La rue de l’Hospice
Entre les actuelles rues des Stradelis et Henri de Navarre, nous voici dans la rue de l’Hospice, anciennement « rue de la Peyre » (La rue de la pierre en occitan) devenue au fil des ans « rue de Lapeire » ou « rue de Lapeyre » avant de prendre le nom de « rue de l’Hospice » à la fin des années 1920. Cette rue possède deux bâtiments historiques et remarquables, l’ancienne maison seigneuriale et l’ancien presbytère, devenus respectivement hospice et école maternelle.
1. Les Greniers du Roy, anciennement maison seigneuriale et hospice.
L’hospice dont il est question est plus connu aujourd’hui sous le nom de « Greniers du Roy » partie rescapée d’un vaste ensemble appelé jadis « L’oustal » l’hôtel seigneurial, et la demeure des vicomtes de Villemur. Sa construction débute à la fin du XVIe siècle commandée par Daniel de Bellujon l’homme de confiance de François de Bonne acquéreur de la Vicomté en 1596. Les derniers occupants en seront Guy de Ménoire le dernier vicomte, puis ses héritiers dans les années 1820. La maison seigneuriale est rachetée en 1824 par Pierre Roques, alors maire de Villemur et deux de ses gendres, Amédée de Tauriac et Léon Chaptive. Il y habitera avec sa famille le temps de sa mandature jusqu’en 1836.
La mairie s’intéresse de près à ce lieu et envisage d’y construire divers bâtiments communaux tels mairie, école gendarmerie… Le curé Fieuzet arrivé à Villemur en 1833 convoite aussi le bâtiment qu’il a sous ses yeux quotidiennement (il loge au presbytère en face à la maison seigneuriale) Il y verrait plutôt construire une nouvelle église car Saint-Michel n’est pas digne de Villemur selon lui ! Aucun de ces projets ne verra le jour. Les années passent, le bâtiment se dégrade.
C’est en 1843 que les propriétaires Roques-de Tauriac-Lostange vendent la maison seigneuriale en deux lots : Jean-Jacques Maury, un riche propriétaire toulousain, déjà propriétaire de la Forêt Royale de Villemur acquise en 1837, achète la partie actuelle des Greniers du Roy. Le deuxième lot le logis seigneurial est racheté par Mathieu Castella, (pour la plus grande partie), Géraud Balat tuilier, et Michel Duvernet, maçon.
C’est ce deuxième lot que le curé Fieuzet va racheter patiemment entre 1841 et 1845. Son objectif atteint, il en fait don à la commune à la condition que cette donation serve pour l’établissement des Frères des Ecoles chrétiennes. La donation est ratifiée par décret du 21 août 1849 signé par le Président de la République Louis-Napoléon Bonaparte. Dans la foulée, le maire de Villemur Victor Gay accepte cette donation le 29 octobre de la même année.
En 1850, le curé Fieuzet qui a de la suite dans les idées projette de doter Villemur d’un hospice, va jeter son dévolu sur la partie des Greniers du Roy détenue par Maury et en fait part à la municipalité. Après bien des tractations sur le montage financier de l’affaire, il semblerait que c’est la commune qui achète l’immeuble, une partie du financement étant assuré par les biens personnels du curé Fieuzet (3.000 francs) et par plusieurs dons de Mme de Vacquié, Monsieur Jean-Antoine Batut (5.000 francs) et surtout de Mlle Marie-Aimée Beudot (10.000 francs) versés « à condition que cette somme soit employée à l’établissement d’un hôpital à Villemur ». Quelques années auparavant, la municipalité s’était occupée de la question de l’établissement d’un hospice, sans la finaliser, réalise une belle opération apportant seulement dans la transaction la somme de 6.700 francs fruit de la vente de l’immeuble et terres de l’ancien hôpital Saint-Jacques, devenu hospice civil en 1796 est quasi à l’abandon depuis cette date.
