1916. Les villemuriens à Verdun. (1ere partie)
Les soldats Villemuriens furent de la plupart des combats de la Grande Guerre, et bien sûr nombre d’entre eux, nous le verrons plus tard, sont « montés » à Verdun comme on le disait à l’époque. Cette bataille emblématique, symbole de la résistance française a mobilisé entre les deux tiers et les trois quarts des soldats français de 1916, acheminés nuit et jour, pour l’essentiel par la Voie Sacrée.
Dix-sept de nos compatriotes sont morts entre 1916 et 1918 à Verdun et ses environs, onze pour la seule bataille de 1916, des dizaines ont été blessés, certains reposent à jamais en terre meusienne, dont trois dans la nécropole nationale de Douaumont.
Verdun ne fut pas choisi par hasard par les stratèges allemands qui préparèrent minutieusement leur affaire. Dès la fin 1915, Falkenhayn, général en chef de l’armée allemande était persuadé de l’état d’affaiblissement de la France après ses échecs des dernières offensives en Artois et dans la Marne.
Prévoyant une offensive alliée prochaine, il pensait porter un grand coup dans une offensive d’envergure, battre d’abord les français dans un secteur où les britanniques ne pourraient pas les soutenir, pour faire sortir la Grande-Bretagne du conflit. À ce moment-là de la guerre, l’armée britannique était inopérante sans l’aide de la France. Quand la bataille de Verdun se sera enlisée, Falkenhayn prétendra avoir voulu « saigner à blanc » l’armée française en attaquant un lieu symbolique de l’Histoire de France. Reims, ville de sacres des rois de France était peut-être plus porteuse de symboles, mais le choix se porta sur la Région Fortifiée de Verdun pour des raisons militaires. C’était dans les lignes allemandes un saillant très menaçant pour les liaisons entre les différents corps allemands du front ouest Du côté français, on doute jusqu’au dernier moment, incrédule sur l’éventualité d’une bataille, malgré des signes avant coureurs inquiétants.
Dès le 21 février 1916, début des combats, la bataille de Verdun a acquis une renommée mondiale. Elle devient en quelques semaines le symbole du courage et des souffrances du poilu de Verdun qui résiste sous un déluge de fer et de feu, le colonel Driant et ses chasseurs du Bois des Caures en sont les premiers héros.
Un seul mot d’ordre court le long des lignes françaises : « Ils ne passeront pas ! » Moins nombreux, moins biens armés ils tiennent coûte que coûte pendant les 300 jours et 300 nuits que dure la bataille. Le sort du pays est entre leurs mains et la bataille de Verdun devient la bataille de la France.
« Celui qui n’a pas fait Verdun n’a pas fait la guerre » affirment, avec un mélange de fierté et d’horreur rétrospective, les poilus qui en sont revenus.
Plus que Pétain ou Nivelle, ce sont eux, les poilus, les véritables vainqueurs de Verdun, de cette bataille qui fit plus de 300.000 morts et disparus et 400.000 blessés, une des plus grandes tueries de la guerre.
1. De Soissons à Givry-en-Argonne. 6 juin au 22 juillet 1916.
Parmi la correspondance des soldats villemuriens, celle de Camille Terrisse, est le fil conducteur de ce récit, avant, pendant et après sa plongée au cœur de la bataille. Il est né en 1887, menuisier de profession et célibataire. Réserviste de la classe 1907, il rejoint dès le 4 août 1914 le 281e R.I de Montpellier avec lequel il prend part à la campagne d’Alsace dès les premières semaines de la guerre. Le régiment rejoint ensuite l’Artois, où il est nommé caporal en mai 1915, et blessé au bras en octobre devant Neuville-Saint-Vaast. Deux mois plus tard il revient sur le front, versé au 143e R.I de Carcassonne, dans les environs de Soissons.
6 juin 1916, le régiment, relevé par le 15e RI d’Albi, quitte les premières lignes, s’éloigne du front, cantonnant de villages en villages. Camille Terrisse part en permission pour Villemur retrouver les siens, à savoir Augustine sa mère, Marguerite sa sœur et Emile Alzonne son oncle.
