1862 : les peintures de l’église Saint-Michel de Villemur

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Bernard Bénézet

 

2. les peintures de l’église Saint-Michel de Villemur

 

Nous sommes en 1862. Cela fait 5 ans que la première pierre de l’église Saint-Michel a été posée. Le curé Jean-François Fieuzet, à l’origine de la reconstruction de Saint-Michel, rongé par la maladie a laissé sa place au curé Robert. Les travaux de maçonnerie de la voûte et de la voûte sont terminés, les piliers intérieurs s’élèvent, le plâtrage intérieur et les travaux avancent rapidement. Il reste à meubler et à décorer cette immensité toute blanche dans le chœur de l’église. On commence à parler de Bernard Bénézet un jeune peintre toulousain où il a étudié à l’Ecole des Beaux-Arts et dont le maître était Hippolyte Flandrin, élève de l’illustre peintre montalbanais Dominique Ingres
On contacte Bénézet, qui  expose son projet ; celui-ci plaît et il relève le défi car c’est son premier grand chantier.   Or Bénézet   n’est pas un inconnu pour le notaire villemurien Hippolyte Ratier auprès de qui il a contracté une dette pour payer ses études à Paris. Il va ainsi négocier sa dette par le contrat passé avec le conseil de fabrique de Villemur le 28 mai 1862 auprès duquel il signe le contrat suivant conjointement avec le trésorier de la fabrique Auguste Vieusse.

« Entre les soussignés, d’une part:
Monsieur Jean Benoît Auguste Vieusse, propriétaire demeurant à Villemur, agissant en qualité de trésorier de la fabrique de l’Eglise du dit Villemur,
Et d’autre part:
Monsieur Bernard Bénézet, peintre demeurant à Toulouse,
A été convenu et arrêté ce qui suit:
Le dit Monsieur Bénézet s’oblige à peindre la coupole de la dite église, conformément à deux compositions qu’il à soumises au Conseil de Fabrique et que le Conseil a agréées.
Ces peintures seront faites sous le contrôle de Monsieur Esquié, architecte diocésain.
Le dit Monsieur Bénézet ne peut déterminer l’époque à laquelle seront finies ces pentures, mais il s’engage à ne point quitter le travail avant de l’avoir fini; elles seront faites à la cire et devront être agréées et reçues par le dit Monsieur Esquié lorsqu’elles seront finies…

« …S’il arrivait que Monsieur Bénézet ne put pour une cause indépendante de sa volonté, terminer les dites peintures, les projets et cartons (¹) qu’il a faits et qui représentent les sujets, appartiendraient à la dite Fabrique et les sommes qui auraient été comptées à Monsieur Bénézet ne pourraient lui être réclamées. Elles lui seraient acquises en paiement du travail qui serait fait et des dits projets et cartons.
Le dit Monsieur Bénézet s’oblige à exécuter les dites peintures moyennant le prix de quatre mille quatre cent francs que le dit Monsieur Vieusse, trésorier, s’oblige de lui payer;
Savoir: mille cinq cent francs lors du commencement des travaux, mille cinq cent francs lorsque les travaux seront finis et qu’ils auront été reçus par le dit Monsieur Esquié et mille quatre cent francs deux ans après.
Telles sont les conditions faites entre les susnommés qui s’obligent de les exécuter fidèlement et de bonne foi. »
Fait en double un pour chaque soussigné
Approuvant l’écriture ci-dessus, 
Ont signé : Bernard Bénezet et  Auguste Vieusse

Et Bernard Bénézet se met à l’œuvre…..

