L’année 1914. Centenaire de la Grande Guerre.
1. Le départ
Villemur, samedi 1er août 1914 dans l’après-midi.
Lorsque le funeste son du tocsin de Saint-Michel retentit, bien des hommes ont compris que l’heure était grave. Dans les usines, les commerces, les foyers et les champs alentour, il y a eu un moment de stupeur. Le tocsin autrefois annonçait une catastrophe, le feu, une émeute. Aujourd’hui, il annonce une catastrophe dont personne ne soupçonne l’ampleur.
Bien sûr depuis quelques temps, on sait par la presse les tensions diplomatiques en Europe, et des rumeurs plus ou moins insistantes agitent le spectre de la guerre.
Bien sûr, il y a trois jours le 14è régiment d’infanterie en manœuvres à Caylus à fait étape à Villemur pour rejoindre dare-dare ses quartiers toulousains. Mauvais présage…
Mais lorsque Paul Fontagné le garde-champêtre à grands coups de roulements de tambour a annoncé l’ordre de mobilisation à tous les carrefours et places de la ville, les visages se sont fermés, et comme dans toutes les communes de France, on est resté abasourdis par la nouvelle. L’affiche a été placardée sur le mur de la mairie, la foule se presse et par endroits des attroupements se forment où l’on commente les événements.
En suivant les instructions de leur livret militaire les hommes mobilisables savent maintenant comment procéder pour rejoindre leur régiment. A la hâte dans les foyers, on prépare le départ du père, du mari, du fils. Dès le point du jour, le lendemain dimanche, descendant des coteaux, venant de la ville ou de la plaine, à pied ou en carriole, le flot des hommes et de leurs familles se dirige vers le quartier de la gare.
Derniers baisers, dernières recommandations, derniers adieux. On se promet d’écrire. Et de fait, la correspondance qui va s’établir, dès les premières heures jusqu’aux derniers jours du conflit va constituer un lien essentiel, vital, entre les soldats et leur famille. C’est grâce à cette correspondance pieusement conservée que les témoignages de ces hommes et de ces femmes nous sont parvenus.
Dans les jours qui suivent, ce sont près de 300 réservistes qui vont rejoindre leurs régiments par le petit train vers Toulouse, où l’omnibus du Midi direction Montauban Albi ou Castres. Ils vont s’ajouter à la soixantaine de jeunes villemuriens de l’armée active qui sont déjà casernés.
À l’émotion et la tristesse du départ se mêle le sentiment d’avoir un devoir à accomplir et ils partent vers leur destin, enthousiastes pour certains, résignés pour la plupart. Aucun d’entre eux ne connait leur destination précise, ils imaginent que c’est vers les frontières de l’Est et espèrent, comme tout un chacun, qu’ils rentreront bientôt.
La ville s’est vidée peu à peu de ses jeunes hommes, une autre longue vie commence…
Quelques semaines plus tard, Antonin Vignals écrit à son frère Germain : « Depuis la mobilisation, et que tout le monde est parti, ça été une autre vie. On est est morne, triste, on ne connaît ni dimanches ni jours de semaine… » Et plus loin :« Les deux usines, Brusson et Sabatié ont repris depuis quelque temps, il y a même assez de travail et c’est ce qui sauve un peu Villemur.»
Écrivant au même Germain, son copain Jean Valade renchérit : «La vie est bien monotone et l’on passe un moment de temps à autre chez Boudy (« Le café des Allées ») et c’est tout. »
Ils sont partis…
Grâce leur correspondance nous allons suivre quelques soldats villemuriens dans leur périple vers le front.
Le sergent Joseph Gibert est né le 19 août 1891, il va fêter ses 23 ans. Lucette, qu’il épousera après la guerre, lui a donné une petite fille voilà bientôt 3 ans. Incorporé le 1er octobre 1912, il est caserné au 15e RI d’Albi.
La ville est entrain de vivre deux événements majeurs.
Le 6 août la dépouille de Jaurès, arrivée par la gare, est conduite au dépositoire du cimetière des Planques à Albi. Un « cortège interminable » l’accompagne, dirigé par le préfet et trois généraux. « La population et des milliers de mobilisés formaient la haie, le recueillement de cette immense foule était impressionnant ».
Le lendemain, dans l’après-midi du 7 août 1914, le régiment « Sans peur et sans reproche », au complet (62 officiers, 3310 hommes de troupe, 162 chevaux ou mulets) quitte Albi en défilant devant une population qui l’applaudit, des Lices à la gare.