Jeudi 22 juin. Il retrouve le régiment au même cantonnement de Maast-et-Violaine dans l’Aisne à 15 km de Soissons : « Après un bon voyage, j’ai repris ma place dans la même grange où je me trouvais avant d’aller vers vous » écrit-il à sa mère, et poursuit avec humour, « Mon rhume a disparu, comme je vous le disais à Villemur, il suffit d’être au front pour n’être jamais malade. »
Le régiment s’éloigne du front par petites étapes. Dans ses courriers Camille se pose la question : « Je ne sais pas quelle direction on prendra…J’ai lu dans les journaux que l’offensive était commencée dans la Somme, l’avance que nous faisons est sûre et méthodique. Il faut souhaiter que ça réussira et que ça raccourcira la durée de cette terrible guerre. » L’humour ne le quitte pas « Je finis ma lettre au son de la musique du régiment qui donne un concert devant la porte du cantonnement. Et dans quelques jours nous aurons peut-être des instruments d’un autre genre pour jouer une danse infernale…ça ne fait rien, comme nous disons : En avant quand même ! »
Dans les lettres suivantes Camille revient sur l’inconnu de sa destination future, « Ceux qui savent, gardent bien le secret et ils font bien ; de cette façon l’ennemi ne connait pas le mouvement des troupes. » Paroles pour se rassurer ? Ou plutôt pour rassurer les siens, car Camille se doute de quel côté le destin va le mener. Verdun est dans toutes les conversations et dans tous les esprits. Plus loin avec une pointe d’amertume il lâche : « Je ne serais pas étonné qu’un de ces quatre matins, je me trouve dans une de ces contrées, où, avec l’esprit de bravoure des fantassins, on imprime de beaux communiqués qui parviennent à intéresser quelque peu les embusqués et les impatients de l’arrière. »
Dimanche 9 juillet : « Dans le village où je me trouve (Sergy, toujours dans l’Aisne) l’on fait la première communion, je vous assure que l’on y voit pas le luxe que l’on fait chez nous pour semblables cérémonies. Il est vrai qu’ils ne sont pas à 1000 km du front et qu’ils savent un peu mieux que dans nos contrées ce que c’est que la guerre. »
Mercredi 12 juillet au matin, le 143e quitte l’Aisne. Le régiment embarque à Fère-en-Tardennois ; le soir vers 21 heures, il débarque à Givry-en-Argonne dans la Marne. Deux jours plus tard, il écrit à son oncle Emile.
À lui, il peut se confier, comme il l’a déjà fait dans d’autres circonstances quand ça bardait du côté de Vermelles dans le Pas-de-Calais en mai 1915. Emile, en tant que territorial, a fait son métier de soldat, même s’il n’a pas été en première ligne, il sait ce qu’est la guerre. Dans sa lettre il lui précise qu’il est à 25 km en arrière du front, mais que ce n’est que provisoire car « Il ne faut pas oublier que depuis le 6 juin dernier je n’ai pas vu les tranchées, par conséquent ce n’est pas toujours aux mêmes d’y être , et que ce n’est que justice d’aller les y remplacer. Il en est de même pour les secteurs, ce n’est pas toujours les mêmes qui doivent occuper les meilleurs. »
Camille poursuit : « …Je ne sais rien de précis (mais) je crois pouvoir te dire que d’ici peu, j’irai dans un coin où il ne fera pas froid, et où le frère d’Emile Pendaries a fait 6 jours de tranchées. » Il ne cite pas Verdun et pour cause : la censure veille, et il est formellement interdit de mentionner dans le courrier les noms de lieux sous peine de sanctions. Il termine sa lettre avec fatalisme et aussi peut-être pour se rassurer : « Il ne faut pas s’en faire pour cela, car celui qui doit se faire trouer la peau se la fera trouer dans un bon secteur, comme dans un mauvais, et celui qui doit s’en tirer, s’en tirera partout. Donc bon espoir et confiance, et ne vous en faites pas. » Et comme l’humour ne le quitte jamais, il conclut : « A l’occasion du 14 juillet, on a du champagne, des petits-beurre et un cigare. Tout cela aux frais de la princesse. Malgré cela, je crois que nous l’avons gagné ! »
Lundi 17 juillet. Toujours à Givry, il apprend qu’il monte en grade, nommé sergent, mais toujours à la 3e Compagnie du 1e Bataillon.
