La tour Béziat
Dominant les allées, fièrement campée en haut du coteau, voilà des lustres que cette « tour Béziat » fait poser des questions de tous ordres : qui l’a construite ? de quand date t’elle, ? est-ce un vestige du vieux château-fort ? et que sais-je encore…
Nous sommes en mesure de raconter à présent la véritable histoire de ce « monument » de la ville, même s’il subsiste encore quelques petits coins d’ombre.
Qui était Jean Béziat ?
Le « bâtisseur » de cette tour s’appelait Jean Béziat, né à Toulouse le 19 juillet 1830 au 3 de la rue Peyras, entre les rue Saint-Rome et Alsace-Lorraine.
Il était le fils de Jean-Pierre Béziat, né à…Villaudric en 1787, et marié en 1822 à Toulouse avec une jeune fille de Seysses, Françoise Sachereau. Contrairement à certains écrits, la famille Béziat n’était donc pas originaire de la région parisienne.
Jean-Pierre était aubergiste rue Peyras et y exerça sa profession jusqu’à son décès en 1849.
De la vie professionnelle de son fils Jean Béziat, nous ne savons que peu de choses. Très jeune, il aide son père dans le commerce familial en tant que cuisinier, métier qu’il exerce lorsqu’il se marie en 1853 à …Villemur avec une demoiselle bien de chez nous, Virginie Raymonde Gailhac, de deux ans sa cadette, et dont le père François est chapelier.
Que fut la vie du couple Béziat à Toulouse ? Quelle profession exerça Jean Béziat après son mariage ? On peut penser qu’il continua à travailler dans la restauration, puisqu’on le retrouve maître d’hôtel en 1872, rue des 7 Troubadours. Il n’était donc pas magistrat comme on a pu l’écrire… En 1876, le couple habite Allées Lafayette à Toulouse, les actuelles Allées Jean-Jaurès, où Jean Béziat est déclaré, en regard de sa profession comme « Propriétaire »
On peut imaginer ensuite qu’ayant fait des « affaires », puisqu’il vit de ses rentes, il se retire à Villemur où son épouse Virginie possède encore sa proche famille. Le couple va d’ailleurs habiter promenade Notre-Dame, ( il y possède une maison dès 1887) où réside son frère Raymond.
Loin des bruits de Toulouse, Jean Béziat apprécie Villemur, où il aime le calme,et la campagne toute proche. Ses promenades l’amènent parfois sur le chemin de la croix de la Peyre. De là-haut, sur le coteau, la vue est imprenable : les allées toutes proches en contrebas, le Tarn sillon argenté et sa chaussée, plus loin la vallée, et, lorsque le temps est très clair à l’horizon se dessinent les Pyrénées.
La construction
La vue d’ici est trop belle. C’est décidé ! Il va acheter un bout de terrain et faire construire une maisonnette d’où il pourra à loisir jouir de ce panorama incomparable.
C’est en 1885 qu’il achète à Antoine Galan menuisier, un premier terrain au bord de la route menant à la Croix de la Peyre. C’est là que quelques années plus tard, en 1889, il fera bâtir cette petite construction en briques rouges surmontée d’une tour crénelée : la tour Béziat était née ! C’est le maçon Casimir Raujol, natif de Beauvais-sur-Tarn, et grand-père maternel de Lucette Castanet qui assura la construction de cet édifice. (1) Au faîte de la tour il fera placer une girouette, peinte par Théophile Moreau en 1894, qui la même année, à la demande de Béziat, peindra deux pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « pièges à loup » et « Défense d’entrer ». Histoire d’éloigner de la tour, que l’on appelait aussi « le châlet, » les promeneurs trop curieux !
Jean Béziat ne va pas en rester là. Son projet ? Acquérir le terrain en-dessous de la Tour pour aboutir aux Allées en contrebas. En 1889, il rajoute 14 ares d’un bout de terre acheté au boulanger Joseph Dastros ; puis dernier acte en 1890 par l’achat à Catherine Ménestral des 30 ares qui lui permettent enfin d’atteindre la route au bord des Allées. C’est sur cette dernière parcelle qu’il fera construire une petite maisonnette en brique qui sera en quelque sorte « la résidence secondaire » du couple, qui continue d’habiter sur la promenade Notre-Dame, l’actuelle place du Souvenir.
Et du haut de la Tour, Jean Béziat, l’œil rivé à sa lunette, pourra à loisir contempler le superbe panorama offert à sa vue…
La vente
Les années passent…
Nous sommes en 1912. Jean Béziat à désormais 82 ans, il lui devient difficile de grimper à sa chère tour tant par les escaliers qui lui donnent accès à flanc de coteau, que par la très raide route de la côte. La mort dans l’âme, il faut songer à vendre…et puis, même si le couple vit de ses rentes, le fruit de la vente sera d’un bon secours.
Le 18 octobre 1912, devant Maître Edouard Ginestet, notaire à Villemur, comparait « Mr Jean Béziat, propriétaire et rentier et Mme Virginie Raymonde Gailhac son épouse, » qui consentent à vendre pour 3.500 francs à « Mr Fignac François Marie Saturnin, commis des Postes demeurant à Toulouse… une propriété située à Villemur comprenant une construction en chalet située en haut de la côte Notre-Dame avec terrain et jardin avoisinant la construction ci-dessus, et aboutissant à la route de Bondigoux, petite construction en bordure de cette route… » (2)
Jean Béziat et son épouse continueront de mener une vie paisible dans le quartier Notre-Dame. Au cours de leurs promenades sur les allées, leur regard se portera, là-haut vers le coteau, vers leur chère tour…
Peu après la fin de la Grande Guerre, « Jean Béziat, rentier » décède à Villemur le 9 décembre 1919. Moins d’un an plus tard, le 5 novembre 1920, ce sera le tour de son épouse Virginie Raymonde, née Gailhac.
