La piscine

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Bien que résidant dans le Var depuis de nombreuses années, Martine Pugigné a conservé la fibre villemurienne. Elle nous a fait parvenir cet article consacré à l’historique de l’ancienne piscine municipale, où se mêlent aussi témoignages et souvenirs personnels.
Voici l’intégralité de son article.

LA PISCINE

Au début du XXe siècle, le sport est une activité récente en France, et peu à peu sa pratique devient populaire.

gradins

1935. Construction des gradins.

Construite en 1935 et inaugurée le 21 juin 1936, la piscine de Villemur est la seconde du genre à avoir été construite en Haute-Garonne, après la piscine Nakache située sur l’île du Ramier à Toulouse (1931).
À l’origine de sa construction, une catastrophe naturelle. Le 3 mars 1930, Villemur-sur-Tarn est partiellement détruit par une crue du Tarn gigantesque. Edouard Herriot, député maire de Lyon, ami de Charles Ourgaut, premier édile de la petite commune, organise une levée de fonds dans sa ville et la collecte porte ses fruits.

la piscine est terminée

1936, la piscine est terminée

Une fois la mairie reconstruite, le conseil municipal de Villemur décide d’utiliser le reste du pécule pour la construction d’un complexe sportif et lors de sa séance du 26 novembre 1933 (1) , il est présenté un plan projet pour la construction du Parc des sports.
Les motivations de Charles Ourgaut sont multiples et montrent principalement une volonté sociale : l’éducation des enfants par le sport de plein air, l’hygiène des habitants avec la construction de bains-douches et le travail proposé aux ouvriers. Il veut ainsi faire rayonner Villemur dans la région par la création de ce Parc des Sports « dont on ne trouve pas d’équivalent dans le Midi » (délibérations municipale du 17 mai 1935). (2)
Ainsi Villemur va pouvoir s’inscrire dans la dynamique nationale d’aménagement sportif.

piscine bains douches et stade vélodrome

Vue générale piscine bains-douches et stade-vélodrome dans les années 1970.

L’aménagement de ce Parc des Sports prévoit la construction d’une piste cycliste avec tribunes et vestiaires, piscine, emplacements pour saut en hauteur, en longueur et saut à la perche, courts de tennis, deux terrains de boules, terrain de basket, bâtiment de bains-douches. Le coût prévisionnel est de 360 000 F et le budget définitif atteindra 800 000 francs de l’époque.

Le plongeoir.

Le plongeoir.

La piscine « semi-olympique » aux dimensions réglementaires de 25 m x 12,5 m avec cinq couloirs de nage, est alors surplombée d’un plongeoir à deux niveaux 2 m et 5 m (ce dernier a été interdit suite à divers accidents, dixit René Pinel), et des gradins en béton armé, à balustrades type paquebot, dominaient le grand bassin,en mosaïque délimité par des garde-corps.
Le choix du béton armé dénote une volonté d’afficher une image résolument moderne, en lien avec le projet social de l’époque. C’est un matériau récent et hygiénique, tout à fait adapté aux valeurs du sport dans les années 30. Il est aussi probable que le prix concurrentiel et la mise en œuvre rapide de ce matériau aient constitués des atouts majeurs pour la construction d’un ensemble tel que le Parc des Sports.
La profondeur du bassin est variable : d’une fosse à plongeon de 4,5 m sous le plongeoir jusqu’à 1,5 m à l’autre extrémité.

competition de natation

Eté 1943 : compétition de natation

Certains anciens se souviennent que, durant l’occupation, les soldats allemands allaient s’y baigner et souvent, monopolisaient bien évidemment les lieux. Sur une photo prise lors d’une compétition d’août 1943, on en voit quelques-uns parmi les spectateurs.
René et Christiane Pinel, concierges du stade-vélodrome d’avril 1964 à septembre 1973 se souviennent :

baigneurs pendant guerre

1944 : les loisirs sont rares, la piscine fait le plein.

René consignait tous ses travaux sur un cahier, il effectuait l’entretien du bassin et des abords, s’occupait des analyses et de l’ajout des produits chlorés nécessaires à la bonne qualité de l’eau de baignade. Vers 5 h du matin, il démarrait le nettoyeur du bassin dont le moteur si bruyant s’entendait jusqu’à la cité Brusson.
Plus tard, la piscine fut chauffée et ouverte à partir de la mi-mai pour les scolaires qui s’entraînaient pour les épreuves de natation du Brevet des Collèges (ou BEPC). Durant l’été, elle était ouverte de 10 h à midi et de 15 hà 19 h. En effet, il ne fallait pas se baigner avant que « la digestion du repas ne soit terminée »!
Avant l’ouverture au public, le maître-nageur donnait des cours particuliers aux jeunes enfants contre rémunération supplémentaire.
Le prix d’entrée s’élevait de quelques dizaines de centimes à deux francs.
Marie-Thérèse Gay, secrétaire de mairie délivrait à Christiane Pinel les carnets de billets, qui se répartissaient en plusieurs catégories, enfants, ados, adultes et cartes d’abonnement avec photos. Et tous les lundis matin à 9 h, Christiane allait apporter à la perception les souches ainsi que la recette exacte de la semaine placée dans son panier attaché avec des tendeurs sur le porte-bagages de son vélo. À ce moment-là, les temps étaient plus sûrs, car aucune crainte de traverser le pont avec de telles sommes d’argent !

anciens vestiaires

Les anciens vestiaires sous les gradins.

Au début, les vestiaires étaient sous les gradins et le public accédait au bassin par quelques marches après le passage obligatoire à la douche.
Mais les vols se multipliaient, un baigneur arrivé en costume est reparti en maillot de bains, sa serviette sous le bras, le costume envolé !

nageurs

Conseils aux nageurs.