Dans ce courrier adressé à sa mère, il s’inquiète surtout de Villemur où « la grêle a dévasté la contrée… » Il ajoute : « vous saurez me dire si notre récolte est bien éprouvée »
Les jours s’écoulent entre instruction et repos, marches et travaux de propreté. Il prend le temps d’envoyer une carte à sa mère à l’occasion de sa fête, et se félicite que son ami le peintre Guillaume Laferrière, âgé de 41 ans, ait été versé dans la territoriale au 31e R.I.T « C’était son droit, il sera plus tranquille. »
2. De Givry-en-Argonne à Verdun
Samedi 22 juillet : le régiment quitte ses cantonnements de Givry-en-Argonne, départ à 6h du matin pour rejoindre 13 km plus loin le village de Triaucourt. Les exercices se poursuivent, un soldat ne doit pas rester inactif : instruction, marches sous la chaleur, « Nous sommes pleins de poussière » rapporte Camille.
Dimanche 30 juillet : Alors qu’il est au cantonnement à Triaucourt, étant de faction de jour, se préparant à faire son courrier, Camille entend une voix qui le hèle et prononce son nom « Je rebrousse chemin, et à ma grande surprise je vois Courdié (Coutchy) Blaquières de Villematier et Ferro Lebres de Bondigoux. Ils sont au 412e et descendaient des tranchées et ayant appris que le 143e était à côté ils se sont dérangés pour venir voir Lagarrigue.
Ils ont alors appris que j’étais là aussi. (NDA : le 412e RI est depuis le 1er juin dans le secteur de la côte 304 où les hommes ont vécu de terribles combats.
Ils sont au repos depuis le 16 juillet dans le village de Waly distant de 6 km de Triaucourt)
Trop heureux de se retrouver entre « pays » Camille raconte la suite : « On ne pouvait pas se quitter comme ça. Seulement nous n’avons pas eu de chance, pas de restaurant, pas de maison où l’on puisse nous préparer ce que nous avions acheté. Il fallait pendre un parti. Munis de douzaines d’œufs, de fromage et d’un saucisson que nous avait donné Turroques du Terme on est allé dans un cantonnement. On fit cuire les œufs, et assis par terre, à côté d’une rigole sale, un tas de fumier à deux pas, trois ou quatre chevaux à proximité, on dîna comme des princes. Le décor n’était pas épatant, mais nous étions très heureux de nous trouver réunis, on se trouvait par la pensée près de Villemur. A notre groupe s’étaient joints Taillade de Magnanac et Turroques du Terme… »
Le lendemain, le 412e RI quitte Waly, et les jours suivants remonte en ligne à la côte 304 où Clovis Blaquières trouvera la mort le 9 octobre 1916. Le 143e va lui aussi faire mouvement les jours suivants.
Lundi 7 août : le régiment quitte les cantonnements de Triaucourt, tôt le matin et se rend 15 km plus au sud à Condé-en-Barrois. Maintenant cela ne fait aucun doute, la prochaine destination sera Verdun.
Vendredi 11 août : l’effervescence gagne le régiment, le matin on effectue des exercices par compagnies, le soir on passe aux préparatifs de départ.
Samedi 12 août : avant le départ, Camille envoie une carte à sa sœur Marguerite. « Peut-être que ces jours-ci, je n’aurai pas le temps de vous écrie régulièrement. Ne vous tracassez pas pour cela. Il est plus que probable que je n’écrirai pas aux camarades dans quelques jours. Vous voudrez bien me faire excuser auprès d’eux. Il pourrait se faire que je vois Jean Fonvieille (artilleur au 18e RAC)
À 12 h c’est le départ de Condé en Barrois. Les 3 bataillons et la Compagnie Hors Rang du 143e embarquent dans les camions ; quelques kilomètres plus loin, peu avant Chaumont-sur-Aire, les voilà sur la route de Bar-le-Duc à Verdun que Maurice Barrès a baptisée « La Voie Sacrée », la seule voie routière, l’organe vital qui alimente le front de Verdun. Cette noria de camions qui circule jour et nuit va transporter vers les premières lignes l’essentiel des 73 divisions sur la centaine que comprend l’armée française de 1916.
