Emile Sabatié
et l’histoire de la scierie Sabatié
Créée au début des années 1880, passée ensuite dans le giron de la Manufacture de pâtes alimentaires Brusson, et retrouvant son autonomie en 1908, la scierie Sabatié va participer de façon notoire à l’essor économique de Villemur dans le premiers tiers du 20e siècle.
Les Brusson et les Sabatié ont en commun la rivière, le Tarn. Meuniers et mariniers, les deux familles se sont d’ailleurs alliées au début du 17e siècle par le mariage entre François Sabatier et Bertrande Brusson.
Les Sabatié habitent le quartier Notre-Dame proche de la rivière, comme bon nombre de mariniers. En 1779, Pierre Sabatié possède une maison entre la rue Daunou (auj. rue Hoche) et la rue des Faures (Gambetta) ; en 1825 Antoine Sabatié fils de Pierre réside rue du Temple, entre 1840 et 1866 Salvi Sabatié fils d’Antoine loge rue de Grailh (Place Jean-Jaurès)et rue Lapeyre.(Rue de l’Hospice)
Dix ans plus tard, en 1876, le fils de Salvi, Antoine Sabatié habite rue de Castelpailhas (Rue des remparts Notre-Dame) avec Emilie Cocural qu’il a épousée en 1870. C’est là qu’est probablement né le 1er mai 1874 leur fils Emile, Dominique Antoine Sabatier comme porté à l’Etat Civil. Dans cette maison vit également Dominique Cocural, le père d’Emilie.
1. Actes de naissance d’Antoine Sabatié et de son fils Emile Sabatier
Notez la différence d’orthographe, variable au fil des actes et des époques.
Emile Sabatié sera l’orthographe la plus usitée.
On peut penser que Salvi Sabatié est le premier à délaisser le métier de marin à plein temps, celui de ses ancêtres, pour se consacrer au commerce du bois, car en 1870 il n’est plus identifié comme maître de bateaux mais comme négociant.
A la même date, son fils Antoine est employé de commerce, puis négociant l’année suivante. Il est enfin marchand de bois en 1874 l’année de naissance d’Emile et du décès de Salvi son père. Malgré tout la famille Sabatié n’a pas rompu sa relation avec la rivière : c’est par elle que se fait encore le transport du bois ; c’est d’ailleurs en 1876 qu’Antoine Sabatié fait construire à Villemur le célèbre bateau « Le Jeune Emile », fleuron de sa flottille.
C’est au début des années 1880 que les Sabatié quittent le quartier Notre-Dame et le « vieux Villemur » pour s’installer sur la rive gauche. Le lieu est mûrement choisi. Antoine Sabatié profitant sans doute des conseils avisés de son beau-père Dominique Cocural – conseiller municipal- construit une superbe maison à proximité de la future voie ferrée Montauban Saint-Sulpice dont le tracé a été approuvé par décision ministérielle en 1879. Sur ce vaste terrain, outre la vaste demeure aux multiples dépendances, Antoine Sabatié fait aménager un très beau parc avec un bassin en son centre … mais également les ateliers de sa scierie qu’il reliera plus tard à la ligne de chemin de fer par un embranchement particulier.
Mais le devenir de la famille Sabatié va se jouer Le 10 juillet 1882. Ce jour-là, Jean Brusson Aîné, (1) gérant et copropriétaire des Moulins et Usines de Villemur passe un bail sous seing privé avec Antoine Sabatié, pour la fabrication d’emballages destinés à expédier les produits de la Manufacture. Antoine Sabatié s’associe pour la circonstance avec son beau-frère Jean Pélissier, (2) marchand de bois domicilié à Albi.
