1795 : des prisonniers espagnols à Villemur

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 1795 : des prisonniers espagnols à Villemur

L’exposition annuelle du Patrimoine villemurien de l’été 2017 « Il était une fois la Tour… » a permis de mettre en lumière un épisode méconnu de l’histoire de la ville et par là-même de celle de la Tour de défense.
En puisant dans les archives communales, nous avons pu reconstituer cet événement en le replaçant dans le contexte de l’époque.

L’Espagne et les débuts de la Révolution française

charles en rouge

Charles IV en rouge. Francisco de Goya, 1789. Musée du Prado, Madrid.

La guerre franco-espagnole de 1793 à 1795 marque une rupture dans les relations entre la France et l’Espagne. Depuis 1700 et l’avènement du roi Philippe V – petit-fils de Louis XIV – les deux branches des Bourbons ont lié une alliance étroite fondée sur les liens du sang certes , mais aussi sur la volonté de s’opposer à l’Angleterre qui menace leurs intérêts coloniaux.  En 1789, l’Espagne ne prend pas immédiatement conscience de la profondeur du mouvement qui débute à Paris. Les rapports avec la France ne se dégradent que lentement et, dans un premier temps, les réactions espagnoles ne sont pas hostiles.
L’Espagne avait alors ses propres problèmes entre émeutes en Catalogne et une situation économique et alimentaire tendue. Lorsque le gouvernement espagnol se rend compte de la gravite de la situation en France, les relations se tendent entre les deux pays. L’armée reçoit l’ordre de se tenir prête et les voyages en France deviennent plus difficiles.
Brouilles et embellies se succèdent jusqu’en décembre 1792. 

 

L’Espagne et le procès de Louis XVI

interrogatoire louis

Interrogatoire de Louis le dernier

Le procès de Louis XVI fait basculer l’Espagne du côté des ennemis de la France.
Charles IV (Charles de Bourbon) n’hésite pas à promettre sa neutralité en échange de la vie de Louis XVI, et fait tout pour le sauver.
Après l’exécution du roi de France le 21 janvier 1793, Charles IV refuse désormais de recevoir l’ambassadeur Bourgoing, se proclame protecteur de la famille royale de France et offre sa neutralité contre la vie de Marie-Antoinette et de ses enfants. Les dirigeants espagnols rompent avec leur politique antérieure et la solidarité dynastique va l’emporter sur les intérêts économiques.
Sentant venir la crise, la France créée une « Armée des Pyrénées-Orientales » alors que les soldats espagnols se massent derrière les Pyrénées. Devançant l’invasion, la Convention prend l’initiative de déclarer la guerre à l’Espagne le 7 mars 1793, alors que la monarchie espagnole était décidée à intervenir militairement contre la France révolutionnaire depuis la fuite de Varennes.

La guerre franco-espagnole

antonio ricardos

Portrait du général Antonio Ricardos par Goya, 1793.

La guerre franco-espagnole se limite aux extrémités de la chaîne des Pyrénées, en Roussillon et au Pays Basque, et va durer plus de deux ans, de mars 1793 à juillet 1795. Les Espagnols commandés par le général Antonio Ricardos Carillo, pénètrent en France le 17 avril 1793 et leur offensive victorieuse parvient aux portes de  Perpignan, mais est stoppée de justesse en septembre à la bataille de Peyrestortes. La ligne de front se stabilise alors pour l’hiver sur le Tech. La contre-offensive française conduite en 1794 réussit à chasser les Espagnols du Roussillon en mai après la bataille du Boulou. C’est ensuite au tour des armées républicaines d’envahir la Catalogne et de prendre Figueras le 27 novembre 1794 après le succès de des généraux Dugommier et Pérignon à la bataille de la Sierra Negra. Le conflit fait plusieurs dizaines de milliers de victimes de part et d’autre.
Menacés par une nouvelle offensive française, les Espagnols sont sauvés par la conclusion du traité de Bâle le 22 juillet 1795. Notons que la guerre au Pays Basque fut un peu occultée par rapport à celle en Roussillon. Là également après quelques succès initiaux -la ruine d’Hendaye- les espagnols furent mis en déroute sous les coups de l’« Armée des Pyrénées-Occidentales » commandée par le général Moncey.
La France restitue les contrées qu’elle occupe et reçoit la moitié de Saint-Domingue. Mais l’intérêt stratégique du traité va bien au-delà des arrangements territoriaux, les deux pays peuvent reprendre leur politique traditionnelle contre l’Angleterre.

larrey perignon

Les prisonniers espagnols à Villemur

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Prise de Figueras le 29 novembre 1794.

la question des prisonniers de guerre des armées étrangères est, avec les levées de troupes, l’armement et l’équipement des armées, au cœur de la politique de guerre menée par la Convention jusqu’à sa séparation en octobre 1795.
C’est à partir de 1794, avec la multiplication des victoires françaises et par conséquent du nombre des prisonniers, que la Convention est amenée à légiférer précisément sur ce sujet, l’essentiel des lois et règlements émanant du Comité de salut public, et l’exécution de ces décisions revenant à la Commission de l’Organisation et du mouvement des troupes ainsi qu’aux autorités locales.

L’arrêté pris le 9 juillet 1794 définit donc pour chaque armée un lieu de rassemblement des prisonniers de guerre : Toulouse est désignée pour l’« Armée des Pyrénées-Orientales ».
Un commissaire des guerres est chargé de recevoir, faire loger les prisonniers et déserteurs, et de les répartir ensuite dans les lieux désignés comme dépôt.