Le convoi s’étire sur la route poussiéreuse, traverse Souilly et sa mairie où siège le Quartier Général de la IIe Armée (En août 1916 c’est le général Nivelle qui a succédé à Pétain) Enfin voilà Moulin-Brûlé, les camions stoppent, les hommes descendent. Il est 15h30. Verdun est à moins de 10 kilomètres.
À travers le Bois-la-Ville le régiment gagne le faubourg de Glorieux, la tête de la colonne arrive à Verdun à 20h et cantonne à la Citadelle.
Dans la journée, le général Mangin réunit les officiers du 143e RI à son PC de Verdun, et leur définit la mission suivante : « Vous allez tenir, sans faiblir, un des points les plus délicats de tout le front, et je ne doute pas en outre, que vous réussissiez l’attaque que je vous demanderai d’exécuter ».
La nuit tombée, le Colonel Henry, les chefs de Bataillon et les Commandants de compagnie, conduits par des guides vont reconnaître le sous-segment de la Haie-Renard dans le Bois de Vaux-Chapitre, occupé par le 65e RI.
Dimanche 13 août : « On va monter aux tranchées, peut-être ce soir. Sommes à proximité des lignes. Ai vu hier le Cézet (Sobriquet d’un de ses copains villemurien que je n’ai pu identifier) qui descendait en repos. ». Il ajoute, sans doute pour rassurer les siens « Avons un bon coin, (Verdun) mais faut pas s’en faire. Un gros baiser à tous. »
C’est la première fois qu’il cite Verdun, comme s’il voulait exorciser le mal en prononçant ce mot que tout soldat redoute. Et puis, doit-il penser, au diable les sanctions, si la censure ouvre sa lettre. Que lui réserve l’avenir ?
Ci-contre à gauche : 13. Citadelle de Verdun. 6 juin 1916. Tableau de François Flameng
à droite : 14. le général Mangin devant son PC à Verdun (photo l’Illustration)
La suite c’est le Journal des Marches et Opérations du régiment qui va nous la raconter.
Dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 août, le 143e quitte la Citadelle.
Par les rues désertes il gagne le Faubourg-Pavé, passe devant la caserne Miribel et quitte la ville. « Monter en ligne » prend ici tout son sens, car on commence à grimper vers le massif de Souville.
La relève du 65e RI se passe sans encombre, les 2e et 3e bataillons du 143e passent devant et vont prendre leurs positions, encadrés par le 140e RI à droite et le 4e Zouaves à gauche. Le Colonel Henry est au P.C de la Carrière au Ravin des Fontaines. Quand au 1e bataillon dont fait partie Camille Terrisse il reste à l’arrière, aux abris dans le triangle Fort Saint-Michel, casernes Marceau et la voie ferrée.
La situation du Régiment est particulièrement délicate, dans un secteur très dangereux, très escarpé, nous sommes ici sur la ligne de front, entre le village de Fleury-devant-Douaumont et le fort de Vaux. Ici même le 65e RI a perdu 757 hommes, tués er blessés entre le 3 et le 13 août.
C’est dans ce secteur que le 12 juillet après de terribles combats les fantassins allemands sont venus buter devant le village de Fleury, la chapelle Sainte-Fine et le fort de Souville, ultime rempart avant Verdun, distant seulement de 3 km. Dans la soirée du 12, le Kronprinz reçoit l’ordre, puisque les objectifs fixés n’ont pas pu être atteints, » de se tenir désormais sur une stricte défensive » … L’Allemagne vient de perdre la bataille de Verdun. Depuis, pied à pied les français regagnent le terrain perdu depuis le 21 février.
Lundi 14 août : duel d’artillerie intermittent, le soir tir de barrage sur le Ravin des Fontaines.
Mardi 15 août : grande activité de l’artillerie de part et d’autre, lourdes pertes. Le commandant Desmontiers et ses officiers du 1e Bataillon viennent reconnaître le segment de la Haie-Renard.
