1754
De nouvelles cloches pour l’église Saint-Michel
Autrefois dans nos villes et villages les cloches ont joué un rôle primordial, essentiel pourrait-on dire, Elles étaient un élément de communication unique annonciateur des bonnes et mauvaises nouvelles, rythmant la journée de l’aube au coucher du soleil.
Leur rôle premier était liturgique, annonçant fêtes et offices, la sonnerie du glas facilement reconnaissable informant les décès.
La journée était rythmée par la sonnerie de l’angélus trois fois par jour matin midi et soir selon une vieille coutume. (1) Pour les paysans alentour il signifiait l’heure du début et de la fin de la journée et l’heure de la pause de midi.
Parfois l’heure était grave, le tocsin sonnait, annonciateur de catastrophes incendie ou crues fréquentes en ce temps-là.
Les cloches permettaient également de prédire le temps : entendre les cloches du village voisin annonçait selon le vent l’arrivée de la pluie. (2)
Mais il arrivait parfois, avec le temps et l’usage que ces cloches vieillissantes ne sonnaient plus comme à l’accoutumée, qu’elles soient brisées ou simplement fêlées.
Il fallait se résoudre à faire fondre de nouvelles cloches.
Le fait était d’importance au point de faire figurer l’événement dans les registres paroissiaux comme à Villemur en 1754.
C’est ce que fit le curé de l’époque, Guillaume Maignès qui nota scrupuleusement les lignes suivantes :
« L’an 1754 et le 2 du mois d’août il fut fait par
nous Guillaume Maignes curé de Villemur la bénédiction
des trois cloches pour le dit lieu l’une desquelles pèse
onze quinteaux dix et huit livres un quart la seconde
huit quinteaux cinquante six livres trois quart la
troisième cinq quinteaux quatre vingt douze livres et demi (3)
lesquelles cloches furent fondues le 31 juillet dud.an par le
…..Christenot de Lorraine »
Pour mémoire, rappelons qu’en 1754 nous sommes en présence de la troisième église Saint-Michel sur le même lieu. Elle a été rebâtie avec peu de moyens et dans des conditions médiocres en 1673 sur les fondements de la seconde église très endommagée après les guerres de religion.
Au mois février 1754, il est lancé, en quelque sorte un appel d’offre pour la confection ou la refonte des cloches de l’église. Un seul candidat se présente, Jean-Baptiste Cornevin, fondeur de Lorraine habitant à présent la ville d’Albi. Après avoir examiné le dossier, il ne semble pas très enthousiaste, car il trouve l’offre faite trop modique vu la cherté des matériaux pour la fabrication et fixe son prix à 2324 livres.
Le 28 avril 1754, la séance du Conseil rapporte que le sieur Cornevin ne s’est pas présenté à Villemur comme convenu, alors qu’il y a urgence,et que l’heure est grave : « Le public est en souffrance la plupart manquent les offices divins et notamment la messe faute de cloches ». Comme aucune autre offre n’a été faite, un courrier est adressé aux villes d’Albi, de Montauban, de Toulouse, demandant si un fondeur par hasard ne s’y trouvait pas. La suite se trouve dans les délibérations consulaires (4) : « Surquoy, le jour d’hier, le Sieur Jean-Baptiste Chrestienot fondeur en Lorraine habitant de Chaumont-la-ville, s’est présenté aux greffes muni des bonnes attestations et certificat de plusieurs villes et monastères où il a travaillé, notamment de la ville de Montauban, de l’Isle-en-Jourdain, de la Chartreuse de Castres et des révérents-pères de la ville de Toulouse où il travaille actuellement pour la faction de plusieurs cloches. »
L’accord est finalement trouvé entre les deux partis pour la somme proposée par Cornevin à savoir 2.324 livres.
