Paulette Chalanda, la suite.
La publication, il y a quelques mois de l’article consacré à Paulette Chalanda, a suscité beaucoup d’intérêt et d’émotion auprès de nos lecteurs.
À Villemur bien sûr, où j’ai été interpellé maintes fois, Villemur qui garde un souvenir vivace de sa vedette fétiche bien-aimée.
Mais aussi plus surprenant, c’est de la belle région de la Mauricie au Québec que M. Bernard Thompson nous a écrit son émotion à la lecture de l’article, lui l’ancien élève des cours de chant divulgués par Paulette (1) .
Et puis voilà quelques mois nous recevons un courrier venant de Paris où notre correspondant Vassili Karist, (2) explique qu’à la faveur d’une « bienheureuse insomnie » il a découvert « avec émotion l’hommage touchant et sensible » à celle qu’il appelle « l’enfant du pays.» (2)
Cette émotion est double ajoute t’il, car « Villemur est un des paradis de ma petite enfance ».
Succincte explication : après la guerre, il a vécu à Villemur pendant une année chez des amis proches, les Bousquet, Jean le charron, et Maria la couturière, cette dernière étant la grand-mère de Paulette Chalanda. Il a vécu à Villemur une année heureuse, choyé par les Bousquet, et s’intégrant parfaitement dans la douce vie d’une petite ville du midi toulousain. Il se souvient parfaitement de leur voisine Rolande Sajus, et de « Guiguitte », Marguerite Dijeaux jouant fougueusement Carmen sur son piano.
Plus tard, il retrouve Paris et sa famille dans 15e arrondissement, quartier où, depuis peu, la famille Chalanda a élu domicile au 145 de la rue de la Croix-Nivert .
Il y retrouve Paulette, avant tout amie de sa sœur, qui est pianiste et comme elle, élève au Conservatoire. Le jeune Vassili a été bouleversé lorsque petit, il a entendu Paulette chanter l’Ave Maria (celui de Gounod, probablement dit-il) dans l’église de Villemur, il sera comblé par la suite lorsqu’il ira la voir chez elle – ils étaient voisins- et qu’elle lui fera découvrir tous les grands chanteurs dont elle avait les enregistrements. Il ne pouvait rêver mieux pour son éducation musicale. « Si je n’avais pas aimé la musique et le chant comme je les ai aimés d’emblée, et dès que j’eus 5 ans, j’entendis l’une – ma sœur – accompagner l’autre – Paulette – je crois que notre complicité eût été différente.»
Paulette à cette époque-là vient de rentrer à l’Opéra et Vassili assistera, témoin privilégié, à grand nombre de ses représentations si chères à son souvenir. Les lignes qui suivent sont ses propres souvenirs, laissons lui la parole.
À l’Opéra Comique, dans « Manon » (acte III Au Cours-la-Reine), sa robe était blanche nous raconte t’il, les nœuds et le petit chapeau verts. Elle apparaissait dans cet acte dans toute sa beauté et tout son panache. L’air « je marche sur tous les chemins » se termine par un contre-ré éclatant et lumineux qui enthousiasmait le public.
Violetta, Manon et Juliette étaient à mes yeux les rôles les plus révélateurs de la personnalité artistique de Paulette, elle atteignait avec eux une grandeur inouïe par le chant et par le jeu, car ce n’était pas fréquent à l’époque qu’une chanteuse sache aussi jouer.
Sur la photo de gauche, elle est à Strasbourg où elle a véritablement appris son métier avec un maître exceptionnel, le directeur de l’opéra de Strasbourg, Roger Lalande.
Il mettait en scène tous les grands opéras du répertoire et transmit à Paulette sa culture musicale, sa science du jeu, de l’interprétation. J’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer cet immense artiste vibrant et j’ai vu à Paris une de ses mises en scène d’un opéra d’Emmanuel Chabrier « Le roi malgré lui » qui raconte la fuite de Pologne du futur Henri III qui préfère la couronne de France à celle de Pologne.