Mercredi 16 août : les tirs d’artillerie ne cessent d’augmenter d’intensité pendant ces journées visant les premières lignes, le PC des Carrières, le Ravin des Fontaines. La position du 143e est jalonnée de trous d’obus, accrochée à la croupe de la Haie Renard, et l’ennemi le domine en tenant le sommet de la croupe.
Jeudi 17 août : c’est le segment de la Haie Renard qui est la cible des artilleurs allemands avec des obus de gros calibre. Dans la nuit du 17 au 18, le 1e bataillon (celui de Terrisse) part des abris Saint-Michel pour prendre place derrière les 2e et 3e bataillons à la Haie-Renard.
Le bataillon emprunte le boyau des Carrières qui va les amener au plus près de la ligne de feu.
Marche pénible en pleine nuit. Par chance, l’artillerie est muette sur le secteur. Seulement dans le lointain quelques tirs sporadiques. Le boyau serpente sous les contreforts du fort de Souville où la bataille, il y a peu a fait rage. Plus on avance, plus le paysage est bouleversé, c’est une succession de trous d’obus jonchés de débris divers avant d’atteindre la position requise.
Vendredi 18 au lundi 21 août :
À 15h le 143e passe à l’attaque, appuyé par le 140e RI et une compagnie du 8e Tirailleurs, avec comme objectif de « dégager la région de Souville et de récupérer le terrain conquis par l’ennemi le 1e août ». Les 2e et 3e bataillons du 143e sortent des tranchées, le 1e bataillon venant derrière eux en appui. L’ennemi déclenche à ce moment-là « un tir de barrage inouï causant de grandes pertes au 1e bataillon » Un combat furieux s’en suit d’autant que les allemands entament vers 16h30 une contre-attaque partielle qui se généralise vers 18h30. Malgré tout, le 143e tient bon.
Raconter les combats par le détail serait ici trop long, mais par respect pour tous ces hommes, peut-on imaginer un instant ce qu’ils ont vécu et enduré dans les pires conditions ? Les quelques images du lieu des combats donnent une idée de la sauvagerie des combats. 14 officiers et 415 hommes tués ou blessés pour la seule journée du 18, sans parler des disparus…
L’effort déjà fourni par le 143e n’est cependant pas achevé ; malgré la faiblesse de ses effectifs et sa situation matérielle des plus précaires, le Régiment doit garder à tout prix pendant 4 jours encore, le secteur qui lui est confié : les 3 bataillons extrêmement réduits ne forment plus que 3 compagnies, les 3 compagnies de mitrailleuses n’en forment qu’une. Du 18 au 22 août, le 143e repousse toutes les tentatives de l’ennemi et maintient intactes ses positions.
Pendant ces huit jours de combats incessants, il a perdu 24 officiers et 940 hommes tués ou blessés.
Dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 août enfin, le Régiment à bout de force est relevé par un bataillon du 344e RI.
Conduit par le capitaine Marty les rescapés du régiment vont cantonner à Belleray à 3,5 km au sud de Verdun.
Mercredi 23 août : Le commandant Demontiers avec un officier par groupe, reste au PC des Carrières , pour mettre au courant leurs successeurs.
Les lignes ci-dessous ont été écrites par un rémois, Jean Bousquet , du 344e RI qui a pris la relève du 143e sur le même secteur du bois de Vaux-Chapitre.après le 23 août.
«Toute la journée nous regardions du côté des lignes. Tous nos camarades étaient là, exposés à la mitraille comme jamais cela ne s’était encore produit. Les obus ne cessaient de bourdonner au dessus de ce champ de bataille ou de carnage. Tous les soirs des blessés arrivaient par petits groupes et comme toujours avec la conviction que la guerre était finie cette fois pour eux. Dans le courant de la nuit des brancardiers allaient ramasser les grands blessés. D’autres étaient blessés aux jambes, des poilus allaient vers Souville chercher des vivres. Les agents de liaison communiquaient avec leur compagnie ; enfin toute la nuit, il y avait un va et vient incessant entre les hommes en lignes et l’arrière.
