1912 : l’aviateur Lucien Demazel à Villemur

Commentaires fermés sur 1912 : l’aviateur Lucien Demazel à Villemur Regards sur le passé. Faits marquants, anecdotes et histoires insolites

 

 

 

demazel

1. Lucien Demazel à 18 ans


Nous sommes en mil neuf cent douze, à la fin de cette période comprise entre 1880 et 1914 que l’on appellera plus tard « La Belle Epoque » Ces quarante ans de paix entre deux conflits, seront marqués, entre autres événements, par de nombreuxses innovations et découvertes qui vont bouleverser le mode de vie d’une partie de l’humanité.  Villemur n’a pas échappé à ces récents progrès technologiques. Les locomotives à vapeur circulent sur la voie ferrée Montauban-Castres depuis 1885, et bientôt en octobre de cette année 1912, Villemur va être reliée à Toulouse grâce au tramway à vapeur comme on l’appelle alors.
Depuis 1896, la centrale électrique de la Manufacture Brusson-Jeune distribue l’électricité, une demi-douzaine d’automobiles pétaradent en ville, et trois « notables » disposent du téléphone à savoir la famille Brusson, Emile Sabatié, et le comte de Naurois à Saint-Maurice.

premier vol demazel

2. Premier vol de Lucien Demazel en 1910

Dans ce monde en pleine mutation, les villemuriens vont bientôt voir de leurs propres yeux  la dernière invention de l’homme : l’aéroplane !
Le rêve d’Icare est depuis peu une réalité. Après les premiers sauts de puce de Clément Ader à l’orée du XXe siècle, Voisin en 1905, Santos-Dumont l’année suivante, les frères Wright en 1908, furent les précurseurs. En 1909, la traversée de la Manche par Louis Blériot eût un retentissement extraordinaire.
De géniaux bricoleurs se lancent dans la fabrication d’appareils qui nous font sourire aujourd’hui.
De leurs ateliers sortent les premiers aéroplanes qui partent à la conquête du ciel. Les premières exhibitions en public voient le jour dès 1906, les premiers meetings aériens datent de 1909.
C’est aussi à cette date qu’apparaissent aussi les premières écoles de pilotage.

Dès lors nombre de pilotes sillonneront la France pour présenter un spectacle aérien totalement inédit attirant des foules considérables.

annonce meeting

3. Annonce du meeting d’aviation

C’est ainsi qu’à Villemur, l’annonce, dans la presse, du programme des fêtes de la Saint-Michel 1912, est assortie d’un « scoop » : l’exhibition de l’aviateur Lucien Demazel !
Eclipsant du coup toutes les autres attractions, salves d’artillerie, concerts, bals et même les courses pédestres organisées par les Gais Sportsmen villemuriens…
« C’est avec un véritable enthousiasme que l’on a appris dans notre région l’arrivée d’un aviateur aussi réputé que M.Demazel, dont le Midi Socialiste soulignait ces jours-ci, les prouesses.
Aussi le public viendra t’il en foule applaudir au vélodrome de Calart, (1) aux merveilleux exploits du tout jeune homme, presque un enfant, du jeune pilote de l’air M.Demazel… »

port aviation juvisy

4. Port-Aviation à Juvisy

Mais au fait, qui est Lucien Demazel, ce jeune prodige ?
Lucien Demazel est pourrait-on dire » tombé tout petit dans la marmite », car son père dirigeait l’école de pilotage « Champel-Demazel » sur le terrain de Port-Aviation à Juvisy dans la banlieue parisienne. Le jeune Lucien ne pouvait que voler. Et son premier vol, il le réalise sur un biplan « Henri Farman » en décembre 1910 alors qu’il a tout juste 16 ans ! Il était né en effet, le 17 avril 1894 à Paris. A 17 ans il passe brillamment les épreuves du brevet de pilote, mais il devra attendre une année pour que ce brevet soit homologué, ayant atteint l’âge légal. Le plus drôle de l’histoire, est que pendant cette année…il donnera des cours de pilotage à des élèves qui obtiendront ce Brevet avant lui !
Enfin le précieux sésame portant le numéro 884 (2) lui est remis le 25 mai 1912. Ce sera le plus jeune chef-pilote de cette époque héroïque. Dès lors le jeune Lucien ne songe qu’à voler.

demazel père

5. Monsieur Demazel Père

Il fait partie de « Ces merveilleux fous volants dans leur drôles de machines » (3) qui sillonnent la France, faisant tout à la fois trembler et rêver les foules dans des tentatives de record de vitesse et d’altitude. Parmi ces fous volants on peut citer Roland Garros, Jules Védrines, Marcel Brindejonc des Moulinais, Georges Legagneux et bien d’autres…  Malheureusement certains de ces casse-cous seront victimes d’accidents et y laisseront leur vie. N’oublions pas que nombre de ces aviateurs s’illustrèrent  aussi pendant la Grande Guerre. 
Demazel père, pendant ce temps, n’est pas resté inactif. Il a créé d’autres écoles de pilotage « Demazel-Caudron » à Juvisy ou « Sagitta-Demazel » à Issy-les-Moulineaux. Il se lance même dans la construction d’appareils et 2 avions sortiront de ses ateliers, le « biplan Demazel CA » en 1912 et le « M 2 »

biplan demazel

6. Lucien Demazel sur biplan Demazel

Le premier biplan, fierté de la famille, était équipé d’un moteur « Anzani » 6 cylindres, 80 cv, sa vitesse atteignait 120 km /h et il plafonnait à 3.000 mètres. Sa surface portante était de 20 m², 8 m d’envergure, 6,5 m de long et pesait 350 kg.
Le meilleur ambassadeur de cet avion était Lucien, qui se produisait en meetings dans toute la France.
Quelle meilleure publicité !

