dernier moyen pour sauver le pays de la faillite, mais il faut faire vite, le peuple est à bout, la révolte gronde.
Pour s’assurer du succès de ces Etats Généraux, l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 1788, il est demandé aux municipalités de vérifier dans leurs greffes, tout ce qui pourrait être relatif aux convocations d’Etats Généraux précédents.
A Villemur, comme dans toutes les communes, on cherche dans les archives anciennes…mais, rapporte le maire Jean-Baptiste Subsol dans la délibération du 28 août 1788 : « … malheureusement, ayant été dégradées dans plusieurs occasions, ces archives se trouvent réduites à très peu de titres et documents anciens. »
On tente une explication : « Cette ville fut quelque temps au pouvoir des Anglais, dans leur retraite ils emportèrent les actes les plus précieux. » (7) « Ce n’est pas la seule époque où la ville a souffert des grandes pertes… Lors de la grande secousse qu’éprouva le Royaume au temps de la Ligue, (Les Guerres de Religion) cette ville fidèle à ses rois, résista à la tentation quoique catholique. Son zèle et son amour pour son roi légitime l’exposa au soutien de deux sièges considérables…Dans le dernier de ces sièges, l’Hôtel de Ville exposé à l’artillerie placée sur la rive opposée du Tarn, fut incendié… ( D’autres aléas comme l’incendie de 1743 mettront à mal l’édifice public). Ce n’est pas sur une simple tradition que nous exposons ces faits… mais (ce) que nous présentons est soutenu par le répertoire qu’ont donné des actes et titres déposés à la Tour de Londres, dans lequel on voit la note des privilèges donnés à cette ville »
Cette même délibération nous informe sur les désirs de Villemur d’envoyer un député aux Etats Généraux. « Cette communauté étant la plus grande du diocèse (Bas-Montauban) et une des plus étendues de la province du Languedoc puisqu’elle renferme, outre la ville quinze autres paroisses et villages… » Cette demande sera renouvelée plus tard mais hélas, restera lettre morte au grand dam des villemuriens.
Jacques Necker, le ministre des Finances, fixe en janvier l’organisation des élections qui commencent en février 1789.
Le pays toulousain est divisé à cette époque en 3 circonscriptions électorales : la sénéchaussée de Toulouse – dont fait partie Villemur – la sénéchaussée de Comminges (Muret, Saint-Gaudens), et le « pays-jugerie » de Rivière-Verdun, à savoir l’ensemble des localités dispersées sur la rive gauche de la Garonne entre son confluent avec le Tarn et les Pyrénées.
Election des représentants et rédaction des cahiers de Doléances
Dans chacune des circonscriptions tous les membres du clergé et de la noblesse s’assemblent au chef-lieu (Toulouse, Muret, Verdun-sur-Garonne) pour élire directement leurs députés aux Etats Généraux. Les membres du tiers-état étant trop nombreux pour tenir une assemblée unique, des assemblées de paroisse ont lieu dans tous les villages, elles désignent des délégués à l’assemblée de la sénéchaussée.
A tous les niveaux, les participants aux assemblées électorales rédigent un « cahier de doléances » pour formuler leurs revendications, plaintes et souhaits. Nous n’avons retrouvé aucune trace de des cahiers pour la commune de Villemur ; nous ne savons rien non plus des conditions de sa rédaction. Par contre, dans nos archives communales nous avons consulté les cahiers de Doléances des communautés de Vilette et de Montvalen qui toutes deux dépendaient de la Vicomté de Villemur.
Au hasard de la lecture, figurent des vœux : « les habitants de cette communauté supplient votre Majesté que les impositions soient réparties avec plus de justesse… » des espoirs « que votre Majesté ordonnera qu’à l’avenir le Tiers-Etat aura au moins un député par communauté à l’assemblée du Diocèse dont on prendra l’avis pour les dépenses à faire »
Tous soulignent la lourdeur et l’injustice des impositions.
D’autres cahiers sont parvenus jusqu’à nous A Bondigoux, ils ont été rédigés par Pierre Amat (Notaire de Layrac et Bondigoux), car la majorité des gens ne parle ni n’écrit le français, mais l’occitan. Les habitants de Bondigoux mettent en cause le « despotisme » de Villemur qui les tient à l’écart des assemblées primaires de la communauté et qui les considèrent comme de vulgaires ruraux. Nohic, Orgueil, Bouloc et Bruguières ont aussi rédigé des cahiers. Tous soulignent la lourdeur et l’injustice des impositions.