J’avais senti en voyant cette mise en scène raffinée et inventive de Roger Lalande (qui devint plus tard un directeur incomparable du Grand théâtre de Bordeaux) ce qu’il avait pu apporter à Paulette ,sur le plan artistique, musical et théâtral .
Paulette Chalanda jouait ce soir là Mireille qui lui allait si bien. Malheureusement, je n’ai pu garder que la distribution féminine.
Alain Vanzo a chanté Mireille avec Paulette et il a même débuté dans un petit rôle dans Manon avec Paulette qui jouait le rôle de la coquette Manon.
Il a chanté ensuite et magnifiquement , le rôle du Chevalier Des Grieux dans ce même opéra.
À Marseille,Louis Ducreux était le directeur, acteur, auteur, metteur en scène, il monta cette Traviata pour Paulette Chalanda qui fit merveille! (Au théâtre de l’Opéra à Marseille le 23 mars 1963 mise en scène Louis Ducreux, avec Georges Liccioni et Ernest Blanc). Paulette avait été profondément marquée par l’interprétation dans le rôle de Violeta , de la grande cantatrice italienne Claudia Muzio, pour qui elle portait une véritable vénération. Dis-moi qui tu admires et je te dirais qui tu es !
Paulette dans La Bohême de Puccini :
Paulette Chalanda chantait avec subtilité et délicatesse, ce rôle, où son timbre et sa science du beau chant (elle avait eu un maître italien, le marquis de Potestad) lui permettait d’exprimer tous les aspects poignants du personnage.
Je n’ai jamais vu quelqu’un résister à son interprétation quand elle interprétait le dernier acte, celui qui nous fait assister, bouleversés, à la mort de Mimi ….
Un soir une de ses collègues, mezzo soprano, qui était l’épouse du chef d’orchestre qui avait dirigé ce soir là l’oeuvre de Puccini, se précipita en larmes dans les coulisses, vers Paulette-Mimi et lui dit en sanglotant : « Tu m’as encore eue, regarde ce que tu fais de moi ! » Et de lui montrer ses yeux cernés de noir à cause du rimmel qui avait coulé ….
Voici la chère Paulette dans toute sa beauté et tout son éclat dans le rôle de Thaïs ( Massenet, inspiré par Anatole France)
Paulette fait partie de la belle cohorte (!) des femmes remarquables que j’ai rencontrées dans ma longue vie et qui, toutes, avaient une passion et une vocation pour leur moyen d’expression ( la poésie, le théâtre, la philosophie alliée à la psychologie des profondeurs comme on disait joliment, la musique, la littérature et spécialement celle du 16e siècle)
Très tôt elle m’a fait découvrir des enregistrements des très grands chanteurs et ainsi elle a fait mon éducation vocale et lyrique. Une bénédiction ! Un jour la grande soprano australienne Joan Sutherland est venue chanter à Paris, son rôle le plus marquant, Lucia de Lamermoo . Paulette m’a invité à découvrir cette interprète unique et ce fut une de ces soirées qui marquent à jamais une vie de spectateur. Tout l’opéra Garnier était debout, délirant devant cette cantatrice hors du commun, et Paulette applaudit si fort et si longtemps qu’elle provoqua un hématome sur ses mains, ce qui nous parut hautement symbolique !
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Entrée à l’opéra en 1952, Paulette Chalanda a chanté à l’opéra Garnier et à l’Opera Comique jusqu’en 1967.
Vassili Karist pense qu’elle a continué à chanter certains rôles pendant un certain temps après son départ de l’Opéra.
Pour autant, sa carrière musicale n’est pas terminée. Elle qui a toujours transmis son art même quand elle chantait partout en France, enseigna et communiqua à plusieurs élèves restés fidèles ce qu’elle avait appris dans sa riche carrière.
Ses leçons, elle les donnait dans l’appartement de Paris du 145 rue de la Croix-Nivert où, dans le salon éclairé par trois hautes fenêtres, le piano à queue occupait une place de choix évidemment.
