Le quartier Saint-Pierre
Deuxième partie
4. Le jardin public, le stade
En 1932, satisfaisant ainsi aux désirs de son épouse née Marguerite Galan décédée un an plus tôt, Pierre Marchet, cède à la mairie un terrain de près d’1 hectare au débouché du pont, faisant face à son habitation. Pierre Marchet et Charles Ourgaut ont des convictions politiques opposées et l’élection de ce dernier à la mairie n’a pas facilité leurs relations. Pourtant dès les premiers mois de 1914, le malheur va les rapprocher par la perte de leurs fils respectifs Paul et Gaston tombés au champ d’honneur. Leurs relations prendront alors, au fil des ans, une tout autre tournure. (1)
Dans l’acte de cession Pierre Marchet précise (que) « la Commune sera tenue d’affecter le terrain cédé à une place ou un jardin public, dont l’aménagement et l’entretien lui incomberont.» Puis il dicte ses conditions très strictes : (sur ce terrain) «pas de bâtiments ni baraquements en dehors d’installations temporaires pour les cas de fêtes …» Si la commune le décide, le terrain pourra être clos, mais « pas de mur excédant 60 cm de hauteur…aucun dépôt de matériaux ni d’immondices…toute occupation par des nomades y sera interdite », et tout ceci « dans l’intérêt et pour l’utilité des immeubles que je possède au même lieu, simplement séparés du terrain cédé par la voie publique » Il précise enfin que le terrain approprié prendra le nom de :
« Place ou jardin SAINT-PIERRE »
Sur ce terrain, face au parc Brusson, va bientôt surgir le magnifique jardin public que l’on peut toujours admirer aujourd’hui. Les plans ont été confiés à l’architecte Félix Thillet, l’entreprise Resplandy de Quillan s’est chargée de la construction du kiosque et des terrasses donnant sur le Tarn, l’arborisation du jardin étant confiée à l’horticulteur des allées Notre-Dame Arnaud Brusson dit Jeanflane.
Quelques années plus tard, sur le terrain séparé du jardin public par le ruisseau de Calar, Pendaries dit « Gourdou » s’ associe à Caillan pour gérer une entreprise de sables et graviers en bordure de la rivière, c’est l’époque où l’on drague encore le Tarn.
Dans la même période 1932-1935, le quartier va s’étirer vers le sud avec la construction de la Cité Jardin (« Société d’habitations à bon marché ») et à l’ouest avec la réalisation d’un complexe sportif qui fera bien des envieux dans la région.
Tour à tour sortent de terre piscine, bains-douches et un stade vélodrome qui restera un des plus beaux de la région pendant des lustres. Nous reviendrons plus en détail sur ces installations dans un autre article. Le donateur du terrain n’est autre qu’Emile Sabatié, propriétaire de la scierie éponyme, geste qui lui vaudra d’être élevé au rang de bienfaiteur de la ville, tout comme Pierre Marchet.
Malgré la fermeture de la ligne du petit train Villemur-Toulouse en 1937 et l’arrêt du trafic voyageur par la Compagnie du Midi (1938) l’activité du quartier s’est accrue par l’ouverture de deux commerces, l’épicerie de Raymonde Valade, et le coiffeur Louis Gailhac.
En ce temps-là, peu de voitures circulent. Dans l’avenue de la gare, ( qui sera baptisée « Emile Sabatié » en octobre 1942) les enfants jouent à la toupie dérangés seulement par l’attelage de Ménestral assurant la messagerie, et les platanes de l’avenue sont des poteaux adéquats pour les footballeurs en herbe. Pendant les pauses on se rend chez « Gégène » Dusquès le garagiste qui fait ronfler les moteurs. Parfois on va admirer les carpes que le palefrenier du haras voisin, un fin pêcheur, a extirpé du Tarn et mis à l’abri dans le bassin du pépé Valade.
Et voilà que l’imprévisible arrive : le cirque Amar arrive à Villemur par le train, la caravane débarque, descend l’avenue de la gare, direction le pré de Calar. En route, les éléphants se désaltèrent à la pompe de Françoise Cabot (2) à côté de chez Valade. Le petit Gégé Boyer n’en croit pas ses yeux !
Le quartier s’anime les fins de semaine la foule se presse au café Pendaries avec la venue de nombreux congressistes.