La durée de ce bail est fixée à 10 ans a partir du 1er janvier 1883, pour le prix de 1.200 francs par semestre et payable par avance. En 1885 dans sa monographie de Villemur, l’instituteur Miquel précise, en parlant de l’usine Brusson : « Une belle scierie y a été installée depuis peu, douze ouvriers y sont journellement occupés à faire les caisses pour l’expédition des pâtes. » La collaboration Brusson-Sabatié donnant satisfaction, un nouveau bail est signé début 1888 pour une durée de 20 ans. Une nouvelle scierie voit le jour dans un grand hangar de 33 mètres de longueur sur 17 mètres de largeur construit derrière l’usine en bordure du Tarn. Dans l’ouvrage « La chanson des blés durs » Gérard Brusson rappelle les grandes lignes du contrat entre Jean-Marie Elie Brusson et Messieurs Sabatié fils et Pélissier :
« -1° La grande halle nouvellement construite ayant 510 m² de superficie intérieurement avec ses portes, grandes ouvertes et vitrées et galeries souterraines pour établir les transmissions du mouvement.
-2° Un moteur dépendant du moulin, le cinquième en entrant devant servir à transmettre le mouvement par un câble à la scierie établie dans le hangar précité . (l’énergie nécessaire à la marche des machines de la scierie est fournie par le moulin de la rive gauche sur le Tarn)
-14° La durée du présent bail demeure fixée à 20 années à partie du 1er janvier 1888, et le prix est arrêté à la somme de 2 000 francs par an payables d’avance et par trimestres… »
Le même jour un contrat est signé pour la fourniture des caisses d’emballage, prévues en bois blanc, éventuellement en hêtre ou en bois du Nord non résineux, destinées à contenir les produits de vermicellerie, glutinerie et amidonnerie.
Enfin, les preneurs désirant s’éclairer au gaz, M.Brusson se charge d’établir à ses frais la canalisation pour douze becs répartis dans leur usine ; le prix du mètre cube de gaz fourni est fixé à 30 centimes. » (3)
Que devient Emile Sabatié ? En 1888 il a 14 ans et poursuit ses études. Plus tard on le retrouve étudiant, préparant un doctorat en droit. Le 8 septembre 1895 son père Antoine Sabatié décède « au quartier de la Gare » Deux mois plus tard Emile est incorporé au 126e régiment d’infanterie de Toulouse. Pendant son temps d’armée c’est son fondé de pouvoir – aussi son cousin – Elie Passet qui dirige l’usine. Emile est libéré de ses obligations militaires le 22 septembre 1896 et son retour à Villemur marque un nouveau départ, il est, à 22 ans, le patron de la scierie. L’affaire est prospère, les effectifs en augmentation, une vingtaine d’ouvriers en 1896, plus du double en 1901.
En ce début de siècle Emile Sabatié fait l’acquisition de la ferme de Gauré et des terrains environnants, situés proches de sa maison, au-delà de la gare et de la voie ferrée, et dont l’accès s’effectue par la route menant à Magnanac. Il entrepose déjà ses stocks de bois sur ce terrain préparant peut-être déjà l’avenir. Mais en 1905 deux événements viennent troubler l’embellie : le décès de Jean Pélissier son oncle, décède à Albi au mois de juillet et 15 jours plus tard un incendie manque de réduire à néant tout son matériel à Gauré.
La promptitude du renfort des ouvriers de la scierie et de l’usine Brusson permet de limiter les dégâts.
En 1908 le bail signé vingt ans plus tôt expire, et n’est pas reconduit par Antonin Brusson qui a succédé à son père à la tête de la Manufacture. La scierie Sabatié va quitter le giron de Brusson et voler de ses propres ailes. Emile a déjà prévu la suite : c’est sur le site de Gauré que va se construire la nouvelle scierie industrielle.
Pour Emile Sabatier, pas de doute, le train est le moyen le plus moderne pour recevoir la matière première et expédier sa production. En 1901 il employait encore quatre marins ( Jean Malpel 60 ans, Jean Lestang 64 ans, Jean Gay 44 ans, autre Jean Lestang 58 ans) pour piloter ses bateaux mais le temps des bateliers est révolu témoin la mise en vente d’un de ses bateaux en 1907. L’effectif est en augmentation constante, Emile Sabatié ouvre des dépôts de bois dans le Lot-et-Garonne à Lavardac et Casteljaloux à proximité de la forêt des Landes, et 60 ouvriers travaillent à la scierie Sabatié en 1911. Au cours de cette année un incendie se déclare sur le site de l’ancienne scierie dans l’enceinte de l’usine Brusson. De nombreuses piles de bois y sont encore stockées, une trentaine partent en fumée, mais les bâtiments adjacents sont préservés grâce à l’intervention conjuguée des ouvriers sur place et « des gens accourus de Villemur.»
