Le quartier Saint-Pierre
Première partie
Voilà l’histoire d’un beau quartier, quasi-désert pendant des siècles, qui est né un beau jour de l’imagination d’hommes de progrès voulant relier enfin deux rives d’un même territoire pour le bonheur de ses habitants…
Et pourrait-on ajouter, pour leurs intérêts personnels… mais cela est une autre histoire !
1. La naissance du quartier.
Sur l’acte de naissance de ce quartier on peut indiquer sans aucun doute la date de 1834 mais il faudra attendre presqu’un siècle pour lui donner un nom. En effet le 9 novembre 1834 est une date majeure dans l’histoire de Villemur. Avec la construction du premier pont, la cité historique de la rive droite, va se doter peu à peu de son double sur la rive gauche et repousser les limites de la ville.
Jusqu’à cette date, la rive opposée n’est accessible que par les deux bacs du Port-haut et de Saint-Jean. La rive gauche c’est « delà l’aïgo », « de l’autre côté de l’eau » comme disent les vieux villemuriens ! Sur cette rive, peu de constructions, seulement quelques métairies, le Pas, Malaret, Gauré. Sur le plan de 1812, on distingue également un bâtiment au droit de la chaussée. Construit sous de Monsieur de Ménoire ou ses héritiers, il est l’embryon des premières industries (La ferronnerie Gausseran et Castelbou et dans un futur plus lointain, Brusson).
C’est aussi sur cette rive que sont situées l’écluse principale et le moulin de la rive gauche.
Avec la construction du pont, c’est tout le schéma routier qui va être réorganisé. Au débouché du pont sur la rive gauche on trace une portion de route de 160 mètres à travers un champ appartenant à Monsieur de Vacquié (c’est la future avenue du Pont)
De là partiront en diagonale deux routes : la première (future avenue de Toulouse) rejoindra le carrefour de Pechnauquié et fera la jonction avec la route Villemur –Toulouse par Cépet, plus tard départementale n°14.
La seconde diagonale (future avenue de la Gare) fera la jonction avec la route de Magnanac et filera vers Grenade, plus tard la départementale n°9.
Tous ces travaux occuperont la décennie 1835-1845, le financement onéreux de ces travaux expliquant la longueur de ce délai.
À cette époque-là, comme dit précédemment, peu d’habitants sur cette rive. Hormis Jean Delpech le meunier et sa famille, Louis Missal puis Jean Brusson les éclusiers, seulement quelques agriculteurs dans les fermes : Pierre Pendaries au Pas, Jean Carrié et Charles Gibert conducteur de bateaux.
Le premier commerçant à s’installer est Jean Castella dit « Biroulet » qui ouvre un café-hôtel, où la diligence de Toulouse faisait halte.( ) Celle-ci partait de l’Hôtel du Cirque, ( ) boulevard Saint-Aubin (de nos jours Boulevard Carnot) tous les jours à 2h et repartait le lendemain « de chez Castella, à la tête du pont, à 6 h du matin. » Le quartier s’embellit, en novembre 1842 on plante une centaine d’ormeaux sue le chemin de grande communication de Villemur à Grenade à partir de la tête du pont.
2. Révolutions en chaîne
Mais ce quartier va végéter quelque peu pendant des années malgré l’arrivée de quelques établissements dans cette période de la première révolution industrielle. En 1837 s’implante, une fabrique de ferronnerie et quincaillerie, fonderie en fer et en cuivre, la société Castelbou & Cie. Le 8 mars 1841, la société Castelbou et Cie devient la société Gausseran, Castelbou et Cie. M. Gausseran en est le directeur et occupe le dépôt de Toulouse. M. Castelbou est le gérant de la fonderie à Villemur. La dissolution intervient le 18 avril 1842. François Yarz, le grand fabricant et négociant en quincaillerie de Toulouse termine la fabrication des dernières marchandises commandées. Les locaux, propriété de Monsieur de Lostanges restent vacants une dizaine d’années, puis sont occupés à partir de 1853 par la compagnie Courthiade, une manufacture de laines qui s’essaiera plus tard sans succès à la fabrication de vermicelle, (1853-1860) avant d’être rachetée par Jean-Marie Elie Brusson en 1875. Le bâtiment principal de l’ancienne fonderie achetée en 1875 par les Établissements Brusson Jeune est l’actuel « bâtiment de l’horloge ».
Si le pont est une aubaine pour la circulation, le péage prohibitif est un frein préjudiciable aux échanges, au commerce et à la libre circulation. La population gronde ! Et l’irrémédiable se produit : le 5 septembre 1870 les câbles du pont cèdent sous les coups de hache et la colère des villemuriens, le tablier s’effondre dans les eaux du Tarn ! On en revient à la case départ, et de nouveau les bacs reprennent du service. C’est Arnaud Brusson qui est chargé de la reconstruction du pont, remis en circulation en 1872, le péage étant encore maintenu jusqu’en 1875.
Est-ce le hasard si cette année-là survient le deuxième coup de pouce du destin. Jean-Marie Elie Brusson, qui a débuté la fabrication des pâtes alimentaires dans le moulin rive droite en 1872, rachète le moulin de la rive gauche et commence à implanter ce qui va devenir la célèbre Manufacture que l’on connait.