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Annonce de l’arrivée des prisonniers à Villemur le 1er février 1795.

Ainsi l’agent national de Villemur Pierre Bénech reçoit de son homologue toulousain l’annonce de l’envoi à Villemur de 50 prisonniers espagnols qui partiront de Toulouse le 6 février 1795, et lui demande de pourvoir à leur logement qui sera en l’occurrence la Tour de Défense.
La municipalité villemurienne se chargera de l’organisation de leur quotidien et de leur logement, en l’occurrence la Tour de Défense où ils arrivent le 7 février 1795. Ces 50 soldats (3 capitaines, 47 grenadiers) ont été fait prisonniers à Figueras le 29 novembre 1794, vont constituer une main d’œuvre au service de la République pour pallier au manque de bras des soldats mobilisés.
C’est ainsi qu’une vingtaine de patrons de bateaux villemuriens vont les utiliser en fonction de leurs besoins. Quelques exemples : Jean Sabatier prend 5 prisonniers pendant 20 jours pour aller à Bordeaux, Antoine et Jean Gibert embauchent 6 hommes pour la même destination, Bernard Darbieu 4 hommes pour aller à Gaillac.
Parmi les autres patrons de bateaux : Bernard et François Brusson, Germain Galan, Jean et Mathieu Duran, Bernard Bénech, Claude Fauré, Pierre Pendaries

Des propriétaires terriens puiseront également dans le contingent des prisonniers tels Pierre Roumagnac cultivateur à Pechnauquié (2 hommes pour cultiver la vigne) ou encore le citoyen Pouderous qui le 10 mai 1795 ramène de Toulouse deux prisonniers pour travailler à sa métairie de Magnanac. Ces deux hommes s’ajouteront aux 50 premiers arrivants.

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Bataille de Peyrestortes.

D’autres communes voisines reçurent également un petit contingent de prisonniers à savoir, Bessières, Fronton, Layrac, Mirepoix, Vacquiers et Villaudric. Autre exemple dans la région, en septembre 1794, trois cents déserteurs ou prisonniers de guerre des dépôts proches du district d’Albi, « jugés les plus propres à ce genre de travail », sont répartis sur les quatre fosses ouvertes dans les mines de terre situées à Carmaux.

Pour subvenir aux besoins des prisonniers de guerre, l’arrêté du Comité de Salut Public du 29 messidor an II (17 juillet 1794) fixe une solde journalière de 10 sols accompagnée d’une ration de pain de 24 onces et ce, dans un but égalitaire, quel que soit le grade du prisonnier.

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Hommage de la Convention à Benoît Ratier.

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Déserteurs espagnols, signé du capitaine Garcia.

Ces prisonniers de guerre ont une relative liberté d’aller et venir en ville, dans la mesure où ils ont un travail, mais sous la responsabilité de leur « employeur », la règle étant le plus souvent de rejoindre le dépôt pour la nuit. Quatre soldats  (Juan de la Peña, Francisco Bodalo, Juan Ramírez, Pedro Pígueras)  vont enfreindre cette règle et déserter comme l’atteste la déclaration de leur capitaine Antonio Agustín Garcia le 7 juillet 1795.

liberation prisonniers

Libération des prisonniers espagnols 28/8/1795

La Tour de Défense devient donc une « prison », la surveillance étant assurée par un tout jeune homme de 21 ans, Benoît Ratier ancien sergent-major dans la compagnie de Carles au 29e régiment des troupes légères de l’Armée des Pyrénées Orientales. (*)
Blessé à la main gauche, vraisemblablement à la bataille de Peyrestortes, puis par la suite amputé du bras, il transmet cette nouvelle à son père, notaire royal à Villemur, et lui dit : « cette perte ne me coûte rien puisque j’ai le bonheur de verser mon sang pour la Patrie. »
Un mois après la signature de la paix de Bâle, la décision est prise de rapatrier les prisonniers faisant partie du dépôt de Toulouse. Martin Saint-Romain procureur-syndic du district de Toulouse en avertit la municipalité de Villemur.
Après sept mois de détention dans notre cité, les prisonniers de guerre espagnols vont retrouver leur pays.

(*) Benoît Ratier est né à Villemur le 4 février 1773, fils de Bertrand Ratier, notaire royal et de Marguerite Vieusse. Marié en 1809 à Françoise Angélique Pendaries le couple aura 4 enfants. Benoît Ratier qui exercera en tant que receveur buraliste est décédé à Villemur le 8 août 1843 âgé de 70 ans. Il était un lointain cousin de Mlle Girardot que bien des villemuriens ont connu.

 

JCF / AVH  6-2017 / 5-2019

Sources :

-La Convention et les prisonniers de guerre des armées étrangères par Hugues Marquis, IUFM de Poitou-Charentes, Université de Poitiers, in « Histoire, économie et société, Armand Colin, 2008.
-Procès verbal de la Convention Nationale tome 51 (16 frim an 3 au 31 frim an 3), 281 A Paris de l’Imprimerie Nationale, l’An III.
6/12/1794 au 20/12/1794.
– Archives communales de Villemur-sur-Tarn, 4H1, série 4H, Faits de guerre.
– 1793-1795 La Convention nationale contre l’Espagne. www.prats.fr
– L’Espagne et la France à l’époque de la Révolution française, 1793-1807 (sous la direction de Jean Sagnes), Actes du colloque de Perpignan, 1°, 2 et 3 octobre 1992.

liste prisonniers

La liste des soldats espagnols emprisonnés à Villemur

 

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