J’allais oublier de parler du Bois de Vaux Chapitre. Pourtant il faisait parler de lui dans les communiqués. Il était devant nous à gauche de notre Compagnie, en liaison avec le Bataillon du 344e. En fait de bois, où à notre arrivée l’on pouvait encore distinguer quelques souches et troncs, deux jours plus tard tout était rasé, l’on voyait les racines sauter en l’air quand un obus tombait dans ce coin là ; il n’y avait plus que des trous d’obus les uns à côtés des autres, quelques troncs d’arbres couchés par-ci par-là, de gros fusants éclataient au dessus avec force bruit…»
La rénovation du Mémorial de Verdun à l’occasion des cérémonies du Centenaire a permis d’accéder à de nombreux nouveaux documents.
Parmi ceux-ci, le LiDAR (acronyme de l’anglais Light Detection And Ranging, détection de la lumière et mesure à distance)
C’est un radar de sondage atmosphérique qui fonctionne avec des ondes optiques émises par laser. L’intérêt du LiDAR est de délivrer des images 3D en
s’affranchissant des deux obstacles visuels que sont les nuages et la végétation.
C’est dans le cadre du label Verdun 14/18 Forêt d’exception, qu’une mission LiDAR s’est déroulée les 26 et 27 mai 2013 : un laser aéroporté a balayé les quelque 10000 hectares de la forêt domaniale à 600 mètres d’altitude et a livré une vision inédite du champ de bataille.
Les images dévoilées par le LiDAR montrent bien la topographie du champ de bataille à la fin des combats, les voies de communication actuelles et militaires, le réseau des tranchées des lignes de combat. Le semis des entonnoirs d’explosion d’obus donne la mesure des bombardements.
La photo ci-dessous, permet de mieux se rendre compte de la topographie du champ de bataille, en particulier des lieux évoqués dans le chapitre précédent.
Sources : Mémorial de Verdun, Dans la bataille de Verdun, sous la direction d’Edith Desrousseaux de Medrano, Nouvelles éditions JMP, 2016.
Jeudi 24 août : de Belleray où il cantonne, Camille Terrisse écrit ces mots à sa mère « Ma chère Maman, Je quitte ce matin même les tranchées pour prendre un repos bien gagné. C’est avec plaisir et surprise que je vous dis ces trois mots : « je vais bien », j’en suis étonné moi-même, et me demande comment qu’il se fait que je sois encore de ce monde. Je vous embrasse bien fort, votre fils qui vous aime… »
Pour les rescapés du 143e c’est le retour de l’enfer. Les pertes sont terribles, en 8 jours, 243 hommes ont perdu la vie 650 ont été blessés, 276 sont portés disparus. Le Commandant Demontiers, (1e Bataillon) a été tué dans le bombardement du PC des Carrières le 23 août après avoir passé ses consignes. Maintenant, il faut panser les plaies physiques mais aussi morales. Sans aucun doute, ces hommes garderont à vie la trace de ces jours d’enfer, et leurs nuits d’insomnies seront remplies du cauchemar de Vaux-Chapitre.
Vendredi 25 août : le régiment fait route de Belleray à Moulin-Brûlé distant de 8 km. A 10 h du matin ils embarquent en camion, destination Charmontois l’Abbé, petit village à une trentaine de km plus à l’ouest, à la limite de la Meuse et de la Marne.
Samedi 26 août : Camille donne des nouvelles de son copain Lagarrigue qui a été « légèrement blessé…évacué de la zone des armées, blessure qui le fera bénéficier de 7 jours de permeission. Turroques et Taillade vont très bien.
Lundi 28 août : lettre à sa mère. « Je vois d’ici les inquiétudes que vous devez avoir en restant privées si longtemps de mes nouvelles. À l’heure où j’écris ces lignes, vous devez être fixées sur mon sort, et devez voir par là qu’il ne faut pas s’alarmer outre mesure car il arrive parfois qu’à nous autres combattants, les circonstances nous empêchent de donner signe de vie de quelques jours.