C’est avec cet avion qu’il entame, en septembre 1912, une tournée dans notre région.
D’abord l’Isle-Jourdain, puis Simorre, Cadours, d’où il décolle le 14 septembre , survolant Grenade et arrivant  enfin à Toulouse où il atterrit vers 18 heures. Le meeting du Pont de l’Hers est plus qu’une grande fête, un événement. Un service spécial de tramway est mis en place, avec départ tous les quarts d’heures de la place du Capitole. Le meeting dura 8 jours !

programme saint michel

7. Programme de la Saint-Michel 1912

Le jeudi 26 septembre, Demazel quitte Toulouse pour Villemur. Laissons la parole au journaliste du Midi Socialiste : « Jeudi matin vers 8 heures, un ronflement se fait entendre sur Villemur. Le biplan de M.Demazel qui vient pour la fête d’aviation de Villemur apparaissait sous un soleil radieux et a atterri sans difficultés sur l’aérodrome de Calart où un hangar spécial était installé pour le remiser. L’appareil est visible tous les jours moyennant une somme de 0 fr. 25 par personne. Il paraîtrait également que M. de Rose, aviateur militaire, cousin de M.de Naurois prêterait son concours à la fête d’aviation. Souhaitons que l’autorisation ministérielle permette à l’aviateur renommé qu’est M. de Rose de venir parmi nous.» (Voir l’encadré ci-dessous)
Prix des places : Réservées .francs. Premières 1 franc . Pelouse 0 fr. 50. Billets en vente dans les bureaux de tabac, les prendre à l’avance, conseille le journal !

Le dimanche 29 septembre, le temps est splendide. Cette belle journée de début d’automne débute à 6 heures du matin par des salves d’artillerie suivie d’un concert donné place Saint-Jean. Après les agapes dominicales, la foule se presse sur la rive gauche vers les prés de Calar pour l’événement tant attendu.
Laissons encore une fois la parole à notre journaliste précité : « Comme bien on pense, la foule s’était rendue à l’aérodrome Calart, nombreuse et curieuse, que la jeunesse du pilote lui inspirait par avance une grande sympathie. Autant que j’ai pu en juger avec mes modestes connaissances aéronautiques, l’appareil apparaît, même au repos solide, souple, et taillé pour les longues randonnées. »
Le biplan est sorti de son hangar, poussé sur la piste. Un mécano, barbouillé de noir, s’active près du moteur. Des vapeurs d’huile de ricin envahissent l’atmosphère, la foule retient son souffle. Lucien Demazel s’avance, sa casquette à l’envers vissée sur le crâne. Le moteur rugit.  Le gamin se glisse dans la carlingue.  « Des hommes s’agrippent à l’appareil pour le retenir contre toute envie de prendre ses aises. Puis comme un cri de délivrance : « Lâchez- tout !  » Les gars lâchent tout. (4) L’avion cahote sur la piste, prend de la vitesse, et s’envole.

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8. Autographe de Demazel du 29 septembre 1912

Le journaliste poursuit avec lyrisme : « Il est exactement 4 heures moins vingt minutes quand le jeune aviateur effectue son premier vol. Il file droit sur la commune de La Magdeleine, contourne sur Raygades et après avoir contourné deux fois, vient atterrir sur l’aérodrome à côté des spectateurs, aussi délicatement qu’une bergeronnette insouciante sur la tige frêle des fleurs. Les spectateurs n’ont pu s’empêcher d’admirer la maîtrise de ce futur recordman.
A 4 h 2, nouvelle envolée. Glissant avec une aisance admirable sur la ligne verdoyante, à l’ombre de laquelle courent en murmurant les ondes claires et tranquilles du Tarn, le biplan a couru par-dessus la piste de l’aérodrome, venant ensuite se lever aussi délicatement que la première fois.
A 4h 55, nouvelle envolée. Cette fois, l’oiseau monte plus haut, vire plus souvent et avec plus d’audace, augmente la rapidité de sa course, et revient au-milieu de nous, pauvres mortels, rivés à la terre, après avoir poussé une reconnaissance dans les communes environnantes. Un bouquet est offert à l’aviateur qui, avec un peu de timidité, l’accepte cependant de bonne grâce. Il embrasse la demoiselle d’honneur qui faisait la quête pour les soldats blessés au Maroc, et remise son appareil. Et la foule, en l’acclamant avant de partir, était heureuse et enchantée des belles prouesses du conquérant de l’air. »
Marcel Peyre rapporte également l’anecdote suivante, qui de bouche à oreille est parvenue jusqu’à lui  : « Comme tous les pionniers de l’aviation,  Demazel aimait le danger. Il demanda au maire M. Ourgaut, l’autorisation de passer avec son appareil sous le pont suspendu. Aux yeux du maire le risque était trop grand. La permission fut refusée à l’aviateur…» (5)

