Joseph Gabriel Sentis

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Joseph Gabriel SENTIS

 

Joseph Gabriel Sentis de Villemur, tel était son nom d’artiste.
Bien que né à Varennes, commune limitrophe du Tarn-et-Garonne, il aimait à se faire appeler ainsi, montrant son profond attachement à sa ville d’adoption.

maison natale de sentis

La maison natale de Sentis. Au loin le village de Varennes. (Photo Pierre Villa)

Il est né le 31 août 1855,  précisément à la ferme des Mazères depuis laquelle on aperçoit le clocher de l’église du village. Six ans plus tard, sa sœur Marguerite vient au monde. Ses parents Jean et Marie née Marquès, sont de modestes cultivateurs et vont déceler très vite que leur fils est plus doué pour les études que pour l’agriculture. Joseph-Gabriel va fréquenter l’école communale de Varennes, puis pendant deux ans, il perfectionne ses études au petit séminaire de Moissac.
C’est ensuite le retour à Villemur où il exerce le métier de peintre. C’est la période des vaches maigres, où il cherche sa voie, à la poursuite de son rêve : devenir sculpteur.
C’est bientôt la rencontre avec Marguerite Fauré. De 17 ans son aînée, elle est « limonadière », patronne du café, rue Saint-Jean à Villemur ayant succédé dans le métier à son père. Ils se marient en 1884, et c’est une réelle providence pour Sentis car Marguerite, « à l’intelligence avisée, discerna chez son époux des sentiments d’artiste qui méritaient d’être mis en valeur, si bien qu’elle l’orienta sans peine, vers d’autres horizons, et devint ainsi l’instigatrice de la moisson de succès futurs ». (1)

à g: la fontaine Garonne, rue Boulbonne à Toulouse sculpture de J-J Labatut (1900)
à dr : l’Ariège et la Garonne, place Lafourcade à Toulouse, sculpture d’A- Laborde (1896).

Il entre alors à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse à un âge avancé mais il rattrape vite le temps perdu, et ses professeurs Alexandre Laborde et Jacques-Jules Labatut se réjouissent bientôt d’avoir un si bon élève.
Ce n’est que le début de sa carrière, car il intègre bientôt la prestigieuse Ecole du Louvre.
Il expose pour la première fois au salon de Sculpture de Paris en 1890, puis obtient une mention honorable en 1894 et une médaille de 3e classe.

Buste d’Auguste Mariette par Sentis, Musée du Louvre.

En 1895, l’Etat lui confie une commande pour les galeries du musée de Versailles. Il va alors sculpter ce qui reste son œuvre majeure : la réplique en marbre du buste de l’égyptologue Auguste Mariette (1821-1881) d’après l’œuvre originale exécutée en 1879 par Alfred Jacquemart. (2)
Les récompenses s’enchaînent : toujours en 1895, il reçoit le grand prix de l’Exposition internationale de Toulouse, puis l’année suivante une médaille d’Or à l’Exposition nationale et coloniale de Rouen.
En avril 1898, il est promu Officier d’Académie. (3)
Cette année-là sera faste pour Sentis. À 43 ans, sa carrière va prendre une autre dimension.
Il est choisi par le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts de Paris, et envoyé comme professeur et chef d’atelier pour fonder l’Ecole de sculpture dans l’Académie des Beaux-Arts de Bahia, à la demande du gouvernement brésilien.
Cette toute jeune Académie, fondée en 1877 à l’initiative du peintre d’origine espagnole Miguel Navarro y Canizares fut soutenue par des artistes et personnalités locales, le but était de donner aux élèves l’habilitation à l’exercice des professions d’architecte, de peintre et de sculpteur. Elle prendra le nom d’Ecole des Beaux-Arts en 1891.Outre Sentis pour la sculpture un autre français, le peintre Maurice Grün fit partie du corps enseignant de l’Académie entre 1893 et 1896. Sous la direction de Sentis, la nouvelle section de sculpture devint rapidement florissante et le gouvernement brésilien ne ménagea pas ses éloges à l’habile et dévoué professeur.

ecole bahia

Ecole des Beaux Arts de Salvador de Bahia.

marche a concarneau

Marché à Concarneau, Maurice Grün, 1908.