La villa de la Tour
Le nouveau propriétaire François Fignac va faire construire, à côté de la petite maisonnette, une superbe villa en briques rouges dont les parements en céramique bleutés sont du plus bel effet. Cette maison que l’on peut admirer encore aujourd’hui, au n° 7 des Allées Charles de Gaulle, est baptisée bien évidemment « Villa de la Tour ». Elle porte sur le faite de la façade sa date de construction : 1914.
Elle devient alors la résidence secondaire de la famille Fignac et surtout de leur fille Marie-Louise qui avait épousé en 1911 Michel Maurel, un pharmacien toulousain. Elle deviendra ensuite, par le jeu des successions la propriété de la famille Lusiaux jusqu’au début des années 2000. Le dernier propriétaire de la « villa de la Tour », Monsieur Coeur, devra se résoudre il y a peu d’années, à vendre la Tour elle-même, après l’avoir restaurée.
Autour de la Tour
À l’occasion des fêtes de la Saint-Michel 1912, l’aviateur Lucien Demazel enthousiasma la foule venue l’admirer lors de son exhibition sur le terrain de Calar. Parmi le public, un jeune villemurien se mit en tête de l’imiter. « Quelque temps après, un jeune homme surnommé Coquet (le fils de la Mariétou) tourmenté par le désir de voler, tenta de décoller sur un planeur de son invention. Il hissa son espèce d’aile volante primitive en haut du coteau, près de la tour de Béziat, prit son élan et… son engin alla s’empaler sur un amandier à mi-côte. L’infortuné Coquet, sérieusement blessé, ne renouvela pas sa tentative. » (3) :
En 1930, comme de nombreux villemuriens, Gaston Galan grimpa jusqu’à la Tour pour voir le Tarn en furie « … pour mieux voir l’étendue des dégâts, je montais la côte Béziat (actuelle rue de la Côte) pour voir ma maison envahie par l’eau, sur la rive gauche au lieu-dit Port-Haut.Tout à coup je vis arriver sur l’eau un pailler au sommet duquel se trouvait un chien. Celui ci saute dans l’eau et arrive vers le pont dont le tablier était immergé… À ce moment, la pile médiane chancelle. Emporté par le courant, le pont se place en travers et fonce vers le moulin… » (4)
À partir de la fin 1942, pendant l’occupation, La Tour Béziat fut utilisée par les allemands comme tour de guet pour surveiller la plaine, notamment lors des parachutages anglais nocturnes pour le maquis du secteur de La Magdelaine. Mais malgré l’alerte donnée aux officiers qui logeaient en ville, le maquis avait récupéré les containers quand les Allemands arrivaient sur place… du moins quand ils pouvaient situer l’endroit exact du parachutage! (5) Une mitrailleuse fut même installée au sommet de ce poste d’observation unique. « Plus tard, quand les allemands sont partis… il ne restait ni porte ni fenêtre et sous la Tour, côté Tarn, on pouvait pénétrer dans une grande pièce où étaient entassés de grosses douilles, sans doute de mitrailleuses, et des balles non percutées. Il nous est arrivé de faire un feu sur la petite esplanade, d’y jeter quelques balles et déguerpir au plus vite…
Mes dernières approches avec la Tour datent de la fin de la guerre où nous allions quelquefois la nuit avec ma grand-mère lorsque des voisins nous prévenaient, pour profiter du spectacle du ciel illuminé et des éclairs que nous voyions lors des bombardements américains sur Toulouse.» (avril à août 1944) .(6)
La Tour Béziat, restée à l’abandon, fut aussi un terrain de jeux idéal et le théâtre de nos rêves de gamins. Je me souviens du petit bassin, et parmi les herbes sauvages et des ronces, les iris bleus dont le parfum se mêlait à celui des lilas en fleur. Parfois, les jeudi après-midi nous montions à l’assaut de ce château-fort miniature avec mon ami Raymond. L’été, sous le soleil brûlant et dans l’odeur des pins qui faisaient un parapluie d’ombre à la tour, nous étions les Seigneurs de Villemur !
JCF / AVH 8/2018
J’associe à la rédaction de cet article, ma collègue Yvonne Quarti de l’AVH, dont les recherches notariales m’ont été très précieuses pour l’écriture de ces lignes.
Remerciements à Georges Labouysse, Pierre Villa, Fabienne Leyme (Mairie de Villemur)
Sources :
Archives communales de Villemur. (registres de recensement de la population)
Archives municipales de Toulouse (registres de recensement de la population et listes électorales)
Crédit photo :
Photos 1, 3bis, 5, 6, 7bis Gaston Sengès, 2, Archives Départementales 31, cadastre, 3, 4, 7, Jean-Claude François.
(1) Lucette Castanet, institutrice, ancienne directrice de l’Ecole Maternelle. Communiqué par Pierre Villa.
(2) Porté au cadastre de Villemur sous le nom de « Le long de la rivière et les Granges »
(3) Marcel Peyre, Vers 1910. « Villemur-sur-Tarn, du passé au présent » Anecdotes et personnages. Sans date.
Nota : « Coquet » était le sobriquet de Jean Dast, né en 1897. Les blessures occasionnées par son accident, firent qu’il fut ajourné du service militaire en 1915, et réformé en 1917.
(4) Revue « Lou Calel » n°2, 1970 rapporté dans « L’inondation du 3 mars 1930 à Villemur » (Editions AVH)
(5) Communiqué par Georges Labouysse.
(6) Souvenirs de M. Gino Ravazzoli.