Lucien Demazel ne repartira de Villemur que le mardi, direction Saint-Sulpice où il arrivera par le train de 19h 40 en attendant l’aménagement du terrain d’aviation, son  avion étant resté à Calar. Après son exhibition à Saint-Sulpice le 6 octobre il poursuivra ensuite sa tournée dans le Sud-Ouest par Revel, Castres et Graulhet.

Ses exhibitions aériennes l’amèneront même en Espagne où il volera devant le roi Alphonse XIII et le président français Poincaré.
1914. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Demazel ne fait pas la guerre au sein d’une escadrille aérienne, mais il sert pendant la totalité de la guerre au …48e régiment d’artillerie et sera même cité à l’ordre du régiment pour son dévouement au combat.
Après la guerre, toujours attiré par la vitesse, il se tourne vers la course automobile et sera même professionnel. Entre 1928 et 1932  il termine plus de trente courses en vainqueur au volant de voitures prestigieuses telles que les « Bugatti », « Salmson » ou « Hotchkiss » (6)

demazel recente photo

9. Lucien Demazel en 1972

Mais le démon de l’aviation le rattrape bien vite. La voltige lui manque. Il effectue un stage de perfectionnement à l’école d’acrobatie Morane à Villacoublay et organise le centre d’entraînement des pilotes militaires de réserve. En 1939 il effectue 255 heures de vol en mission aux armées. Une bataille aérienne survient, son avion n’a aucune défense. Il s’en tire pourtant bien, son talent d’acrobate du ciel le sauve…
Dans les dernières années de sa vie il se retire en Ariège dans le petit village de Fabas limitrophe de la Haute-Garonne.
En 1972, évoquant alors les avions qui volaient alors dans le ciel toulousain, les « Caravelle », « Airbus », le tintamarre assourdissant du « Concorde » il confiait au journaliste Jean-Claude Soulery « En 1912, on ne pensait pas que cela puisse arriver ! Pour nous l’aviation ne devait jamais être qu’un sport ! »
Le 18 avril 1980 à Fabas, âgé de 86 ans, s’éteignait Lucien Demazel, véritable légende de l’aviation.

Pour la petite histoire, dans l’article consacré à la Tour Béziat, j’ai raconté la dernière conséquence du passage de Demazel à Villemur anecdote rapportée Marcel Peyre  « Quelque temps après,  un jeune homme surnommé Coquet (le fils de la Mariétou) tourmenté par le désir de voler, tenta de décoller sur un planeur de son invention. Il hissa son espèce d’aile volante primitive en haut du coteau, près de la tour de Béziat, prit son élan et… son engin alla s’empaler sur un amandier à mi-côte. L’infortuné Coquet, sérieusement blessé, ne renouvela pas sa tentative. »  Cet intrépide jeune homme « Coquet » était le sobriquet de Jean Dast, né  à Villemur en 1897. Les blessures occasionnées par son accident, firent qu’il fut ajourné du service militaire en 1915, et réformé en 1917. Ce qui ne l’empêcha pas, plus tard, de faire carrière comme vermicellier dans la Manufacture Brusson Jeune.

JCF / AVH Octobre 2019

(1) Le lieu-dit Calar situé entre le collège Albert-Camus et le chemin de Lisar, occupé en grande partie aujourd’hui par le lotissement du « Parc de Calar »
(2) Le brevet de pilote n°1 appartient à Louis Blériot.
(3)Titre français du film britannique réalisé par Ken Annakin, sorti en 1965.
(4) Jean-Claude Soulery, « La Dépêche du Midi »
(5) Marcel Peyre, Vers 1910, anecdotes et personnages. « Du passé au présent »
(6) Vainqueur devant Lucien Demasson du Grand Prix de Bordeaux, couru à Saint-Médard-en Jalles le 26 juin 1932. Les deux Salmson qui signent le doublé avaient été engagées par Henri Laval, concessionnaire de la marque rue Fondaudège à Bordeaux depuis 1929.

Sources :
– La dépêche du Midi du 25/9/1972, l’excellent article du journaliste Jean-Claude Soulery.
– Rosalis, la bibliothèque numérique de Toulouse, articles de presse d’époque de «l’Express du Midi» et du «Midi Socialiste».
– http://www.acso-classic.com/blog/memoire/le-grand-prix-de-saint-medard-en-jalles-1932.html.

Crédit photos :
1, 2, 4, 5, 6 : 
Coll. Jean-Claude François. 3, 7 : Rosalis , bibliothèque numérique de Toulouse. 8 : Coll; Henri Faur. 9 : La Dépêche du Midi. Charles de Rose : photo wikipédia

 

 

 

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