5. L’institution Saint-Pierre
Dès 1934, à la suite de deuils cruels qui l’ont frappée,(3) la famille Marchet, voulant assurer sa continuité dans une œuvre de formation de jeunes, s’était adressée à l’autorité diocésaine laquelle les mit en contact avec les Salésiens de Don Bosco qui acceptèrent la donation de leurs biens.
Les Salésiens donnèrent le feu vert en 1939 pour la construction d’une école en lieu et place des communs de la maison bourgeoise des Marchet. Mais la guerre survient et avec elle le temps des pénuries de matériaux, le chantier piétine, prend du retard. Les événements se précipitent en 1941 la destruction par un incendie de l’Ecole des Frères, rue des Potiers, l’arrivée du Père Arribat, l’année de galère pour les écoliers dans des classes de fortune. Après des montagnes de courage, d’élans de générosité, l’Institution Saint-Pierre ouvre ses portes le 1er octobre 1942. Des ribambelles d’élèves vont donner une vie supplémentaire au quartier pendant une quinzaine d’années.
Après l’arrivée des soldats de la Wehrmacht en 1942 ce sont des éléments de la division SS Das Reich qui débarquent à Villemur en avril 1944. L’école Saint-Pierre est réquisitionnée et une centaine de soldats investissent les lieux, la classe continue dans des locaux de fortune.. Cette période sera marquée par l’atroce assassinat par les nazis de Paul Futter, un jeune juif de 16 ans écolier à Saint-Pierre.
La période de guerre c’est aussi bien sûr l’implantation de la Société Générale d’Equipements dès 1941 au-delà des voies de chemin de fer en face la gare, sur le site de l’ancienne scierie Sabatié dont l’activité avait cessé en 1938. (4)
Une autre activité voit le jour, le long de la voie de chemin de fer, sur l’emplacement de l’actuelle Gendarmerie, c’est la fabrique de poteaux en ciment, l’entreprise Drouard dirigée par Monsieur Blanc. La fabrication des poteaux cessera son activité au début des années 1950.
6. L’après-guerre
Dans l’après-guerre, le carrefour Saint-Pierre, (appelons-le ainsi) voit passer quotidiennement des centaines d’ouvriers lors des entrées et sorties des usines de la rive gauche Brusson et de la SGE le Café-Hôtel Pendaries, « Chez Zélibar » est un rendez-vous incontournable, et pas seulement lors des fêtes du quartier Saint-Pierre. Jusqu’en 1945 certains employés de la S.G.E y prennent leurs repas en attendant la mise en place de la future cantine. Les banquets des associations de tout poil s’organisent chez Pendaries. C’est ici par exemple que le club de rugby d’Agen vient se mettre « au vert » avant la finale du championnat de France en 1947. C’est ici que déroulent les banquets de l’USV rugby où à la fin du repas, l’on pousse « Le Mémé » à chanter la chanson des blés d’or prenant la relève de son « maître » Albert Ménestral. C’est ici également que l’on organise les bals fort prisés à l’époque ; dans les années 50 on peut parfois danser aux sons de la formation des « Rey-Miller and Boys » (5)
Ces années d’après-guerre voient un essor important de l’industrie automobile et rien d’étonnant quand, dans le quartier, s’implantent des ateliers de réparation : le garage de Clément Chaubard, (concessionnaire Renault puis Simca «Chaubard et Sender» ) celui de Pierre Vacquié (Citroën), et pour compléter le tableau la station service tenue par Joseph Falba (plus tard la famille Marty) (6)
En 1947, le mandat de six ans du Père Arribat en tant que directeur de l’Institution Saint-Pierre arrive à expiration. C’est le cœur lourd qu’il quitte Villemur, et c’est aussi un tournant dans la vie de l’Institution. Des problèmes surgissent avec ses successeurs, les salésiens quittent l’école en 1951, et en 1954, Mme Albert Marchet , présidente de la « Société civile Saint-Pierre » fait cession à l’ Hospice Saint-Jacques de Villemur d’une série de biens représentés par l’immeuble de l’avenue de Toulouse ( l’école et ses dépendances) et le domaine de Carles. Cette donation sonne le glas de l’institution Saint-Pierre dont les classes seront transférées peu à peu vers l’Ecole de la Sainte-Famille, rive droite. Après des travaux d’aménagement du site, l’Hospice Saint-Jacques quitte les locaux vétustes de la rue de l’Hospice, (les Greniers du Roy) pour gagner la rive gauche, l’établissement ouvre officiellement le 1er janvier 1958.