Pendant les cinq années qu’il va passer outre-Atlantique, en plus des cours dispensés à ses élèves brésiliens, il continue bien sûr de sculpter. Deux œuvres retiennent l’attention :
« Le groupe de l’Apparition » pour lequel il obtient du Pape Léon XIII la décoration Pro ecclesia et pontifice (4)
« La première page de l’Histoire du Brésil » 1e prix au concours international de Bahia en 1900. Le but de ce concours était d’élever à Bahia, un monument en l’honneur de Don Pedro Alvarèz Cabral à l’occasion du 4e centenaire de la découverte du Brésil. La presse brésilienne fut unanime à louer « La justesse du choix et le fini de l’œuvre » de notre compatriote.

notice cabral

Le monument Pedro-Alvarez Cabral et la notice éditée par Brusson au début des années 1900.

De retour en France, c’est tout naturellement à Villemur qu’il se retire, dans sa maison de la rue Saint-Michel. À quelques centaines de mètres de là, sur les hauteurs de la ville la rue du Pech résonne des coups de maillets et masses de l’artiste qui ébauche, affine, cisèle sa future œuvre. C’est là, dans ce quartier populaire qu’il a son atelier, face à la maison qu’il habitera plus tard. Nous savons peu de choses sur ses réalisations à cette époque mais il fréquente toujours le milieu de la sculpture et les salons.

maison de la moqueloune

Maison où a vécu Marius Chaubard fils de Marguerite Sentis dite « la Miqueloune. »
Photo Pierre Villa.

Ainsi en pleine guerre, au mois de février 1917, une exposition de trophées de guerre est organisée par le Comité de Presse, dans le cadre prestigieux du Musée Ingres à Montauban. Dans un salon annexe, est exposée la maquette du monument « La découverte du Brésil » celui-là même ayant été primé lors de son séjour à Bahia. (5) Cette année-là est marquée par le décès de son neveu Marius Chaubard soldat du 283e RI, fauché par un éclat d’obus au Chemin des Dames.

 

 

monument aux morts

Le Monument aux Morts de nos jours.

Après l’armistice de 1918, la municipalité de Villemur, Charles Ourgaut en tête, songe à honorer les enfants de la commune morts pour la France, en érigeant un monument à leur mémoire.
Mais ce n’est que le 28 août 1921 que le conseil municipal de Villemur consulte l’ébauche du monument aux morts proposée par Sentis. C’est en effet lui qui a été sollicité pour édifier ce monument, mais qui d’autre pouvait être choisi sinon lui, dont la renommée avait dépassé nos frontières ! Tandis que les discussions s’éternisent sur le lieu où s’élèvera le monument, Sentis, qui vient de perdre son épouse trois mois auparavant, s’enferme dans son atelier du Pech, et travaille à son œuvre.

signature sentis

Signature de Sentis sur le monument

Sentis a représenté sur un piédestal de granit, un soldat grandeur nature, debout, à l’allure belliqueuse, écrasant l’aigle allemand sous la crosse de son fusil Lebel. Il est nu-tête, le casque Adrian posé à ses pieds. C’est un poilu, un vrai, à la fière moustache. L’allure est martiale, la mise en scène héroïque. La mémoire collective des villemuriens rapporte que ce poilu porte les traits de Marius Esquié surnommé « Lou Saban », (« Le savant ») ancien combattant,  et ami intime du sculpteur. C’est finalement la place Notre-Dame qui a été choisie pour accueillir le monument aux morts, inauguré le 26 novembre 1922, dans une ambiance de recueillement et de ferveur peu communes, et c’est aujourd’hui sur cette place devenue « du Souvenir » que l’on peut toujours admirer le chef d’œuvre de Joseph Gabriel Sentis.
Si le « poilu » villemurien est bien évidemment l’original, il y aura des copies car on le retrouvera à quelques variantes près sur quelques monuments aux morts de la région. Certaines statues ont disparu avec le temps :  celles de Varennes, (6) Villebrumier, Corbarieu. Mais on peut voir encore celles des monument aux morts du Born, de Montech, de Salvagnac et de Mirepoix-sur-Tarn.
Nous ne savons rien des dernières années de Sentis à Villemur. Nul doute qu’il passa encore bien des journées dans son atelier du Pech au milieu de ses chers outils de sculpteur….Combien de ses œuvres dorment, oubliées sans quelques musées ou chez quelque particulier ignorant tout de son auteur ?

six monuments aux morts

Ci-dessus, de gauche à droite , les monuments aux morts de Varennes, Corbarieu, Villebrumier, Salvagnac, Le Born et Montech.