L’Hospice Saint-Jacques de Villemur est agréé par arrêté préfectoral le 18 novembre 1852, et la même année, les Filles de la Croix de Saint-André s’installent à la demande du curé Fieuzet. En 1860, prétextant le fait que ces religieuses ne veulent pas soigner les hommes, la municipalité, bien que Fieuzet n’y soit pas favorable, les remplacent par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Une convention est établie le 30 avril 1860 entre les administrateurs de l’hospice et la Supérieure générale de la Congrégation et le mois suivant trois sœurs dont la Supérieure sœur Louise Anglade, arrivent à Villemur. Entre 1852 et 1936, entre quatre et sept religieuses s’occupent d’environ d’une dizaine de pensionnaires pour la plupart âgés, malades ou nécessiteux des deux sexes. Outre ce travail de soignantes, les Filles de la Charité ouvrent une école chrétienne qui a beaucoup de succès auprès de la population. Un document anonyme au début des années 1900 nous en apprend davantage sur l’enseignement donné aux fillettes villemuriennes : « La classe maternelle était confiée à Sœur Cécile qui avait deux adjointes ainsi qu’une religieuse en retraite, Sœur Gardettes, native de Villemur (*) pour enseigner à lire et à écrire aux plus petits. La deuxième classe était tenue par sœur Louise pour le cours élémentaire. Enfin la grande classe qui comprenait le cours moyen et le cours supérieur. Sœur de Lavizon était le professeur d’histoire de France et d’histoire biblique, sœur Brunet professeur de maths, sciences et géographie, Sœur Marie faisait le catéchisme. Sœur de Lavizon était chargée de nous préparer à la première communion…Malgré tout le travail que donnait la scolarité, les malades et les vieillards n’étaient pas abandonnés. »
Après la sœur Louise Anglade, c’est la sœur Euphémie Lavizon qui assure la direction de l’hospice, remplacée par la sœur Ernestine Carpuat dans les années 1930. Entre quatre et sept sœurs de Saint-Vincent de Paul se relaieront pendant toutes ces années, où annuellement, entre sept et douze pensionnaires de l’hospice, malades ou indigents seront accueillis.
Pendant les deux grands conflits du XXe siècle, l’Hospice jouera un rôle non négligeable ; en effet entre 1914 et 1915, l’hospice hébergera des soldats blessés ou convalescents au sein de « l’hôpital bénévole n° 44 bis » pour soulager les hôpitaux toulousains surchargés. En 1940 entre les mois de mai et août, ce sont des civils belges fuyant l’invasion allemande qui trouveront refuge dans l’hospice.
En 1958 l’hospice est transféré rive gauche – aujourd’hui l’EHPAD Saint-Jacques, « la maison de retraite », et les sœurs de Saint-Vincent de Paul assurent la gestion de l’établissement jusqu’en 1965. Quatre religieuses continuent leur service avec des infirmières et du personnel public jusqu’en décembre 1980. Le 30 novembre au cours d’une émouvante cérémonie, dans la salle des Greniers du Roy, là même où elles ont servi pendant si longtemps, Villemur dit au revoir aux sœurs de Saint-Vincent de Paul après 140 ans de présence. Dans son discours, le maire de l’époque Léon Eeckhoutte, rappelle tout ce qu’elles ont apporté : les soins aux malades, l’aide aux vieillards et aux indigents, un dévouement de toutes les heures envers la jeunesse et la paroisse. Une foule considérable a suivi cette cérémonie, témoignant la reconnaissance de Villemur envers « les sœurs cornettes » appelée ainsi avec beaucoup d’affection.
(*) Sœur Pétronille Gardettes était née le 2 juillet 1834, fille d’Alexandre Gardettes et de Jeanne Azéma. Elle est décédée la 19 octobre 1908 à l’hospice de Villemur, âgée de 74 ans. Elle était la tante de Paul Gardettes ex-comptable chez Brusson et fondateur des “Etablissements du Sud-Ouest ” fabrique de pâtes alimentaires qui prendra le nom plus tard des “Pâtes Tante Marie ” Une autre religieuse a servi dans l’ordre des Filles de la Charité. Il s’agit de Marguerite Ménestral née le 20 janvier 1885 fille de Jean Ménestral et d’Antoinette Fabre. Elle était la sœur d’Albert Ménestral « gloire locale » des années 1930. Elle est décédée le 20 janvier 1972 à la maison Saint-Vincent de Château-l’Évêque ‘Dordogne) à la fois couvent, maison de retraite pour les Filles de la charité et lieu d’hébergement spirituel.
L’ hospice désormais vide est dans un triste état. Pendant plus d’un siècle il a subi les affres du temps mais aussi de son utilisation intensive qui a sérieusement dégradé l’ensemble du bâtiment quasi à l’abandon. C’est Marcel Peyre, adjoint au maire, historien local qui va réveiller sa mémoire. C’est lui qui redonne au vénérable bâtiment le nom correspondant à sa première fonction: ” Les Greniers du Roy “. Et c’est grâce à sa ténacité et sur ses conseils avisés qu’en 1971 le maire Léon Eeckhoutte décide sa restauration. Les villemuriens découvrent alors un joyau architectural qui leur avait échappé si longtemps.
JCF / AVH Juillet 2022