Dix ans plus tard, en 1885, un nouveau coup de tonnerre : le train arrive à Villemur ! C’est l’ouverture de la voie ferrée Montauban-Castres par la Compagnie du Midi.
Imaginez un peu ! Transposez cela aujourd’hui ! Autant de bouleversements en si peu de temps… Tout simplement incroyable ….
On en profite pour embellir le quartier : de part et d’autre de cette avenue, des platanes sont plantés en 1884-85. Un réverbère (Une colonne de fonte, coût 40 francs !) est érigé à la pointe du jardin de François Sabin entre les avenues de Toulouse et de la gare, éclairant de ce fait tout le carrefour.
3. Un essor rapide
À partir de cette date, le quartier se densifie et se développe à grande vitesse. Brusson développe sa manufacture, construit sa cité ouvrière en 1895. Les chiffres du recensement de 1896 annoncent :
31 maisons, 41 foyers, 140 habitants. Parmi eux, le chef de gare, l’agent voyer, les cadres de chez Brussson : glutiniers, lithographes, cartonniers, typographes, qui habitent la cité ouvrière construite à leur intention. La famille Duran habite au Pas, le café Sabin trône au carrefour de la patte
d’oie, le charron Paul Bousquet s’installe avenue de Toulouse, ainsi que Jean Duvernet représentant en machines agricoles, Jean Pélissier fabrique des chapeaux sur le terrain qui deviendra plus tard, la cité Pélissier à côté de la Maison de Retraite.
C’est désormais un véritable quartier qui peut célébrer sa fête en juillet 1910.
En 1911 on compte 50 maisons, 58 foyers, près de 200 habitants. Le quartier continue son expansion. Habitent maintenant le quartier, l’épicier Lormière, (également marchand de fers) l’agent voyer Schilling, Emile Sabatié, le propriétaire de la scierie qui a fait construire une belle demeure face à la gare, Pierre Marchet qui se partage entre ses affaires à Toulouse et Villemur, la famille Brusson et bien sûr quantité d’ouvriers et cadres de sa Manufacture, ainsi que de la scierie Sabatié.
En 1912, une deuxième gare voit le jour : la Compagnie du Sud-Ouest ouvre la ligne Villemur-Toulouse par « le petit train ».
Inutile de vous dire l’animation du quartier lors des départs et arrivées des trains, imaginez l’avenue de la Gare encombrée par les calèches, les chariots des messageries et les premières automobiles !
Malheureusement la Grande Guerre va mettre un frein à cet essor, et ce n’est qu’au début des années 1920 que le quartier redécolle. «Les fêtes du quartier Saint-Pierre », traditionnellement les premiers samedi et dimanche de juillet sont de nouveau au programme. (1) Pourquoi avoir choisi Pierre comme saint patron du quartier? Si quelque lecteur peut m’apporter la réponse…
De nouveaux commerces s’installent, le Café-Hôtel Restaurant Pendaries (en lieu et place de l’épicerie Lormière) qui va rapidement devenir une institution, puis tout à côté le forgeron François Valade, et le boucher Olivié Puis dans les années 80 Louis Caliman) avenue de Toulouse.
Un vieux projet voit le jour dans les années 1920 avenue de la Gare, (2) avec la création d’une station pour le service de la monte des étalons reproducteurs dont le but est l’amélioration génétique de l’espèce chevaline. Les chevaux utilisés pour « faire la monte » viennent des Haras Nationaux de Tarbes. Inutile de dire que François Valade le maréchal-ferrant tout proche, ne chôme pas, ayant entre autres la charge du cheptel du domaine de Sagnes, propriété des Brusson. L’atelier de Valade, avec le café voisin Pendaries, est le cœur du quartier et un sacré lieu de rencontres !
En 1930, le quartier est sous les eaux, le pont est détruit ainsi que la centrale électrique. l’usine Brusson est à l’arrêt. Mais très vite les travaux démarrent, le quartier, comme toute la ville est un vaste chantier. La maison de la famille Pendaries « Gourdou » anciennement café Sabin) est entièrement détruite, la maison Valade subit le même sort. Des travaux d’assainissement, et d’adduction d’eau sont entrepris, un lavoir est construit près de la gare.
En ce début des années 30, deux hommes d’exception, Pierre Marchet et Emilie Sabatié, vont donner un élan à ce quartier, accompagnant et valorisant les projets d’embellissement de la ville insufflés par le maire Charles Ourgaut.
à suivre…..
(1) La Saint-Pierre est fêtée le 29 juin.
(2) Ancienne maison Pélissier, aujourd’hui Serris.
Crédit photo :
1, 2, 3, 5, 8, 9 : Jean-Claude François. 4, 10 : Rosalis, biblothèque numérique de Toulouse. 6 : Jean-Luc Mouyssac / J.C.François
11, : Mme Pendaries/Christian Arnaud. 13 : Gérald Boyer / Gaston Sengès.
Publicité E.Sabatié et F.Valade : J-C François. Publicité J.Duvernet : J-L Mouyssac.
JCF / AVH 3/2019