Nous sommes au repos à l’arrière du front. Peut-être nous allons avoir des renforts. J’ai reçu des nouvelles fraîches de Lagarrigue, il me dit qu’il sera vite guéri. Malheureusement, tous ne peuvent pas en dire autant, ceux qui sont morts et ceux qui sont gravement blessés ne verront pas les leurs de longtemps. Plusieurs de mes camarades dorment pour toujours dans ces lieux terribles. Le lieutenant qui commandait ma compagnie (le lieutenant Morel tué le 19 août) a été tué à quelques mètres de moi. Le caporal-fourrier qui était en permission en même temps que moi a eu un bras déchiqueté et une jambe cassée, on l’a amputé du bras. Un sergent de mes amis a eu la jambe broyée, et il est amputé aussi. Je ne vous en cite pas d’autres à part notre commandant de bataillon (Le commandant Demontiers déjà cité) qui est mort le soir de la relève. Si je continuais la liste serait longue, très longue et puis ça ne vous intéresserait pas car vous ne connaissez aucun de ces braves, qui en pleine jeunesse sont morts généreusement pour la France.
Tu donneras le bonjour à Basilou et Tropis » (ses amis villemuriens Basile Galan l’épicier et François Brégail)
Samedi 2 septembre : Nous sommes au repos dans un joli petit village, où nous avons de l’eau à volonté. Au moins de cette façon on peut être relativement propres. J’habite dans une écurie que nous avons nettoyée et aménagée de notre mieux, aussi nous ne sommes pas trop mal logés.
Nous avons reçu quelques renforts, mais nous en recevrons d’autres d’ici peu.
Effectivement, le régiment décimé reçoit tour à tour 8 officiers et 402 hommes le 29 août, 3 officiers et 319 s/off, caporaux et soldats le 2 septembre, plus 87 hommes le 5 septembre.
Et comme le pressentait Camille, le 13 septembre les 1e et 2e bataillons du 143e font mouvement plein nord, direction les Islettes puis Lachalade dans l’Argonne, où ils vont relever le 407e RI dans les positions bien connues de la Fille Morte et des Courtes-Chausses, sous-secteur Marchand. 266 hommes arriveront encore en renfort le 18 septembre.
Une nouvelle période va s’ouvrir ; le Régiment va reprendre la guerre de tranchées dans laquelle il montrera qu’il a conservé intacte son expérience de la guerre des mines, qui a pris dans ce secteur une extension formidable.
La guerre continue…
Les soldats cités dans cet article :
143e RI : Camille Terrisse, Elie Lagarrigue, Noël Turroques (Le Terme), Jean Bernard Taillades (Magnanac)
31e RIT : Guillaume Laferrière.
412e RI : Germain Courdié et Clovis Blaquieres.
57e RAC : Jean Fonvieille.
Sources :
Correspondance de Camille Terrisse.(1914-1919) Avec mes remerciements et mon amitié à Mireille et Magali Faillères.
Antoine Prost et Gerd Krumeich, Verdun 1916. Une histoire franco-allemande de la bataille, Editions Tallandier 2015.
Mémorial de Verdun, Dans la bataille de Verdun, sous la direction d’Edith Desrousseaux de Medrano, Nouvelles éditions JMP, 2016.
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/
-Journal des Marches et Opérations du 143e RI, 26 N 694/3.
-Journal des Marches et Opérations du 412e RI, 26 N 769/2.
Les français à Verdun 1916, Christophe Fombaron, http://www.lesfrancaisaverdun-1916.fr/
La Grande Guerre en dessins http://www.dessins1418.fr/wordpress/verdun/
143e RI Historique sommaire du régiment. S.A des Ets d’Imprimerie A.Herbelin,1920 Belfort
Le journal de guerre de Jean Bousquet. Merci à Pascale Bousquet-Chevallier pour son travail de retranscription. http://laguerredejean.canalblog.com/
Illustrations :
Photos 1,2,7.9,10,12,16,17,23 (Coll. Jean-Claude François) Photos 4,6,1, 22 (Coll. Magali et Mireille Faillères) Photos 5, 8 ( Fonds famille Delbert, A.D du Lot-et-Garonne) Photo 11 (http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/) Photo 13 (La grande Guerre en dessins) Photo 15, 19 (ECPAD) Photo 20 (laguerredejean.canalblog.com)
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