Un long voyage. Castres, Castelnaudary, Sète, Montpellier, Le Theil, Dijon, Chalindrey, Vittel, enfin terminus à Hymont et Mirecourt dans les Vosges où il débarque le 9 août après un périple d’environ 950 km. De Contrexéville, où le train a fait une brève halte, Joseph Gibert envoie une carte postale à ses parents : « De passage à Contrexéville. Rassemblement à Mirecourt, ai fait voyage sur plate-forme pour surveiller aéroplanes ennemis. Partout accueil enthousiaste. La population est en délire. Bien des baisers. »
Le 8 au soir le 15è d’infanterie débarque à Mirecourt et cantonne dans les environs. Le lendemain, la 32è Division d’Infanterie prend la direction de l’est. La marche est rendue très pénible par la très grosse chaleur. Au bout de quelques kilomètres, dans le village de Battexey, deux voitures sont réquisitionnées pour porter les sacs d’un grand nombre d’hommes.
On entend, durant la route, le canon tonner dans la direction de Nancy et de Lunéville.
Germain Vignals est né le 11 juin 1887. Il a fait ses classes entre 1908 et 1910 au 7è régiment d’infanterie de Cahors. Voilà à peine plus d’un mois qu’il s’est marié avec Reine Moreau en l’église Saint-Michel, à deux pas de son atelier de sabotier. Parti le 4 août par le petit train à 6 h du matin, après avoir transité par Toulouse, fait le voyage avec Maurice Gaussens, Jean Fonvieille, Arthur Lormières qui rejoignent tous les trois le 2è génie à Montpellier. Il arrive à 17h 30 et rejoint sa compagnie à la caserne Saint-Jacques dépôt du 96e RI à Béziers, où il reçoit, le lendemain armes munitions, et provisions. Le 5 août au matin, par une splendide journée, le 96e Régiment d’infanterie massé sur les Allées Paul-Riquet, à Béziers, saluait son Drapeau et écoutait avec une émotion patriotique mal contenue la harangue du colonel Roig ; celui-ci exprimait en termes vibrants l’enthousiasme d’un peuple qui se lève pour la cause sacrée. Sous les bravos, les cris de Vive l’Armée, Germain dit avoir pleuré… Après la revue, les hommes sont laissés libres jusqu’au soir. A 20 heures, c’est le départ du bataillon pour la gare « grande illumination, feux de Bengale, chant de La Marseillaise, foule en délire » note Germain dans son carnet. Le régiment commence à embarquer vers 22 heures (sous-officiers 164, hommes de troupe 3174, chevaux 174)
Pendant la nuit le train traverse Sète, Montpellier, Nîmes, puis Avignon à 8h 30, Lyon 17h 30 « même élan patriotique partout, certaines gares en plus étant grande halte, reparti de Lyon à 18h » Après ne deuxième nuit en train, ils atteignent Mirecourt le 7 août vers 15 heures. À peine débarqué, et après 4 km à pied, le 2è bataillon auquel appartient Germain, atteint le village de Villiers, lieu du cantonnement. Ils dorment dans uns grange chez de braves gens. Le vin coûte 0, 55 fr le litre, la bière 0, 35 fr. Ils font la cuisine à 3, mangent une bonne soupe, se couchent à 22h 30. La nuit est très froide.
