Centenaire de l’inauguration
du monument aux morts de Villemur-sur-Tarn
Voilà 100 ans, le 26 novembre 1922, Villemur inaugurait le monument aux morts de la guerre 1914-1918, érigé sur la promenade Notre-Dame, aujourd’hui place du Souvenir.
Au lendemain de la Grande Guerre, comme dans la grande majorité des communes, Villemur se met à l’œuvre pour rendre hommage aux disparus en érigeant un monument pour perpétuer leur mémoire. Alors que tous les morts durant le conflit n’ont pas encore été totalement recensés, en novembre 1918 on songe déjà à un « monument à élever aux enfants de la commune morts pour la France. » A cet effet, une commission est nommée, composée de Messieurs Joseph Duran, Barthélémy Fauré, Eugène Malpel, Antonin Péfourque, Clotaire Pendaries, et Saturnin Sizes. On a évoqué comme emplacement le cimetière, mais le maire, qui a été pressenti sur l’agrandissement de ce dernier, préfère attendre. Ce n’est qu’à la session du 28 février 1920 que la question revient à l’ordre du jour.
Trois propositions émergent au sein du comité mis en place. Raoul Brassier propose la place en face le cimetière, ou dans le cimetière. Monsieur Saturnin Sizes : la place des Pupilles de la Nation, Monsieur Jean Bouvard : la place Notre-Dame.
À la suite des votes pour les différentes propositions, un léger avantage serait en faveur de la place Notre-Dame, mais il est évident que les décisions du comité n’ont qu’une valeur purement indicative. La discussion s’engage. Après diverses interventions, Victor Pendaries observe qu’il s’agit de savoir ce que sera en fait le monument, s’il doit avoir seulement l’aspect d’un mausolée où les familles iraient pleurer et prier, ou bien s’il s’agit de glorifier nos morts et de perpétuer le souvenir de leur sacrifice parmi les générations futures. Remarque judicieuse, car en fait aucun projet de monument n’a encore été établi. On remet donc la décision à plus tard lorsque le projet du monument aura été communiqué.
Pour la conception du monument, on peut imaginer que la municipalité a trouvé rapidement l’homme idoine, en la personne du sculpteur local Joseph-Gabriel Sentis. Bien que né à Varennes, Villemur le considère comme un enfant du pays, car il s’y est marié, et y demeure. Sentis lui-même signe certaines de ses œuvres Sentis de Villemur. Après avoir été élève à l’école des beaux-arts de Toulouse, il perfectionne son art à l’Ecole du Louvre à Paris. Primé dans de nombreux salons et expositions, il est choisi et envoyé par le ministre de l’Instruction publique comme professeur et chef d’atelier, pour fonder l’école de sculpture dans l’école des beaux-arts de Bahia à la demande du gouvernement brésilien. C’est un sculpteur non seulement connu mais reconnu par ses pairs.
Sentis se met à l’œuvre dans son atelier du Pech, et propose une ébauche du sujet à représenter sur un piédestal, travaux que le conseil municipal consulte en séance du 28 août 1921. De toute manière, quelle que soit la grandeur du monument, l’espace sera suffisant, et Monsieur le maire propose de s’en tenir donc à la proposition faite par le Comité, à savoir l’érection du monument à Notre-Dame.
Pas du tout ! Le vote doit être entériné par le conseil municipal et non par le comité, rétorque un membre du conseil ! Revient alors sur le tapis la question du lieu du cimetière… On vous passe les détails des palabres….Même le maire s’en mêle, suggérant que peut-être la place de la mairie…Enfin il est procédé au vote final, qui donne les résultats suivants :
1 Place du cimetière : pour 4 voix, contre 10, abstention 1.
2 Place de la mairie : pour 5 voix, contre 8, abstentions 2.
3 Place de la Vierge : pour 8 voix, contre 5, abstentions 2.
En conséquence, le monument sera élevé place de la Vierge Le vote a été très serré, mais avec le recul du temps, ce choix semble judicieux. Placé à l’entrée de la vieille cité, le monument est bien en vue au regard du passant, l’espace alentour est vaste, seulement occupé en retrait par la statue de la Vierge érigée 1876 en souvenir d’une mission.
Dans Villemur on s’active : le 15 février 1920 une souscription publique est ouverte auprès de la population. Germain Vignals et Raoul Brassiers sont les délégués du quartier Saint-Jean, Jean Bouvard et Marius Laffage pour celui du Centre, Maurice Terrancle et Marcel Barbe quartier Notre-Dame, Maurice Gaussens et Edouard Vincent pour la rive gauche.
Le dimanche 2 mai 1920 un spectacle est donné au théâtre place Saint-Jean au bénéfice du monument. On fait appel aux dons, et même à une tombola pour recueillir des fonds, le solde sera réglé par la commune. A la mairie on recense la liste des soldats à graver sur le monument mais il faut attendre, pour les disparus, les jugements de décès rendus par le Tribunal de Toulouse, le dernier le sera à la date du 25 janvier 1922.