Vient ensuite 1914. Le 3 août Emile Sabatié rejoint la caserne Pérignon à Toulouse et le 133e régiment d’infanterie territoriale, avec lui trente de ses ouvriers sont mobilisés. L’usine continue de fonctionner car il reste environ une trentaine d’anciens, non mobilisables, fidèles au poste. Au courant de l’été 1915 une quinzaine d’ouvriers réintègrent la scierie au titre du « service auxiliaire » (∗) car l’usine travaille pour l’armée, elle fabrique des caisses servant au transport des obus fabriqués par la Poudrerie Nationale de Toulouse. Emile Sabatié a également été libéré le 3 juillet 1915 et repris la direction de la scierie. Mais ces années de guerre sont difficiles dix ouvriers sont mobilisés pendant toute la durée du conflit, Edouard Vincens prisonnier ne rentre qu’en 1919. Hélas cinq ouvriers ne reviennent pas : trois habitaient Magnanac Guillaume Meilhou disparu à Bernécourt en 1914, Louis Abeilhou disparu en 1916 à Verdun, Louis Jolibert mort en 1918 dans la Marne. Pierre Balat disparu en 1914 en Belgique habitait le Pech, Jean-Louis Castella mort en captivité en 1918 était du quartier Saint-Jean.
(∗) Clément Sirié et Lucien Castella sont tous deux ouvriers de la scierie et sont incorporés depuis 1914 au 57e Régiment d’Artillerie de Campagne . La carte ci-contre est envoyée le 1er juillet 1915 par Clément Sirié à Lucien Castella . Ce dernier, vient d’être réintégré à la scierie depuis quelques jours. Clément Sirié, encore au front, rejoindra finalement Villemur le 24 août.
La photo ci-dessus montre la scierie en activité, la fumée s’échappant de la cheminée en témoigne. Cette cheminée, visible encore de nos jours était reliée à une impressionnante machine à vapeur qui faisait tourner les différentes machines de la scierie.
Malgré tout la scierie continue son activité avec 40 ouvriers en 1921 une cinquantaine en 1926, le dépôt de Casteljaloux a été fermé après la guerre. Mais dans les années 30, le développement de l’industrie des cartons ondulés annonce le déclin de l’activité, l’expédition des produits Brusson par les caisses en bois devient trop onéreuse. L’inondation de 1930 et le décès d’Elie Passet en 1932 sont d’autres coups portés à l’entreprise.
En 1936 la scierie n’emploie qu’une trentaine de personnes, deux ans plus tard en 1938 elle cesse définitivement son activité.
En 1940, au début du conflit mondial, le gouvernement demande aux industriels travaillant pour l’armement de se replier dans le sud du pays en zone non occupée. Monsieur Pierre Compte, patron de la Société Générale d’Equipements basée en région parisienne qui travaille pour l’aviation, cherche à s’implanter dans la région toulousaine berceau de l’aéronautique française. Sur les conseils de l’avionneur Emile Dewoitine son ami, Pierre Compte se rend acquéreur de la scierie début 1941. C’est le début d’une nouvelle aventure qui portera la croissance de Villemur pour les décennies à venir.
Emile Sabatié s’est impliqué tout au long de son existence dans la vie de sa cité. Ce villemurien au grand cœur s’est montré généreux, bienveillant envers les sportifs, c’est sur un terrain lui appartenant que les rugbymen ont évolué à partir de 1913, et que le stade vélodrome sera édifié. Pendant la guerre 39-45 il fit de nombreux dons destinés aux prisonniers et légua à l’Hospice Saint-Jacques de Villemur terrains et bâtiments pour un montant substantiel. Peu après son décès et afin de lui rendre hommage, le conseil municipal de Villemur donne le nom d’ « Avenue Emile Sabatié » à l’avenue de la Gare.