En un temps record, tout juste un an, Bénézet va réaliser une œuvre admirable, quand on sait que la demi-coupole de l’église et le chœur représentent plusieurs centaines de mètres carrés.
La configuration de la surface à peindre ne lui permet pas de brosser un unique tableau; il va donc réaliser plusieurs fresques dont la succession et l’ordonnance révèlent le thème de la composition: c’est l’établissement et le triomphe du christianisme.
Cette victoire a été acquise à l’issue de deux combats :
Le premier, à l’origine des temps et peint tout en haut de la coupole est livré par le glaive : c’est Saint-Michel à la tête de sa phalange qui se précipite sur les rebelles et terrasse Lucifer et les siens.
Le second est gagné par le Christ dont les armes sont faites de douceur et de paix, c’est la fresque « Les Béatitudes », mais aussi de persuasion c’est « Le sermon sur la montagne »
Dans les compositions murales, le peintre a représenté deux allégories tout à fait remarquables, pleines de force et de sérénité:
A droite de l’hémicycle «  la chute du paganisme ». Le paganisme est représenté sous les traits d’un César Empereur et Dieu, exerçant la souveraineté brutale sur les âmes et sur les corps, son règne va finir, un ange le renverse au moment où il s’apprête à haranguer la foule.
A gauche c’est « L’établissement du christianisme ». Saint-Pierre a succédé à César sur le trône romain, Saint-Paul face à un ange élève les évangiles au-dessus de la foule.
Un critique moderne (1) pense que l’artiste s’est certainement souvenu de Michel-Ange et qu’il n’est pas sans évoquer Milton et (2) surtout Dante (3) par l’intensité de sa vision. L’influence de Ingres est incontestable. On la retrouve dans les vêtements aux lignes pures, aux plis savamment étudiés, dans l’ordre,la mesure des compositions et aussi dans les couleurs ,les bleus surtout.
Contrairement à certaines critiques de l’époque qui se félicitaient que le peintre toulousain n’ait pas imité Delacroix, le grand maître du romantisme a manifestement inspiré Bénézet dans la composition du combat de Saint-Michel contre les anges rebelles.
L’œuvre de Bénézet, d’inspiration à la fois classique et romantique, est une pièce précieuse du patrimoine artistique de Villemur.

(1) Docteur Maurice Becq dans La Dépêche du Midi, 1955.
(2) John Milton , poète anglais a écrit « Le Paradis perdu » en 1667, poème épique qui traite de la vision chrétienne de l’origine de l’homme
(3) Référence à Dante Alighieri poète, écrivain et homme politique italien (1265-1321) pour sa « Divine comédie »

ensemble peintures abside

Ensemble des peintures de l’abside

 

La coupole

 

 

 

1 « Le combat des bons et des mauvais anges »
Saint-Michel (patron de la paroisse) à la tête de sa phalange, se précipite sur les rebelles et terrasse Lucifer et les siens ( lutte du bien contre le mal et premier chant de la grande épopée chrétienne) Lutte qui a rempli de troubles le monde des intelligences célestes avant de descendre sur la terre, où elle s’est perpétuée et subsiste encore.

2 : « La création de l’homme »(séparée de la scène principale par un arc-en-ciel)
Dieu le père crée Adam après avoir créé les végétaux et les animaux. Dieu dit un mot et apparaît en pleine lumière.
Les anges étonnés se penchent sur Adam; celui-ci, radieux, regarde avec Amour son créateur, sa silhouette se découpe sur le soleil, nouveau-né lui aussi. 

En plus des qualités réelles de dessin et de coloris, il est souligné les énormes difficultés vaincues par l’artiste- d’où son
talent-  pour équilibrer les déviations optiques rencontrées dans la peinture d’une voûte, l’ombre et les perspectives changeant à
chaque point de vue.

L’hémicycle

3. Les Béatitudes (félicités éternelles)

  Entre la création (coupole) et le sermon sur la montagne, huit groupes de personnages échelonnés deux à deux représentent chacune des béatitudes et se dirigent vers la porte du ciel d’où surgit un ange portant deux couronnes. Cet ange a la majesté et la sérénité convenant à sa mission. Donner forme aux idées de la sentence apostolique : BEATI PAUPERES, BEATI PACIFICI … n’était pas chose facile. Bénézet y réussit très bien.L’allégorie est pleine d’un sentiment vrai, d’une expression neuve et touchante.