Le bataillon cantonne à Villiers toute la journée. Vers 9 h ils voient passer un « aéroplane ». Les nouvelles vont bon train : « Un régiment de Uhlans a été pris par 27 cuirassiers »
Le dimanche 9 août, le régiment quitte ses cantonnements à 5h du matin et fait route vers l’est. Le général de Castelnau, longeant la colonne en marche adresse un amical salut aux soldats en occitan « adissias toutis ». Commentaires de Germain : « Bien mauvaise journée, pénible, souffert des pieds. Grande halte à 25 kms, arrivé à Bayon 6h 00 du soir, cantonné grange, très froid. Parcours 35 kilomètres très fatigué, pas mangé. »
Lundi 10 août. Dans son style télégraphique Germain note : « Départ de Bayon à 5h00, chaleur tropicale, posé le sac, tombé dans un bois, malade, pieds meurtris, rattrapé la colonne à la grande Halte. Passage à Lunéville à 15h00. Cantonnement à 4 kilomètres à Bainville arrivé 18h00. Troupes en masse, parcours 38 kilomètres Couché équipé dans grange. Canon gronde sans cesse. Très fatigué. »
Notre troisième témoin s’appelle Camille Terrisse. Il est de la même classe 1907 que Germain Vignals. Il est né le 13 novembre 1887, menuisier de profession et célibataire. Il a fait son service militaire entre 1908 et 1910 au 20e régiment d’infanterie de Montauban. Parti dès le 3 août de Villemur il n’est arrivé que très tard le 4 au soir vers 22 heures à Montpellier où il est affecté au 281e régiment d’infanterie (régiment de réserve du 81e R.I)
La première lettre de sa prolifique correspondance est pour son oncle, Emile Alzonne, menuisier place Notre-Dame : « Le voyage s’est très bien passé et je dois vous dire que j’ai été émerveillé de la façon que s’opère la mobilisation. Le passage des trains s’effectue avec une régularité et une sécurité parfaites. Les voies sont très bien gardées par les territoriaux pour empêcher toute tentative de sabotage. Ensuite, l’entrain des réservistes est admirable et toutes les conversations se résument en ceci : écraser l’Allemagne à tout jamais, afin que le bandit qui la gouverne ne trouble plus la paix européenne, et sur les wagons vous ne lisez que ces inscriptions : « A bas Guillaume », « train de plaisir pour Berlin » et de tous les trains, de tous les wagons partent les chants de la Marseillaise et le chant du Départ. Les populations qui se trouvent sur notre itinéraire attendent les trains de réservistes et les saluent sur leur passage et je dois vous avouer que si l’on ne savait que l’heure est grave, on se croirait plutôt dans un jour de grande fête.
À notre arrivée à Montpellier, la population nous a fait un accueil enthousiaste et nous a porté en triomphe à la caserne. Ici à la caserne, c’est le même entrain, et ce matin l’on nous a habillés complètement de neuf, et maintenant l’on va nous équiper. Le régiment de l’active (le 81eRI) part aujourd’hui pour une destination inconnue, mais nous, nous ignorons complètement le jour de notre départ, lorsque je le saurai je vous le dirais. Pour finir, je vous dis d’être plein de courage et de confiance pour traverser les épreuves que nous imposent les circonstances actuelles; nous, nous sommes animés de ces sentiments et nous avons bon espoir pour la fin de la campagne. Je vous embrasse bien fort, et crie avec vous, Vive la République et Vive la France. »
Vendredi 7 août : « Hier soir jeudi j’ai vu Jean Fonvieille et Arthur Lormières qui sont tous les deux au Génie, nous nous étions donné rendez-vous pour souper ensemble mais seul Arthur est venu. Ce soir je crois que nous verrons Maurice Gaussens qui lui aussi est à Montpellier. »
Les réservistes ont maintenant investi pleinement la Caserne des Minimes, le 81e R.I étant parti entre le 5 août au soir et le 6 dans la nuit. Les hommes sont touché leur fourniment « excepté le fusil que l’on doit nous donner dans 1 heure, tous les effets et les armes sont complètement neufs. »
Le 10 août il n’a pas encore reçu de nouvelles de sa famille et s’inquiète auprès de son oncle de savoir si le fourrage a été coupé et si la vigne n’a pas de maladie ! En attendant le départ il est plein de cet optimisme outrancier que diffusent les journaux locaux et parisiens.
Enfin le 6e bataillon du 281e (1091 hommes) auquel appartient Camille embarque à 16 heures dans le train qui va les emmener à Montbéliard où ils arrivent le lendemain dans l’après-midi, dirigés vers le village d’Exincourt où ils cantonnent.
Le 281e rejoint deux autres régiments de réserve, le 296è de Béziers et le 280e de Narbonne, direction l’est et l’Alsace. Ces 3 unités forment la 131e brigade de la 66e division de réserve. (66e D.R)
À suivre….
JCF / AVH / décembre 2018
Mes remerciements envers Magali et Mireille Faillères ainsi qu’à Guy Vignals.
Sources :
Carnet de route de Joseph Gibert. Archives Jean-Claude François.
Carnet de route de Germain Vignals. Archives familiales Robert et Guy Vignals
Correspondance de guerre de Camille Terrisse. Archives familiales Magali et Mireille Faillères.
Crédit photo :
1, 2, 3, 4 : archives Jean-Claude François. 5 : archives Guy Vignals. 6, 7 : archives Magali et Mireille Faillères.