Bernard Thompson, cité au début de cet article, rapporte que ces années 1970, où il suivait les cours de Paulette, furent pour lui une riche période d’apprentissage tant vocal qu’amical : « Je n’avais que 18 ans à l’époque et cette dernière s’est montrée si généreuse envers moi alors que je me présentais à ses cours rue de la Croix-Nivert à Paris. Nous avions plaisir à dialoguer après les leçons et je garderai toujours un inoubliable souvenir de sa grande générosité et sa grande gentillesse. »
Il poursuit en se souvenant que Paulette connaissait plusieurs chanteurs canadiens ayant fait carrière en Europe, se rappelant notamment du ténor Raoul Jobin, (1906-1974) et de René Bianco, (1908-2008) baryton français qui séjourna au Québec, et qu’il avait connu chez Paulette. (1) Elle avait également côtoyé Robert Savoie (1927-2007) considéré comme l’un des plus grands barytons canadiens de tous les temps. Vassili Karist renchérit en disant que le chant, l’art du chant furent pour elle comme un absolu, presque une religion, et la réponse ardente à une vocation. Elle avait toujours voulu chanter même si son père au début en tous les cas, ne semblait pas très enthousiaste.
Elle a continué ensuite à enseigner alors qu’elle habitait à Sainte-Geneviève-des-Bois, où elle avait fait construire une maison, et cela jusqu’à sa mort en 1985.
La correspondance suivie avec Bernard Thompson vient de prendre récemment une tournure inattendue et heureuse sous la forme du cadeau précieux et inestimable qu’il vient de nous faire : en l’occurrence la partition musicale de l’opéra « Manon » de Massenet ayant appartenu à Paulette Chalanda. C’est Paulette elle-même dont la générosité et la gentillesse ont été louées par ailleurs, qui avait fait jadis, ce cadeau à Monsieur Thompson.
« Paulette m’avait remis une partition de l’opéra « Manon » de Massenet éditée par Heugel en 1895 et qu’elle s’était procurée via un dépositaire de musique en feuilles fort connu à l’époque: A.J. Boucher Enrg, (3) de Montréal au Québec. Paulette m’avait informé que le texte de cette édition avait été celui qu’elle avait adopté dès ses premières prestations à l’Opéra de Toulouse. Elle a toujours utilisé cette édition pour chanter cet important rôle. Je me souviens d’ailleurs qu’elle m’ait dit avoir chanté ce rôle le soir même ou son père est décédé. (4) Ses pleurs étaient ceux de Paulette à l’intérieur du costume de Manon.
Voilà un témoignage qui à l’époque m’avait séduit. »
Inutile de vous dire que nous avons été très touchés et émus de cette délicate attention.
Dans sa lettre accompagnant la partition, Bernard Thompson soulignait « que cette édition musicale revêtait pour Paulette un aspect important lié au texte lui-même, que certains directeurs d’opéra prennent plaisir à modifier ».
Dans quelques temps, la partition de Manon rejoindra Villemur, dans les archives de notre association, « je suis heureux qu’elle retourne dans sa ville natale. » nous disait dans son courrier notre généreux donateur.
Je conclurais cet article en remerciant ceux qui en ont été la substance, la sève, et qui ont eu l’extrême gentillesse de nous confier leurs souvenirs intimes avec Paulette Chalanda.
Merci à vous, Vassili Karist et Bernard Thompson, qui avez ouvert votre cœur, et nous avez mieux fait connaître la belle personne qu’était Paulette Chalanda.
(1) Courrier de M. Bernard Thompson du 26 mai 2018.
(2) Le 9 juillet 2018, courrier de M. Vassili Karist, professeur de lettres, écrivain – romans, livres pour enfants – et auteur dramatique.
(3) Adélard-Joseph Boucher (1835-1912), organiste, maître de chapelle, marchand de musique, propriétaire de revue, compositeur, numismate et professeur, il fut un des pionniers de la musique à Montréal.
(4) Raymond Chalanda est décédé le 13 juin 1966.
JCF /AVH octobre 2018. Mise à jour mars 2019
Crédit photo :
1 : Google, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 : Vassili Karist. 12 : you tube, Find a grave. 13: montage J.C.François