 

4 « La chute du paganisme » (Côté droit)

  Situé à droite de l’hémicycle sous la forme d’un tableau, le paganisme est illustré sous la figure d’un César Empereur et et Dieu, exerçant sa souveraineté brutale sur les âmes et sur les corps, son règne va finir. Un ange le renverse au moment où il s’apprête à haranguer la foule, c’est le DEPOSUIT POTENTES DE SEDE. (Il renverse les puissants de leurs trônes)

 

 

 

5 « L’établissement du christianisme »  (côté gauche)

   Situé à gauche de l’hémicycle vis-à-vis de la chute du paganisme. Saint-Pierre a succédé à César sur le trône romain et EXALTAVIT HUMILES (il élève les humbles)
La double clef illustre la grâce qui ouvre le cœur de l’homme d’une part et la miséricorde ouvrant la porte du ciel d’autre part. Saint-Paul face à un ange élève les évangiles au-dessus de la foule. Le visage de Saint-Pierre est très beau. La noblesse de sa pose indique qu’il règne au nom de Dieu.

 

6 :   « Le sermon sur la montagne »

 

Celui-ci s’étale au niveau le plus bas de l’hémicycle. Le sauveur des hommes est assis au centre de la multitude, entouré de ceux qui se prosternent et la foule de ceux et celles qui l’écoutent, se déroule dans une composition admirablement construite ayant incontestablement le sens de la fresque et d’une belle majesté d’exécution.
Juifs, pharisiens, publicains, samaritains apparaissent sur la scène et se rangent de part et d’autre de Jésus sur une ligne sévère qui laisse dominer la figure calme et imposante du divin prédicateur.

detail sermon

Sermon sur la montagne (détail)

 Toute cette foule est vivante, attentive et recueillie, malgré les combats qui  s’opèrent dans la pensée de chacun. Le rationalisme païen, le matérialisme judaïque s’indignent en écoutant la parole qui détruit tous les systèmes et met en évidence la variété de l’égoïsme et de l’orgueil.

    L’attitude et l’expression des disciples ( à droite du Sauveur) contraste avec les jeux de physionomie d’un personnage à la robe écarlate ( un juif qui lutte avec sa pensée) et un groupe de pharisiens rejetant la doctrine nouvelle : DURUS HIC SERMO  A l’opposé, un vieillard romain entraîne son fils, touché par la grâce, en maudissant un enseignement qui menace de renverser l’empire de la force.

ciborium

Années 1950. Dans le choeur, l’immense ciborium qui « mange » les peintures

Bénézet ayant achevé son œuvre, l’autel réalisé par le marbrier toulousain Sicardou peut-être terminé. Cet autel, large de 5,20m et haut de 2,75m était surmonté d’un ciborium(1) de 3,75m de haut, l’ensemble culminant à 6,50 mètres et masquant en partie certains personnages peints par Bénézet. On dit que celui-ci, furieux, accourut à Villemur , escalada l’échafaudage ayant servi à édifier le ciborium, prit pinceaux et peinture, et travestit ainsi les trois ecclésiastiques (le curé Fieuzet et ses deux vicaires)qu’il avait représentés en substituant des vêtements civils a leurs attributs sacerdotaux, et les affublant d’une barbe.
Le ciborium objet de tant de polémiques fut enlevé en 1950 sous le ministère du curé Mittou.

personnages

Personnages peints par Bénézet : 1 auto-portrait. 2 : Mlle Anastasie Darbieu. 3: le vicaire Justrobe. 4 : le curé Fieuzet. 5 : le vicaire Colliou.

Dans l’église Saint-Michel, arrêtons-nous également sur la chapelle de la Vierge dont les peintures murales ont été réalisées par un des élèves de Bénézet, Léon Cazelles, à moins qu’il ne s’agisse d’un des propres frères de Bénézet , Joseph.(2) . Ces peintures auraient été réalisées à titre de remerciements pour une famille de marguilliers (3)  chargée de cette chapelle et qui hébergeaient les compagnons peintres. Sur le panneau central représentant la fuite de la Sainte Famille en Egypte, la mémoire collective rapporte que le bébé ayant servi de modèle à l’Enfant-Jésus – dans les bras de sa mère assise sur l’âne – avait des descendants à Villemur au début du XXè siècle.

chapelle de la Vierge

La chapelle de la Vierge.

Les peintures de Bernard Bénézet ont été restaurées entre 1981 et 1984 par M. Régis Vialaret, un artiste-peintre de Graulhet.