Resté célibataire, Emile Sabatié s’éteint à près de 68 ans le 27 mars 1942 dans son domaine de Pharamond, à Magnanac.
La maison Sabatié.
Cette grande maison divisée en plusieurs appartements, a été construite dans les années 1880 par Antoine Sabatié. C’est là qu’habiteront plus tard Emile Sabatié, et son grand-père Dominique Cocural qui fut conseiller municipal de Villemur de 1878 à 1896.
Habitent également la maison le bras droit d’Emile, Elie Passet et son épouse Françoise Sabin ainsi que cuisinière, chauffeur, domestiques…
Emile Sabatié quittera cette maison après la guerre pour sa résidence de Pharamond à Magnanac, et la louera à ses employés. (par exemple Louis Abeilhou). Maria Laporte en sera la concierge en 1936. Cette maison fera enfin parti du legs d’Emile Sabatié à l’Hospice. Le 31 /3/1942 la commission administrative de l’Hospice consentira à louer à la Société Générale d’Equipements la maison Sabatié au prix de 7.000 francs annuels. Dans les années d’après-guerre, la S.G.E louera cette maison à certains de ses employés, et c’est dans l’ancien parc que sera construite au début des années 1970 l’école maternelle et élémentaire Jules Michelet.
Pharamond
Cette très vieille demeure est portée sur le compoix de 1585 sous le nom de Farmon. En 1645 la maison de Pharmond appartient à noble François de Bertrand, sieur des Cresens.(4) En 1798 Germain Bousigues marié à Françoise Chaubard (Veuve de Jean Garrigues) en est propriétaire, il décède en 1832 C’est son fils Jean Bousigues (marié en 1834 avec Marie Belay) qui lui succède jusqu’à son décès en 1878. Très impliqué dans la vie locale, il est conseiller municipal de Villemur de 1832 à 1865 et conseiller général de la Haute-Garonne en 1866.
Emile Sabatié se rend acquéreur du domaine de Pharamond dans les dernières années du 19e siècle car dès 1901 on retrouve dans la propriété, la famille de Jean-Pierre Seillères qualifié « d’homme d’affaire », régisseur du domaine, et le grand-père d’Emile, Dominique Cocural (qui décède à Pharamond en 1902)
Jusqu’en 1936 il y aura en permanence une demi-douzaine d’employés au château Pharamond, à savoir : cuisinière, chauffeur, concierge, régisseur) Le domaine agricole de Pharamond comprend plusieurs fermes avec une dizaine de maître-valets et cultivateurs faisant vivre au moins une trentaine de personnes. Jean Laynat est régisseur à Pharamond en 1942.
Aujourd’hui, les propriétaires actuels ont aménagé de splendides chambres d’hôtes dans cette belle maison familiale.
14. Pharamond aujourd’hui
JCF / AVH mars 2022
Notes :
(1) Il est le fils d’Antoine Brusson ancien maire de Villemur, (la branche Brusson Aînée) frère d’Arnaud Brusson, lpère de Jean-Marie Elie (La branche Brusson Jeune)
(2) Jean Pélissier a épousé Elisabeth Sabatié la sœur d’Antoine, en 1857)
(3) « La chanson des blés durs » Gérard Brusson Générations Brusson p.192
(4) Christian Teysseyre Nouvelle Histoire de Villemur, Tome 3, p.786.
Sources :
Archives communales de Villemur-sur-Tarn. Etat civil et délibérations C.M (Archives Départementales de la Haute-Garonne)
Recensements de la population de Villemur-sur-Tarn (ADHG 31)
La Chanson des blés d’or, Générations Brusson, Gérard Brusson, Editions Loubatières 1993.
Nouvelle Histoire de Villemur, Christian Teysseyre, tome 3, Editions Fleurines.
S.G.E.Contact Journal d’établissement de la Société Générale d’Equipements.
Rosalis la bibliothèque numérique de Toulouse.
ign.fr
Illustrations :
1 : ADHG 31 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10, 11 : coll J.C. François 12 : SGE Contact 13 : JC François 14 : Chambres-Hotes.fr. Plan de la gare : SNCF Vue aérienne scierie : ign.fr