Il y a 75 ans,
Villemur, 20 août 1944
Nous relaterons bientôt quelques pages consacrées à la vie de Villemur entre 1939 et 1945. Nous recherchons toujours documents et témoignages de cette époque. Si vous, amis lecteurs de notre site, pouvez nous aider dans ce sens, n’hésitez pas à nous contacter.
En attendant, dans ces années de guerre, une date restera gravée dans la mémoire des villemuriens : celle, il y a 75 ans, du 20 août 1944, journée marquée par le passage des derniers occupants, la mort de Victor Rey et le massacre de Villaudric.
Avec les quelques témoignages en notre possession, nous avons pu reconstituer les moments forts de cette journée.
Merci à tous ceux qui nous ont aidés à tenter de reconstituer ces événements. (1)
Villemur, 20 août 1944.
C’est dimanche, jour de la Saint-Bernard, une belle journée d’été, chaude et très ensoleillée.
Anne-Marie Péchaud se souvient : « ma tante et ma grand-mère en avaient profité pour faire la lessive de printemps et avaient apporté tous leurs draps à sécher sur les buissons de la route des Filhols mon père était parti en vélo, dans les coteaux pour se ravitailler chez des paysans ; il allait jusqu’à Salvagnac. »
Après des années de souffrance, le dénouement semble proche. Au lendemain du 6 juin, il y a eu tout d’abord le départ des soldats de la Division Das Reich cantonnés à Villemur , puis voilà quelques jours, l’annonce du débarquement allié en Provence. Depuis la veille, les échos des combats pour la libération de Toulouse et de Montauban ont mis la ville en effervescence.
De fortes explosions d’ailleurs ont été entendues en direction de la ville rose.
Les allemands ont, semble t’il, quitté Villemur la veille ou le matin même.
En moins de temps qu’il faut pour l’écrire, on se passe le mot : « C’est fini ! On est libres !
La boutique de Reine Moreau est prise d’assaut, on s’arrache les rubans tricolores…
Alors vers 15 heures, une foule se rassemble place Charles Ourgaut, le drapeau tricolore est hissé sur l’Hôtel de Ville. Une vibrante « Marseillaise » jaillit des poitrines ! Dans la foule de nombreux réfugiés lorrains entonnent à leur tour « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine … ».
Un cortège se forme, emprunte la rue de la République, le maire Désiré Barbe accroche le drapeau bleu blanc rouge au balcon de sa maison.
Direction le Monument au Morts. Là encore, « la Marseillaise » se fait entendre. Hommes, femmes, enfants crient leur joie ! On hisse un drapeau tricolore sur le monument, entre les bras du poilu sculpté par Sentis. Le drapeau mal calé tombe. Un ancien commente en patois : « Aquo’s pourto malur ! » ( ça porte malheur !)
C’est un mauvais présage en effet, car bientôt le bruit court qu’une colonne allemande arrive. (2) La foule se disperse au triple galop, chacun se calfeutre chez soi. Personne ne se doute à ce moment-là, du terrible drame qui vient de se dérouler à Villaudric. (3)
La colonne allemande, son forfait accompli, prend la route de Villemur, incendie au passage les fermes Dast et Gayraud.
À la sortie de Magnanac, la première partie de la colonne prend la route de droite, passant devant la SGE, emprunte l’avenue de Toulouse, tirant de ci de là quelques rafales de mitraillette, une balle perdue traverse la fenêtre de la maison de Jacques Pendaries et vient se loger dans le mur opposé. Il est aux alentours de 18 heures.
Le convoi s’engage prudemment sur le pont. Au débouché de celui-ci l’avant-garde fait feu sur deux hommes qui s’enfuient en courant. Victor Rey, 53 ans employé à la S.N.C.F, est touché mortellement et gît sur le trottoir entre le café Boun et les maisons Bécade et Fonvieille, son fils André est grièvement blessé. Le convoi poursuit sa route, certains véhicules tombent en panne, une voiture brûle devant le monument aux Morts.
Quelques minutes plus tard, la deuxième colonne qui est descendue par Malaret, passe devant l’usine Brusson, et s’engage à son tour sur le pont.
