1934 : menaces sur l’hospice de Villemur !

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1934 : la façade de l’hospice sera t’elle démolie ?

 

Paul Mesplé (1896-1982) était journaliste, archéologue, aquarelliste, et surtout le conservateur du Musée des Augustins à Toulouse de 1941 à 1950. Il fut aussi l’auteur de très nombreux ouvrages concernant l’art sous toutes ses formes, et l’histoire de nombreux monuments de Toulouse et de la région.
En 1934, journaliste au quotidien « L’Express du Midi » il s’offusquait du sort de ce monument vénérable que nous appelons aujourd’hui « Les Greniers du Roy » et publiait cet article que nous reproduisons ici in extenso. (1)
Sujet à méditer par les urbanistes de notre ville. Doit-on sacrifier ou mutiler nos rues, allées et places au seul bénéfice de la sacro-sainte voiture ? Si certaines réalisations récentes sont un moindre mal et plutôt réussies (les Allées) d’autres à venir suscitent bien des craintes pour les riverains et les amoureux du patrimoine de la ville.  (Place du Souvenir).

Cent ans avant l’article de Paul Mesplé, et à 10 ans d’intervalle deux projets manquèrent de mettre à bas la maison dite Le Château. En 1835 le projet de la municipalité de raser l’édifice afin de construire un centre communal et l’année suivante celui du curé Fieuzet de reconstruire en ces lieux l’église Saint-Michel, ces deux projets tombèrent à l’eau. (2)
Après le déménagement de l’hospice en 1958, il faudra attendre 1974 pour assister à la réhabilitation des Greniers du Roy sous l’impulsion de Marcel Peyre et de la municipalité de Léon Eeckhoutte. Après de gros travaux de restauration, l’ancienne maison seigneuriale est inscrite à l’inventaire des monuments historique et retrouve son lustre d’antan. (3)

 

façade de l'hospice

La façade de l’hospice (XVIIe siècle), dessin de Paul Mesplé.

Mais revenons en 1934. Après les inondations de 1930, Villemur se reconstruit. Le plan d’urbanisme projette de réaligner certaines rues dont celle de l’hospice. L’heure est grave et la menace plane sur le vieil hospice.
Voici la réaction et l’article de Paul Mesplé publié dans « L’Express du Midi  »

Le dessin que nous publions en tête de ces lignes est celui d’une simple et robuste façade percée de fenêtres à meneaux, sans décoration, caractéristique de cette architecture du XVIIe siècle, « dépouillée comme une phrase classique », et qui tire son style de la seule justesse de ses proportions.
Au rez-de-chaussée, un portail surmonté d’un fronton- peut-être postérieur à l’ensemble de la façade- rompt l’ampleur de la muraille au sommet de laquelle court, à la mode méridionale, un grand toit largement débordant qui souligne d’une ombre vigoureuse la magnifique couleur que trois siècles de soleil ont imposé à ces briques qui n’ont jamais connu la souillure des crépis.
Cette façade, qui n’a rien de banal, cache un bâtiment intérieur encore moins banal. C’est aujourd’hui l’hospice de Villemur. Des malades, des vieillards y sont recueillis. Ils prennent le soleil dans un cloître dont les voûtes de la galerie inférieure sont d’une puissance singulière, et dont les galeries supérieures, aux élégants pilastres de bois, composent le plus pittoresque et le plus ensoleillé des promenoirs. Un vigoureux palmier, poussé dans le jardin, atteste l’exceptionnelle douceur du lieu, protégé par ses hautes murailles et aussi par la falaise du coteau, siège, jadis du château-fort de Villemur, et où ne veille plus aujourd’hui qu’un paisible colombier.
Cette demeure, aux galeries si bien exposées, était l’ancienne maison des greniers du château. Elle était destinée à recevoir les sacs de grains et on l’avait voulue sèche et aérée. Les plans furent bien conçus. Ils l’ont prouvé à l’usage.