En ce printemps 1754, Jean-Baptiste Chrestiennot ( ou Chrétiennot) est à pied d’oeuvre à Toulouse sur les bords de Garonne dans les jardins de Notre-Dame-de la Daurade où il a été appelé en urgence. Deux ans plus tôt les moines mauristes, installés depuis plus d’un siècle dans le prieuré bénédictin de la Daurade décident de remplacer plusieurs des cinq cloches fort usées par un carillon de 10 cloches sous la direction de Guillaume Cammas, architecte de la ville de Toulouse. Les premiers essais du fondeur toulousain Amiel se soldent par un semi-échec en 1753. On fait alors appel à Chrestiennot qui s’était forgé une solide réputation dans la région. (5)
Il fond alors 14 cloches, 5 grosses et 9 moyennes entre le 18 mars et le 22 juin 1754. Ces clochessont transportées à l’intérieur de l’église durant les mois suivants, et baptisées le 6 septembre 1754.
Après ce chantier, il enchaîne ensuite avec celui des cloches de Villemur. Le voiturier (transporteur) Antoine Delthil est chargé d’amener de la terre et de la brique pour confectionner le fourneau pour la fonte des cloches. Il faut transporter 40 charges de terre, 120 tuiles violettes cuites et 1500 tuiles violettes crues avec 6 charges de tuiles cassées appelées « riblou » le tout venant de la tuilerie de Raymond Gailhac. Sont également sollicités Pierre Lacroux forgeron, Siblanc Aîné cordier. Jean Péfourque le forgeron a quand à lui la responsabilité de hisser les cloches dans le clocher.
La réception des cloches fondues par Jean-Baptiste Chrestiennot s’effectue le 3 août 1754 en présence de Pierre Terrancle charpentier qui procéde à la vérification et à la conformité des cloches. Sont également présents Louis Coulom notaire, syndic de la Communauté, noble Joseph de Pouzols, M° Jean-Jacques Maliver avocat en Parlement, le sieur Jean Ratier, bourgeois, François Lapeyre procureur, Antoine Mathieu le maire, Jean-Pierre Bourdaries cordier et Etienne Causse charron.
Douze ans plus tard , en 1766 , Jean-Baptiste Chrestiennot revient à Toulouse fondre quatre cloches pour le Palais de justice. Le Parlement, dit un contemporain, voulut « profiter de l’habileté d’un homme nommé Chrestiennot, fondeur de cloches de Chaumont la ville en Lorraine, le même qui fondit ci-devant toutes les cloches de la Daurade. … »»
Sur la grosse cloche, refondue le 29 novembre, ou lit ainsi le nom du fondeur : « JOANNE BAPTISTA CHRESTIENNOT Lotharingio ». Les trois autres cloches , pour la sonnerie des heures, sont coulées le dernier jour du même mois.
Que sont devenues ces cloches ? Elles ont certainement disparu dans la tourmente de l’époque révolutionnaire. La lecture des Archives Municipales de Villemur nous apprend qu’au mois d’octobre 1793, (mettant à exécution le décret de la Convention du 23 juillet précédent,) trois cloches pesant 16 quintaux sont descendues du clocher et «transportées sur la charrette de Jean-Baptiste Pendaries.» Un an plus tard, à l’été 1794, l’agent national Pierre Bénech est dénoncé pour ne pas avoir remis ces cloches à l’administration. Dans la réponse qu’il donne à son supérieur, il précise que « tous les clochers de notre commune, au nombre de huit ont été abattus, les cloches serviront à détruire les tyrans » Il ajoute « qu’il a rassemblé toutes les cloches, au nombre de huit à Magnanac, et qu’il n’a conservé que la plus grosse , celle de Villemur (qu’il a) cru devoir garder, vu la grande étendue de la commune. » (6)
La cloche « rescapée » n’est autre que celle appelée « le souc » ou « Monseigneur » car elle avait été baptisée par Monseigneur Michel Vertamont de Chavignac l’évêque de Montauban. Elle possédait un énorme contrepoids en bois ( le souc en occitan signifie : le billot). Les cloches de Jean-Baptiste Chrestiennot de nouveau fondues ont donc servi à fabriquer des canons ! Pour compléter le patrimoine campanaire de l’église Saint-Michel, ajoutons qu’outre le « souc » il existe quatre autres cloches en fonction . La « Germaine » mise en service en 1892, pesant 1.200 kg offerte par Jean-Marie Elie Brusson et son épouse née Marie Germaine Apollonie Nicol. Cette dernière était la marraine, le parrain étant François Catherine Hippolyte Vieusse, le curé Bernard David. Les trois dernières cloches installées ont pour nom « Michel-Claude » , « Jacques-Françoise » et « Alain-Marie », consacrées le 17 février 1963 par Monseigneur Gabriel-Marie Garrone, François Mayzen étant alors le curé-doyen de Villemur. (7)
La cloche la plus ancienne datant de 1662, est conservée dans les fonds baptismaux de l’église Saint-Michel.