De la maison Pendaries face au pont, Jacques et son copain Gégé Boyer, venu aux nouvelles, ont une vue imprenable sur la scène suivante .
Au beau milieu du pont, une femme pousse une voiture d’enfant, dans laquelle se trouve sa fille handicapée. C’est Madame Boyer, la veuve de Gustave, le tailleur de la rue Saint-Michel. Le premier véhicule s’arrête, un homme descend prend la poussette et la dépose sur le trottoir, le convoi reprend sa route, s’engage dans la Grand-rue…
Alexandre Pendaries, le peintre plâtrier de la rue Saint-Jean, raconte : « Tout le monde était caché, il n’y a pas d’autres victimes ici. La colonne s’arrête en pleine ville car des camions tombent en panne et avancent difficilement. De dans nos caves nous entendons les officiers crier. Nous avons peur qu’ils incendient la ville et que toute la population soit anéantie. Heureusement il n’en est rien. La colonne se remet en marche en abandonnant plusieurs véhicules par-ci, par-là, les uns en état, les autres incendiés ou criblés de balles. Vers 19 heures, deuxième alerte, un camion redescend la côte du Born jusqu’au mur du quai du Tarn. Il tire une grande salve et au bout d’un moment repart en laissant deux allemands morts. Nous avons eu bien peur. »
Les circonstances de la mort des 2 allemands tués dans leur camion rue de la Bataille demeurent mystérieuses. Le coup aurait été fait par deux réfugiés lorrains dit-on… Les corps sont vite évacués et cachés sous un tas de fagots dans un jardin de la rue de la Briqueterie.(4) Anne-Marie Péchaud rapporte : « Les autres Allemands ne voyant pas suivre leurs compatriotes firent demi tour ils trouvèrent le camion vide et repartirent. Mais si ils avaient trouvé les corps je pense que nous aurions payé très très cher et peut-être aurions nous subi le sort d’Oradour. »
Le lendemain, lundi 21 août toujours noté dans l’agenda d’Alexandre Pendaries : « à 7h ½ du matin une nouvelle colonne d’allemands est signalée. Elle passe presque aussitôt. Il n’y a que 8 camions chargés d’hommes de toutes armes. Ils sont prêts à faire feu sur leurs camions. Ils guettent toutes les fenêtres mais ne font aucun dégât en ville.
Ils ne commencent à tirer qu’au bout de la côte du Born, où ceux de la veille ont brûlé une meule de paille. Il n’en passe plus de la journée, mais on en signale un peu partout. »
Dans ces derniers mots ‘Alexandre Pendaries on devine toute l’angoisse, voire la peur d’un éventuel retour des allemands.
À Villemur, on connait maintenant l’ampleur du massacre de Villaudric et les exactions de la colonne allemande.
Les jours qui suivent vont rassurer la population toute entière. C’est bien fini. Les allemands sont partis. Pour autant la guerre n’est pas terminée mais
Villemur est désormais une ville LIBRE
JCF / AVH 20 août 2019
(1) Agenda journalier d’Alexandre Pendaries,(†) transmis par son fils Marcel Pendaries (†) à Jean Marzorati. Témoignages d’Anne-Marie Péchaud, de Lucien Lala, Gérald Boyer, Jeannot Guerci, Pierrot Sicard, Pierre Villa.
(2) Composée d’environ 1500 hommes et 165 véhicules
(3) Ce 20 août 1944, avant leur passage à Villemur, la colonne allemande en retraite traverse Villaudric. La reddition des allemands face aux F.F.I avorte. Un malheureux concours de circonstances met le feu aux poudres, le massacre a lieu dans et devant le café Jambert. Le bilan est lourd 19 morts, une dizaine de blessés.
(4) Fritz Kinderling adjudant de 34 ans et Helmut Rösner 19 ans soldat opérateur. Les deux hommes seront enterrés provisoirement au cimetière communal. Les corps seront enlevés dans les années 1960. Celui de Helmut Rösner repose au cimetière militaire allemand de Dagneux dans l’Ain.
Crédit photos :
1, 2, 3 : Alexandre Pendaries († ) 4 : Jean-Claude François