 

Il y a quelques années Régis Pinson dans le Tambour de Varennes faisait état d’une sculpture en bronze de Sentis, « Le tireur à l’arc », ayant fait l’objet d’une vente aux enchères à Troyes en 1991.La même sculpture semble t’il apparaît plus tard aux Etats-Unis, immergée dans la fontaine d’un parc du New-Hampshire. La signature de l’œuvre JG Sentis ne laisse aucun doute sur l’auteur. (7)

Le vendredi 10 septembre 1937, Marius Esquié, l’ami fidèle, vient déclarer à Désiré Barbe, adjoint au maire, le décès, la veille au soir, de Joseph Gabriel Sentis.
Le quotidien « L’express du Midi » du 14 septembre 1937 relate en ces termes le décès de Joseph-Gabriel Sentis : « Après une longue et cruelle maladie contre laquelle il avait longuement et victorieusement lutté, le sculpteur villemurien Gabriel Sentis, s’est éteint jeudi soir, à l’âge de 82 ans. Homme de bien, catholique fervent, fortement épris de cet esprit de charité, qualités qui contribuent à la grandeur de l’âme, Sentis les possédaient au plus haut degré et heureusement encadrées par une rare humilité ».

Le mystère reste  entier, encore aujourd’hui sur le lieu de la sépulture de Joseph-Gabriel Sentis.

photos du Pech

       Les deux photos de gauche : Villemur, quartier du Pech. La maison que possédait Sentis et son atelier.
Photo de droite : « Tireur à l’arc » de Sentis (1890), fonderie R. Cottin, Paris Collection of David Spear and Stuart Barbier
Documents Pierre Villa.

 

JCF / AVH mai 2018

Un très grand merci à mon ami Pierre Villa pour les nombreux documents et photos qu’il m’a fourni pour la rédaction de cet article.

Notes :
(1) L’express du Midi » du 14 septembre 1937. Rosalis, bibliothèque numérique de Toulouse.
(2) La sculpture, en dépôt de 1899 à 1921 au Musée national du Château de Versailles, fut affectée de 1921 à 1995 au département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Elle est actuellement présente dans le département des sculptures du Musée du Louvre. Notice du portail des collections des musées de France.
(3) Officier d’Académie distinction créée en 1808 par Napoléon Ier pour honorer les membres éminents de l’Université. C’était le premier grade dans l’Ordre des Palmes académiques, le second étant Officier de l’Instruction publique, et ce jusqu’en 1955, date de la réforme de l’Ordre.
(4) La Sainte Croix Pro Ecclesia et Pontifice est une distinction dont la traduction signifie : Pour l’Église et pour le Pape. Elle est aussi connue sous le nom de Croix de l’Honneur.
(5) Il l’exposera de nouveau quelques années plus tard au printemps 1922 dans les jardins du Grand Palais à Paris salon organisé par la Société des Artistes Français.
(6) La statue aurait été retrouvée, gisant « depuis plus de 50 ans, cachée et blottie contre la margelle du puits de l’ancienne maison de Jean Muratet, maire de Varennes durant la Grande Guerre » selon Le Tambour de Varennes n°1 2005.
(7) Le Tambour de Varennes n° 27 printemps-été 2014

Sources :
– Université Paris-Ouest Nanterre/La Défense. Thèse soutenue en 2016 par Sarah Glaisen «Le développement culturel et artistique de Bahia / Brésil dans les années 1950 : la formation d’un patrimoine Beaux arts Bahia»
– Notice sur le monument Pedro-Alvarez Cabral et son auteur, par le professeur Torquato de Arauja de l’Ecole des Arts et Métiers de Bahia (Brésil). Imprimerie Brusson Jeune, sans date.
– Rosalis, la bibliothèque numérique de Toulouse.
– Le Tambour de Varennes.(82) Bulletin d’histoire locale.

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