JCF / AVH juin 2019.
Sources :
– Bernadette Suau, Consevateur général honoraire du Patrimoine; » Art campanaire en Haute-Garonne » Le carillon disparu de Notre-Dame de la Daurade.
– Généalogie et histoires lorraines, http://www.auburtin.fr/, les fondeurs au fil du temps Par M. Léon Germain, Membre titulaire. Mémoires de la Société des lettres sciences et arts de Bar le Duc 1887. 1. 2e sér. T. 6
– Marie-France Castang-Coutou http://www.liorac.info/
Notes :
(1) Au Concile de Clermont (1095), le pape Urbain II demande que les cloches des cathédrales et églises de la chrétienté soient tintées le matin et le soir, afin que les prières soient faites à la Vierge pour le succès de la première croisade. Après la première croisade, une seule ville continua de pratiquer l’angélus : il s’agissait de Saintes, capitale du comté de Saintonge.
En 1318, Jean XXII, pape d’Avignon, dans sa bulle Quam pium quam debicum, recommande « que cette pieuse coutume établie à Saintes soit étendue à l’Église universelle ». Le pape Calixte III renouvelle en 1456 la prescription de l’angélus du soir pour demander la victoire de la Chrétienté sur les Turcs musulmans.
Le roi de France Louis XI, venu plusieurs fois à Saintes, demande en 1472 qu’entre les sonneries du matin et du soir, une autre sonnerie ait lieu à midi afin de prier la Vierge pour implorer la paix du royaume.
Le 16 janvier 1476, le pape Sixte IV officialise la pratique de trois angélus quotidiens et la récitation de trois Ave Maria, prescription que le pape Alexandre VI renouvellera en 1500.
(2) Marie-France Castang-Coutou http://www.liorac.info/
(3) Soit environ 557 kg pour la première,420 kg pour la seconde,et 290 kg pour la troisième.Le quintal français ancien valait 100 livres anciennes, environ 48,450 kg.
(4) Commune de Villemur-sur-Tarn. 1D8 : registre des délibérations consulaires 28 février 1751- 20 juin 1767.
(5) Avant les chantiers de l’année 1754, Chrestiennot avait fondu des cloches à Lisle sur Tarn en 1730, Baziège 1732, collégiale de St-Martin de l’Isle-Jourdain (1733) Castres (1734) Gaillac (1743-44) Montauban ?
Il fondit également une cloche de 230 kg à Crest–Voland (Savoie) dans l’église de la Nativité Notre-Dame en 1736
(6) « Le canton de Villemur-sur-Tarn » Christian Teysseyre et AREC, 2011.
(7) Les parrains et marraines étaient respectivement Michel Eeckhoutte et Marie-Claude Boyer (Michel-Claude), Jacques Nadler et Françoise Grimal (Jacques-Françoise) Alain Béziat et Marie-Reine Delga (Alain-Marie)
Crédit photo :
1, 7 : Jean-Claude François. 2, 3, 4 : » Art campanaire en Haute-Garonne » 5, :Wikipédia. 6, : Yvonne Quarti.
En ANNEXE :
Pour en savoir davantage sur le Bassigny, région de Lorraine d’où était originaire Jean-Baptiste Chrestiennot
Les fondeurs de cloches du Bassigny en Lorraine
Le Bassigny est un ancien « pagus » qui s’étend de la vallée de la Marne à celle de la Meuse sur les confins champenois de la Lorraine. Schématiquement, il s’inscrit dans un triangle délimité à l’ouest par Chaumont, à l’est par Montigny-le-Roi qui d’ailleurs s’appelait avant la Révolution Montigny-en-Bassigny, et au nord par Neufchâteau.