Les décennies suivantes vont amener leur lot de constructions dans le quartier : un dispensaire d’hygiène sociale sur l’avenue de Toulouse, des logements HLM entre la gare et le stade, une maïserie se construit sur les terrains proche de la gare (skate-park aujourd’hui) l’école primaire Michelet sort de terre au début des années 1970, la municipalité achète le parc Brusson en 1974, magnifique pendant du jardin public, désormais libre d’accès au public une fois abattus les murs qui le ceinturaient. Enfin une nouvelle gendarmerie voit le jour en 1976.
Les constructions se poursuivent au début des années 80, le quartier va s’étirer cette fois vers l’est avec l’ouverture du collège Albert Camus, en 1982, et dans la foulée la construction du lotissement du Parc de Calar, et la création de la base nautique, fief du club d’aviron local. La Maison de Retraite va subir quelques transformations : une extension des bâtiments et une rénovation en 1981 augmentent notablement la capacité d’accueil. A quelques centaines de mètres de là, dans le Parc Brusson, le foyer-logement pour personnes âgées ( « Les Magnolias») ouvre ses portes en novembre 1989.
Enfin comment passer sous silence l’installation en 1981 du premier feu tricolore au carrefour Saint-Pierre, rendu indispensable par la dangerosité du lieu et l’augmentation sensible de la circulation. Depuis, le paysage n’a guère changé ; quelques commerces ont disparu, d’autres ont changé d’enseigne, des grandes surfaces sont apparues. Le quartier Saint-Pierre s’est densifié, la ville s’est étendue, repoussant inexorablement son périmètre vers l’ouest (Malaret,) et surtout le sud (Bernadou, Pechnauquié et Magnanac).
7. Et demain ?
Le quartier Saint-Pierre est plus que jamais sous les feux de l’actualité car tous les regards sont braqués vers les friches industrielles Brusson. Après des années de désolation et d’immobilisme, l’espoir est entrain de naître. Nos édiles locaux ont pris semble t’il le problème par le bon bout : plus de projets pharaoniques, mais au contraire des projets réalisables dont on voit les résultats depuis quelques mois. Après la superbe rénovation de l’ancien paquetage, c’est tout l’espace compris entre l’ancienne minoterie et le Tarn qui se modifie actuellement. Nous sommes entrain, semble t’il, d’assister à la renaissance du site. Est-ce le début d’une réhabilitation plus vaste ? C’est le vœu le plus cher que nous puissions formuler pour ce monument du patrimoine villemurien.
JCF / AVH / mars 2019
Un grand merci à mon ami Gérald « Gégé » Boyer pour sa contribution. Les souvenirs de « son » quartier Saint- Pierre qu’il a eu la gentillesse de me confier ont été précieux pour la rédaction de cet article.
Notes :
(1) Au cours du conseil municipal suivant la cession du « Pré Marchet », Charles Ourgaut en exprimant toute sa gratitude envers ce geste parlera « des sentiments de profond attachement qu’il a pour son vieil ami Marchet, et (qu’il) profitait en la circonstance pour adresser à la mémoire de Madame Marchet un souvenir ému et reconnaissant ».
(2) La grand-mère de Roger Blanc ancien président des Bons Vivants Villemuriens.
(3) Après le décès de Paul Marchet en 1914, son frère aîné Albert et leur mère Marguerite sont morts en 1931 à un mois d’intervalle.
(4) Lire l’article consacré à la SGE.
(5) Robert Rey à la batterie et son frère André à la trompette, Cravero à l’accordéon, Robert à la trompette et René Molinières « Fréchaut » saxo et clarinette.)
(6) Les précurseurs dans ce domaine Pendaries et Valade qui eurent les premières pompes à essence avant la guerre. Dans les années 60 Pierre Faur ouvrira également une station service, avenue de Toulouse.
Crédit photo :
3, : M.Bisaro/Christian Arnaud. 1,2,9, 12, 13 : Jean-Claude François. 6, 7, 10 : Mme Pendaries / Christian Arnaud. 4, 5, 11 : Gérald Boyer 8 : Guy Vignals. 14, 17 : Henri Faur 15 : G.Vignals/P.Villa/JC.François 16 : Gaston Sengès / Site Facebook Mairie Villemur.