La place du 4 septembre
Dans les temps lointains, avant d’être une place, elle n’était qu’une partie des fossés hors des murs de la ville, et c’est la rue des Stradélis qui, coupant ce fossé a donné naissance d’une part à la place dans la partie supérieure, et d’autre part au Fossé Notre-Dame ( le valat – lire balat – ) qui descend vers le Tarn. Le pilier de briques, à l’angle de la place et de la rue des Stradelis est un vestige d’une ancienne porte de la ville, (la porte des Stradélis) remaniée à la suite de l’inondation de 1766.
Les premières maisons construites sur cette place hors des murailles l’ont été sans doute dès le début du XVIIIe siècle.
Sur le plan de 1779, côté ouest trois maisons s’adossent à ce qui reste des murs de la ville. À l’opposé, côté levant, six maisons avec un jardin qui donne sur l’actuelle impasse du château. Au fond de la place, la seule construction est une grange. Le reste de l’espace est occupé par jardin, vigne, et friche à flanc de coteau dont la pente est très abrupte à cet endroit-là.
En 1842, toute la place est ceinturée de maisons, et pour l’embellir, un membre du conseil municipal propose que l’on plante « …6 ou 8 acacias à partir de la rue des Stradelis juqu’à la maison du Sieur Jouet dit «Peyret». Cette partie du fossé est coupé par la rue des Stradélis et forme une petite place … » (1)
Plus rien ensuite n’est mentionné sur cette placette, hormis la construction d’un petit abreuvoir rectangulaire, semblable à celui bâti sur l’ancienne place Saint-Jean (place de la Résistance actuelle). En effet, à la fin du XIXe siècle de nombreux habitants du quartier possédaient une mule ou un cheval. Il existait d’ailleurs plusieurs granges autour de la place que l’on appelait parfois « Place de l’Abreuvoir » ! Dans les années 1890, on installera une borne fontaine (on l’appelait communément « la pompe ») au pied du pilier à l’angle de la place. (2)
Malheureusement cette petite place ne retint pas l’attention d’un photographe au début du XXe siècle : aucune carte postale dans les séries régionales Labouche et Poux pour ne citer que les plus connues.
Peut-être que le terme de « fossé Notre-Dame » a contribué à cet oubli. Pire encore, l’endroit est même appelé aussi « Cul de sac Notre-Dame » en 1926 ! (3)
Cette dénomination était semble t’il courante, puisque j’ai entendu maintes fois les anciens appeler la place « lou tchoul del sac » (le cul du sac)
Ce n’est que quelques années plus tard, vers 1930, que la « place du 4 septembre » fut baptisée ainsi commémorant la proclamation de la IIIe République, le jour de la défaite de Napoléon III à Sedan. (4)
Au mois de juin 1939, le maire de l’époque, Désiré Barbe, après avoir rendu hommage aux administrateurs qui avaient fait construire l’abreuvoir, déclare lors d’une séance du conseil municipal, « qu’actuellement, après enquête faite, il n’a plus son utilité et est devenu une gêne pour les habitants de la dite place. En conséquence il demande la démolition qui est décidée à l’unanimité. » (5)
Il est vrai que les chevaux vapeurs commencent à remplacer nos amis équidés !
La place ne restera pas vide très longtemps : après la Libération, en 1945 au cours d’une fête, trois tilleuls seront plantés, le dernier survivant, bien mal en point a été abattu l’an passé. Les habitants du haut de la place, profiteront pendant des lustres de son ombre bienveillante et du parfum de ses fleurs à la fin du printemps.
Enfin, au début des années 1990, les armoiries de Villemur, gravées sur un bloc de pierre, furent placées sur l’ancienne porte à l’angle de la place, tandis qu’une fontaine en brique rouges était érigée devant le denier tilleul, avant que ce dernier ne disparaisse. Cette fontaine, bruyante et capricieuse s’arrêta un jour de fonctionner au grand soulagement des riverains de la place !