Sur la liste finale de 124 noms, on retiendra que 88 de ces braves sont mots sur le champ de bataille, 32 ont été portés disparus, 9 soldats sont morts dans les heures ou les jours ayant suivi leur blessure, 17 sont décédés de diverses maladies contractées aux armées.
Le monument aux morts est finalement inauguré le 26 novembre 1922, dans une ambiance de recueillement et de ferveur peu communes. Le matin l’office est célébré par le curé Maurette en l’église Saint-Michel, puis le cortège, dans lequel étaient présents la plupart des conseillers municipaux, le maire Charles Ourgaut à leur tête, se dirige vers le cimetière pour honorer les corps des soldats rapatriés par les familles.
L’après-midi, dès 13 heures 30 la foule, immense, se presse sur la place de la mairie. Le cortège s’ébranle à 14 heures, selon un protocole bien établi. En premier les enfants des écoles s’avancent dans la grand’rue, suivis par les pupilles, les combattants, les parents des soldats morts pour la Patrie. Vient ensuite la musique, l’Harmonie Villemurienne qui accompagne le lent cortège d’une marche funèbre, le chœur des chanteurs, la municipalité et le comité de cette « Fête du Souvenir ». Enfin suit l’ensemble de la population villemurienne. La foule est maintenant rassemblée sur l’esplanade Notre-Dame. L’instant est solennel. « Garde à vous » le voile recouvrant le monument tombe, les clairons jouent « au drapeau ».
Sentis a représenté sur un piédestal de granit, un soldat grandeur nature, debout, à l’allure martiale, terrassant de la crosse de son fusil Lebel, l’aigle allemand. Il est nu-tête, le casque Adrian posé à ses pieds. C’est un poilu, un vrai, à la fière moustache. L’allure est martiale, la mise en scène héroïque, est ce Sentis qui en a eu l’idée, où lui a-t-elle été soufflée par Charles Ourgaut fervent nationaliste ? La mémoire collective des villemuriens rapporte que ce poilu porte les traits de Marius Esquié Lou Saban, ancien combattant dans l’infanterie, et ami du sculpteur.
« À ce moment, un chœur de chanteurs, accompagné par la Philarmonique, exécute une cantate intitulée « Villemur lève-toi », chant de circonstance, dû à la verve imaginative d’un de nos compatriotes, et dont les strophes sont bien rendues par la voix claire et perçante du jeune Fauré. »
Vient ensuite l’instant solennel de l’appel des 118 noms « gravés en lettres rouges sur le granit », puis la parole est donnée aux personnalités politiques qui honorent cette cérémonie de leur présence. Vincent Auriol, Hippolyte Ducos, et Charles Bellet célèbrent tour à tour la grandeur du sacrifice accomplis par nos jeunes poilus dont les noms resteront gravés dans les mémoires.[1]
« Ainsi se termine cette fête toute de recueillement et de tristesse. Les enfants ont jonché de couronnes et de fleurs le pourtour du monument et, parmi ces fleurs, ont été déposées deux magnifiques palmes, données l’une par la société des Etablissements Brusson Jeune, et l’autre par l’Amicale Laïque. »
[1] Vincent Auriol, député socialiste, futur Président de la République en 1947, HippolyteDucos du parti radical, et Charles Bellet député de la droite républicaine (Entente républicaine démocratique)
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Tout en haut de la face antérieure du socle de granit, les dates : 1914-1918. Plus bas, en lettres capitales,
VILLEMUR A SES ENFANTS MORTS POUR LA FRANCE.
À droite, des éléments végétaux symbolisent l’éternité : une couronne de lauriers traversée par une palme.
Sur les trois autres faces du socle sont inscrits les 118 noms pour Villemur, Le Terme, Magnanac et Sayrac.
En 1924, on procédera à l’embellissement du monument par la pose d’une grille l’entourant. Formée de quatre panneaux de 4 mètres, à chaque angle un obus surmonté de la croix de guerre, avec une porte aménagée sur le devant, sa configuration n’a pas changé depuis. Plus tard on rajoutera six noms à la liste des morts de la Grande Guerre, portant le nombre définitif à 124 victimes.
Un quart de siècle plus tard, six autres noms seront ajoutés à la déjà longue liste, ceux des victimes militaires et civiles de la guerre 39-45. Plus tard trois encore pendant la guerre d’Indochine, (1946-54) enfin sept de nos jeunes disparus en Algérie.(1954-62) Au total ce sont 140 noms qui sont gravés sur la pierre.
Ce monument fait partie intégrante de l’Histoire, du patrimoine de notre ville, au même titre que la Tour de Défense ou les Greniers du Roy. Comme eux, il est inscrit dans le paysage de la ville, mais tellement accessible qu’il est devenu presque banal et invisible. Qui s’arrête aujourd’hui devant ce monument, si ce n’est à l’occasion des manifestations officielles ? Prenez le temps de lire les noms gravés dans le marbre du monument : parents proches ou lointains, patronymes familiers ou disparus, tous racontent une histoire un destin et des vies brisées.
Un siècle plus tard, alors que le souvenir à peu à peu laissé la place à la mémoire, faisons en sorte que tous, officiels, municipalités, associations, enseignants continuions de faire vivre le monument aux morts.
JCF/AVH Novembre 2022