À quelques mois de la Révolution, loin d’aspirer à un changement de régime, les couches populaires du tiers état renouvellent leur confiance envers Louis XVI qu’elles considèrent comme un bon roi et qu’elles savent gré d’organiser des états généraux pour leur donner la parole. Elles voient en lui une figure protectrice, paternelle, qu’elles encouragent à défendre les plus faibles.
En revanche, les mêmes se montrent plus critiques envers la gouvernance et notamment la politique fiscale unanimement décriée et tenue pour responsable de la misère du peuple.
Nous savons par la délibération du 8 mai 1789 que quatre délégués de Villemur ont été envoyés à l’assemblée de la sénéchaussée de Toulouse. Cette dernière a eu pour mission de désigner les députés qui la représenteront aux Etats Généraux de Versailles.
Les quatre délégués de Villemur sont
– le maire, Jean-Baptiste Subsol, seigneur de Puylauron.
– Pierre Viguier, juge en chef;
– Jean Ratier, greffier de la maîtrise des Eaux et Forêts.
– Jean Vieusse contrôleur des Domaines.
Leur séjour à Toulouse a duré 20 jours, de l’Annonciation (25 mars) à la seconde fête de Pâques (13 avril). Le prix de revient de ces journées s’élève à 480 livres, et sera payé par un emprunt communal. A l’issue des débats l’assemblée de la sénéchaussée de Toulouse élira 16 députés pour siéger aux Etats Généraux à Paris ( Clergé et Noblesse 4 députés chacun, et 8 députés pour le Tiers-Etat.). Au cours des trois délibérations entre le 30 mars et le 1er avril, la sénéchaussée de Toulouse établit son cahier de doléances et plaintes, arrêté au cours de l’ assemblée générale du 3 avril 1789.
« Le 5 mai 1789, le roi Louis XVI ouvre les états généraux à Versailles. Une salle provisoire à colonnes a été érigée derrière les Menus-Plaisirs de l’avenue de Paris. Contrairement à la gravure célèbre, la salle est minuscule. Le roi, entouré de la reine et des princes du sang, trône au fond de la salle sous un dais majestueux. Les députés siègent autour, sur plusieurs rangs. Ceux du tiers état y donneront naissance le 17 juin, avec quelques-uns du clergé et de la noblesse, à la première Assemblée nationale.
Louis XVI ouvre la séance par un discours dans lequel il rappelle les circonstances qui l’ont conduit à cette convocation et ce qu’il attend des États Généraux. En roi pacifique, il se déclare « le premier ami de ses peuples ». Suivent les discours de Barentin, le Garde des sceaux, puis de Necker, ministre des Finances, sur la situation économique du royaume. Le déficit budgétaire est de 56 millions. De nouveaux impôts suffiront, selon lui, à le combler.
Mécontent de ce piètre discours sans ambition de réformes, et conscient des attentes du pays, le tiers état prendra les choses en main. La Révolution est en marche… » (8)
à suivre…
JCF / AVH janvier 2020.
Notes :
(1) Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 11 : registre des délibérations consulaires, 1788, 2 mai-1790, 29 mai (1788/1790)
(2) Né le 13 janvier 1723 – à Fronton, décédé le 19 novembre 1803 à Puylauron, Tarn-et-Garonne, à l’âge de 80 ans
(3) Lire sur ce site, la relation de cet événement dans la catégorie HISTOIRE, onglet : » regard sur le passé… «
(4) Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 11 : registre des délibérations consulaires, 1788, 2 mai-1790, 29 mai (1788/1790)
(5) Droit du seigneur de contraindre tous les habitants de sa seigneurie à utiliser, moyennant une redevance en argent, l’équipement technique (four, moulin, pressoir, etc.) qu’il a réalisé à ses frais sur son domaine.
(6) Ce moulin brûlera en 1793. C’est sur ses fondations que Jean-Marie Brusson construira la centrale électrique de sa manufacture de pâtes alimentaires..
(7) Si Villemur fut épargné par la Guerre de Cent Ans, selon certaines sources la ville ne fut pas ménagée par le passage de l’armée menée par Henri II Plantagenêt contre le comte Raimond V de Toulouse en 1159.
(8) http://www.chateauversailles.fr/
Sources :
Extraits révisés de l’exposition AVH/2013
Histoire de Villemur-sur-Tarn Tome 2, Editions des »Amis du Villemur Historique
Archives communales de Villemur-sur-Tarn.
Hérodote.net le média de l’Histoire