Les richesses naturelles de cette région en forêts, ainsi qu’en minerai de fer qui affleurait le sol, ont déterminé une tradition de fondeurs, principalement dans les villages situés dans la vallée de la Meuse, depuis sa source jusqu’à Neufchâteau.
À quelle époque remonte la spécialisation des « Bassignots » dans la fonte des cloches ? Il est impossible de répondre à cette question. Très vraisemblablement dès le Moyen-Age. En effet, les plus anciens documents d’archives retrouvés font apparaître au début du 15ème siècle une famille de fondeur de cloches de Bourg-Sainte-Marie près de Bourmont.
La réussite technique délicate de la fonte des cloches a été telle que les artisans du Bassigny ont été appelés dans toutes les provinces de France et même au-delà des frontières. C’est ainsi qu’ils devinrent des ambulants car avant l’avènement du chemin de fer, de moyens de transport nécessitait la fonte sur place.
Voici le témoignage de Savary des Brulons dans le Dictionnaire des commerces publié en 1723: « Les Lorrains passent pour les meilleurs fondeurs de l’Europe, particulièrement pour les canons, les mortiers et les cloches, et ils sont ordinairement appelés dans les fonderies de France et des autres Etats. Les habitants des villages de Levescourt, d’Outrémécourt et de Brévannes sont les plus en réputation pour cette fabrique. »
Jules Marchal avait relevé les noms et prénoms des 348 fondeurs de cloches du Bassigny, noms accompagnés seulement d’une date et du lieu d’origine. C’était peu, mais mieux que rien.
Joseph Berthelé reproduisit le liste de Jules Marchal dans son ouvrage intitulé Enquêtes campanaires et publié à Montpellier en 1903. Il en signale l’intérêt, mais en remarque le caractère sommaire et indique ce qu’il reste à faire pour compléter ces recherches.
C’est justement à quoi nous nous sommes attachés en procédant avec une méthode rigoureuse au dépouillement des archives vues par Marchal, ainsi que des registres paroissiaux des villages du Bassigny.
….Malgré les lacunes (des registres paroissiaux) occasionnées par les destructions durant la guerre de Trente ans, nous avons pu recenser plus de 800 fondeurs de cloches du Bassigny Grâce aux archives notariales, il est possible de reconstituer la vie de ces hommes qui sont à la fois des terriens et des artisans ambulants. Généralement propriétaires de leur maison, d’un peu de bétail, de quelques champs, parfois d’une vigne, ils comptaient parmi les plus aisés de leur village; dès les beaux jours ils partaient « en campagne », laissant leur petit domaine aux soins de leur femme.
La technique de la fonte des cloches se transmettait le plus souvent de père en fils, l’apprentissage se faisait auprès du père ou de l’oncle. C’est en équipe familiale –deux ou trois au maximum– qu’ils partaient pour une durée plus ou moins longue, leur rayon d’action couvrant presque toutes les provinces de France, débordant les Alpes, s’étendant en Suisse, en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et dans la vallée du Rhin.
Qu’emportaient-ils avec eux ? Dans la besace figurent habituellement un compas et un pied- de- Roi (1) , mesure géométrique contenant douze pouces de long. Cet outillage restreint prouve à quel degré de maîtrise ils étaient parvenus dans l’art si délicat de la fonte des cloches qui nécessite des connaissances précises en géométrie et une oreille très sûre, la beauté et la forme du décor allant de pair avec la justesse du son. »
(1) Le pied-de-roi mesure équivalant à 12 pouces soit 325 mm
Sources :
Henri Ronot . Paru dans le Bulletin de l’Association des conservateurs des antiquités et objets d’art de France n° 4 septembre 1989 p.13
Crédit photo :
1, : Jean-Claude François. 2, 3,: Wikipédia.