Autour de cette petite place tranquille, pas de logements vides ou à l’abandon c’est dire si elle a été prisée depuis longtemps par les villemuriens.
Au cours du XXè siècle, quelques habitants ont laissé une trace dans la mémoire collective de la ville.
A commencer par Eugène Boudy, le maire de Villemur qui y vécut ainsi que ses parents et Maria, sa sœur qui possédait aussi une maison.
Ensuite la famille Malpel dont Jean « le Catet de la Ménine » dont nous reparlerons prochainement, et Pierre son fils conseiller municipal. Jean était « pêcheur de sable » possédait une drague sur le Tarn et fonda avec Pierre Fontagné une entreprise de fabrication de blocs agglomérés. Au bas de la place, à côté de l’épicerie Birol, habitait Eugène Laffite « le Fitou » avec son épouse Julie. Nous parlerons prochainement de leur fils Jean Marie et de ses talents de dessinateur.
Véritable institution, cette épicerie était le centre névralgique du quartier tenue par Jeanne Birol et « Mado » sa fille. Dans ce commerce de quartier, on trouvait de tout : je me souviens des énormes meules de Gruyère, des boites de bouillon Kub, des éventails de sardines de baril, des bocaux de verre gorgés de bonbons multicolores, alignés sur le comptoir…
En face de l’épicerie à l’autre angle de la place, la famille Calvignac, marchand de tissus sur les marchés des alentours.
Au fond de la place, de part et d’autre de la maison Malpel, les familles Sabatier et Molinières. Marius Sabatier, travaillait à la scierie industrielle d’Emile Sabatier (ils étaient parents) et avait hérité de son père tourneur de chaises, le sobriquet de « Chaisur »
Quand à René Molinières, plus connu sous son surnom de « Fréchaut », sa mémoire est encore vive à Villemur.
Je terminerai par la famille Mouyssac dont Paulette est la dernière descendante à résider sur cette place. Elle fut de longues années correspondante locale du magasin parisien « Le Bon Marché » avant d’ouvrir un commerce de mercerie place de l’Hôtel de Ville en 1970. Jean Mouyssac son père, rugbyman émérite, fut dans sa jeunesse un des éléments essentiels de la jeune Union Sportive villemurienne. S’en suivra une longue carrière comme typographe à l’imprimerie chez Brusson Jeune. Il perpétuera aussi, dans le chai de la maison, la fabrication des mèches soufrées « Euréka », invention de son beau-père Paul Termes. (6)
JCF / AVH 9/2018
(1) Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 19 : registre des délibérations du conseil municipal, 1830-1844, p. 257/294
(2) Faisant suite aux travaux d’adduction de l’eau du Tarn dans la ville et à la construction du réservoir d’alimentation destiné à alimenter les fontaines (1888). Ces fontaines furent très précieuses pour les habitants, avant que l’eau courante n’arrive dans chaque foyer.
(3) Source : recensement de la population 1926.
(4) Marcel Peyre attribue la dénomination des rues à cette époque, à Joseph Rigaud, conseiller municipal.
(5) Commune de Villemur-sur-Tarn. 1 D 28 : registre des délibérations du conseil municipal, 1935-1948, p. 189.
(6) Messieurs Terme et Ramondou reçurent la médaille d’argent à l’Exposition Industrielle Universelle de Toulouse en 1905 pour « l’excellence de leurs mèches soufrées Euréka »
Je remercie, pour leur contribution à cet article, par leurs souvenirs et leurs photos, Jean-Luc Mouyssac, ainsi que Paulette Robert, Anne-Marie Malpel et Pierre Villa.
Crédit photo :
1, 2, 3, 5 : Jean-Claude François. 2 bis : Anne-Marie Malpel. 4, 7, 8 : Jean-Luc Mouyssac. 6 : Pierre Villa. 8 l’album photo : Jean-Claude François, Anne-Marie Malpel, Jean-Luc Mouyssac, Paulette Robert, Pierre Villa.