JCF / AVH Décembre 2019

(1) Le ciborium est une construction parfois un objet mobilier destiné à protéger et mettre en valeur un autel
Il affecte généralement la forme d’un dais posé sur quatre colonnes, il peut être en bois, en métal,en pierre,
(2) Cf Christian Mange, Bernard Bénézet, vie et oeuvre, thèse de Doctorat, tome 1 p.29. Cité par Ch. Teysseyre.
(3) Les familles Darbieu-Miramont selon Robert Vignals (†)

Sources :
Jean-Claude François et Yvan Godefroy, L’église Saint-Michel de Villemur. 2009. Non publié.
Christian Teysseyre, Le canton de Villemur-sur-Tarn, Empreinte Editions, 2011.

Photos :
Jean-Claude François, sauf photo du chœur de l’église années 1950 : Robert Vignals (†)

En guise de conclusion lisez l’article de Paul Mesplé paru dans l’Express du Midi du 25 octobre 1935 :

Un amateur d’art éminent, qui vient de parcourir notre région, nous a fait part de la stupeur admirative dont il a été frappé en découvrant dans l’église de Villemur la splendide et formidable décoration du chœur due à Bernard Bénézet. C’est, en effet, une œuvre magistrale qui figurerait dans tous les manuels d’art si elle se trouvait dans une église de Paris ou de sa banlieue. Mais elle en est à plus de 700 kilomètres et, comme elle est intransportable, elle ne pourra jamais faire la conquête des Parisiens.

A Toulouse, Bernard Bénezet est loin d’être un inconnu… Mais il est bien évident que la décoration de l’église de Villemur demeure son œuvre capitale et par ses dimensions et par l’ampleur du sujet, et par la maîtrise incomparable dont cette œuvre témoigne. C’est, en somme, toute l’histoire de l’Eglise qui, du sommet de la voûte jusqu’à l’autel se déroule avec une impressionnante majesté.
Le peintre a divisé la vaste muraille en trois registres où il a imaginé des compositions se superposant à la manière des maîtres du quattrocento italien.
Jusqu’à la voûte, les deux premiers registres sont consacrés à l’histoire humaine de l’Eglise, celle qu’ont faite les saints et les saintes, les docteurs et les pères de l’Eglise, groupés tantôt en théorie symbolique, tantôt en épisodes particuliers.
Sur la voûte se déroule une double composition profondément pathétique. C’est d’abord un enchevêtrement d’ailes noires et de corps tordus figurant la chute des anges rebelles : puis, dans le centre, séparé de cette partie tragique par une sorte d’arc-en-ciel, Dieu le Père, dans une foudroyante majesté, la tête se détachant sur un cercle d’or. Devant lui comparaît une âme nue qui s’agenouille et lève un bras comme éblouie devant cette vision redoutable.
Il est bien certain que des compositions de cette envergure ne courent ni les rues, ni les capitales, ni les siècles.

Le tort de Bernard Bénézet a été, répétons-le, de vivre à Toulouse. En une époque où tout ce qui comptait dans la capitale était de Toulouse, comment l’opinion aurait-elle pu imaginer qu’il restait dans cette ville un artiste supérieur à ceux qu’elle avait coutume d’admirer comme les premiers de son temps ?
Nous échangions ces propos avec notre hôte quand il nous fit part de son étonnement qu’on ait placé devant des peintures de cette valeur un ciborium tellement volumineux qu’il cache fâcheusement le groupe central de la scène la plus basse, cependant composée de personnages plus grands que nature. « Quand on a, dans une église un tel décor, disait notre ami, tout ce qui n’est pas indispensable devrait s’effacer. » Il traduisait trop nos propres sentiments, déjà anciens d’ailleurs, pour que nous nous refusions à transformer sa réflexion en requête que nous transmettons très respectueusement aux autorités ecclésiastiques et municipales de Villemur.

Paul MESPLÉ.

Paul Mesplé (1896-1982) était journaliste, archéologue, aquarelliste, et surtout le conservateur du Musée des Augustins à Toulouse de 1941 à 1950. Il fut aussi l’auteur de très nombreux ouvrages concernant l’art sous toutes ses formes, et l’histoire de nombreux monuments de Toulouse et de la région.

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