Or, nous avons appris que cet immeuble était menacé, exactement que sa façade allait tomber sous la pioche. Les raisons en sont plutôt inattendues. On se rappelle la désastreuse inondation de 1930 qui fit tant de ravages. Les bas quartiers de Villemur ne furent pas épargnés. Le fléau passé, il fallut rebâtir. Monsieur Ourgaut, maire de Villemur, demanda à bénéficier pour sa ville, de la loi du 14 mars 1919 sur les plans d’extension et soumit au visa de l’autorité un projet qui fut accepté sans discussion.
Evidemment, il était urgent de reconstruire et chacun faisait confiance à M. Ourgaut dont les qualités d’administrateur lui ont valu d’être choisi, non seulement par ses concitoyens, mais encore par ses collègues du Conseil Général de la Haute-Garonne qui en ont fait, comme on sait, leur président.
Or, ce plan de M.Ourgaut et de son Conseil municipal se préoccupait, non seulement de relever les ruines, mais encore -et très légitimement- de réviser ce qui n’avait pas été atteint, d’améliorer certains quartiers, d’élargir certaines rues et c’est ainsi que dans la chaleur de la besogne, la façade de l’hospice se trouva emportée par le crayon des urbanistes.

cour intérieure de l'hospice

La cour intérieure de l’hospice, dessin de Paul Mesplé

Nous disons bien : la façade, car elle seule sera touchée. C’est pour un élargissement de deux à trois mètres qu’on sacrifie cette importante architecture, la plus belle certainement de Villemur, après la magnifique tour de défense qui plonge dans le Tarn.
Toutefois, elle ne disparaîtra pas seule. Derrière elle, il y a un escalier dont le style rustique est directement inspiré de ceux de l’Hôtel d’Assézat, de l’Hôtel de Pierre, de l’Hôtel Ulmo, à Toulouse (4) ; il y a des chambres spacieuses dont l’une est décorée d’une cheminée monumentale en briques. Tout cela va être anéanti ou lamentablement mutilé. L’hospice aura une façade neuve. Elle sera fatale à coup sûr et les malades ne s’en trouveront pas mieux.
Pour pallier à ce massacre inutile, il serait simple, semble t’il, de faire passer l’alignement de l’autre côté de la rue qui ne présente que des bâtisses sans intérêt. Seulement, voilà, il y passe déjà. Eh oui, il est prévu que les deux côtés de rue seront abattus. Un seul ne sautait suffire.
À Villemur on fait les choses grandement. Mais demanderez-vous, la nécessité de créer une si large avenue se fait-elle sentir ? Nous répondons hardiment non ! Des voitures il n’y en passe pas, et pour cause. La circulation se fait plus bas, par la grande rue, qui est aussi la route nationale. Les voies parallèles sont des voies mortes. Les travaux d’urbanisme n’y peuvent avoir d’autre rôle qu’un rôle d’assainissement. Qu’on assainisse ce qui est malsain et croulant, parfait. Mais qu’on traite de même, un noble et loyal bâtiment qui a fait ses preuves depuis trois siècles et qui semble taillé pour durer encore autant, voilà qui nous parait excessif.
Mais qui donc s’intéresse aux vieilles belles demeures du passé dans les petites villes provinciales ? Leurs administrateurs les ignorent, souvent faute d’avoir été avertis. Nous pensons que M.Ourgaut, pris par ses occupations absorbantes, n’a pas eu le loisir de s’attarder à l’examen de son vieil hospice auquel, avec bien peu de choses, on rendrait son grand air passé. Est-il trop tard pour l’arracher au tracé fatal – ce stupide tracé de la ligne droite au nom duquel on commet tant de sottises ? Nous ne le pensons pas, il suffit de le vouloir.
Evidemment, démolir est facile. Le premier venu peut abattre une belle chose, à condition d’avoir des muscles de portefaix ou une mentalité de béotien. D’ordinaire, ce n’est pas ainsi que se manifestent les administrateurs soucieux de leur réputation.

Paul Mesplé. 

(1). « L’Express du Midi » du 12 avril 1934 ; Rosalis, la bibliothèque numérique de Toulouse. https://rosalis.bibliotheque.toulouse.fr/
(4). En 1948, il publie un livre intitulé « Vieux hôtels de Toulouse », Editions du Pays d’Oc, imprimerie Douladoure frères.
(2). (Lire dans l’onglet Histoire : Villemur. La ville les places les rues, l’article consacré à la place Jean-Jaurès).
(3). Façades et toitures, y compris les galeries extérieures (cad. E 1637) : inscription par arrêté du 7 août 1974. (Base Mérimée)

JCF / AVH 04//2018

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