Aussi Christiane proposait de conserver les papiers ou bijoux des baigneurs dans la casemate de l’U.S.V près du mur d’entrée du stade où René avait confectionné des casiers numérotés, la référence de la consigne s’effectuait avec une rondelle accrochée par une épingle à nourrice.
Dans les années 70, l’usage des bains-douches est peu à peu abandonné. En revanche disposer d’un lieu où l’on peut se changer avant de se baigner est devenu indispensable. Ainsi, le bâtiment des bains-douches devient donc « vestiaires », et le système de consigne pour les vêtements a été mis en place sous la surveillance du personnel des écoles. Il s’agissait de filets blancs et porte-manteaux jaunes numérotés dont le baigneur conservait le bracelet correspondant. Cette consigne était gratuite, aucun supplément au prix du billet.
Le nageur passait obligatoirement au pédiluve avant de déposer sa serviette de bain sur les gradins qui surplombaient le grand bassin.
Peu à peu, la vision du sport a changé, il doit maintenant être accessible à tous et l’aspect compétition perd de l’importance face au loisir. La piscine doit donc proposer un lieu de baignade pour les enfants, un second bassin moins profond que le premier est alors construit entre le bâtiment des bains-douches et le bassin existant
La piscine servait aussi de « garderie pour les vacances d’été », en effet les familles qui ne partaient pas en vacances envoyaient leurs enfants se détendre durant les heures chaudes de la journée.
Un après-midi, un adolescent plutôt espiègle se présente à l’entrée, soulève son tee-shirt et montre une couleuvre enroulée autour de son ventre.
Effrayée, Christiane laisse sa caisse et détale en hurlant, sous les rires des copains du farceur.

Un certain 15 août, 762 entrées ont été enregistrées. Devant cette affluence, les maîtres-nageurs décident de fermer le plongeoir, ils constituent des groupes de baigneurs qu’ils accompagnent depuis l’entrée jusqu’au bassin pour que chacun puisse nager en toute sécurité, le groupe précédent devant rester sur les gradins ou se détendre à l’ombre des marronniers.

Souvenirs de quelques villemuriens :
« En été, on y allait tous les jours, raconte Gaston Sengès. Et pas seulement nous, il y avait aussi les gens des villages alentours. Depuis la plage le long du Tarn, il y avait un petit chemin qui menait à la piscine. On s’y retrouvait avec les copains et les copines ».

cp piscine humoristiqueEt Christian Arnaud de poursuivre : « on se baignait dans le Tarn, puis on remontait par ce fameux petit chemin, on ne payait pas l’entrée au motif qu’on n’allait faire que quelques plongeons ! Ensuite on repartait au bord du Tarn ».
D’autres petits filous ont avoué prendre aussi des bains de minuit à l’abri des regards.
Martine Pugigné se souvient : « Le mur d’enceinte situé avenue Winston Churchill était constitué de dalles en béton superposées entre des piliers et dans les années 60, ces dalles étaient un support idéal utilisé par les annonceurs qui collaient les affiches publicitaires (notamment pour les spectacles de cirque).
Mes grands-parents dont la maison se situait en face les gradins, élevaient deux cochons chaque année, De temps en temps, il arrivait qu’un spécimen très costaud défonce la porte de l’écurie ou saute le muret de son enclos pour aller déambuler sur la route vers le stade. C’est là que les jeunes installés sur les gradins de la piscine riaient de la scène, et aussi de voir mon oncle et mon grand-père courir derrière le cochon avec un bâton, tout en criant ou jurant en patois.
Pour arrondir ses fins de mois, ma grand-mère Maria Courdié vendait des glaces (pour le compte d’un pâtissier de Villemur), à l’ombre des marronniers, cornets simples ou doubles avec parfum vanille, fraise, chocolat et pistache. Comme elle était gourmande, elle dégustait de temps en temps une petite boule de glace dans un ramequin.

bonbons de notre enfance

Les bonbons de notre enfance

À côté du congélateur, sur une table, elle ajoutait de la marchandise de mon oncle ( René dit « Coutchi ») à savoir des paquets de bonbons Kréma, rouleaux de réglisse, caramel, chewing-gums à la chlorophylle, Roudoudous (coquillages remplis de gelée grenadine), sucres d’orge, sucettes, Carensac, Malabar ou autre Carambar…. Gourmandise et régal des baigneurs !
Les cacahuètes ont été interdites à la vente, car on retrouvait des coques un peu partout et même dans l’eau.
Mais les enfants qui se pressaient devant l’étal devaient avoir le visage sec, pas question que la goutte d’eau qui perlait au bout du nez ou du menton tombe sur les bonbons…sinon, Maria rouspétait. »

Gérard Bouisset raconte : « Pour moi qui suit un enfant du stade, l’évocation du mot « piscine » fait immédiatement ressurgir une foule de souvenirs pêle-mêle, qui ont bercé les vingt-cinq premières années de de mon existence. En effet, j’ai eu la chance de naître au parc des sports de Villemur dont mes parents en étaient les concierges.
Arrivés pendant la guerre de leur Aude natale, ils devaient en occuper la fonction jusqu’en 1964, l’année de mes onze ans, et c’est avec beaucoup de regrets que je quittais ce formidable parc d’attraction pour la morosité des rues de la rive droite.
Heureusement le rugby l’hiver, et la piscine l’été allaient m’y ramener régulièrement.
Ma petite enfance me renvoie des images assez fugitives, le souci de mes parents était de me protéger du bassin car à l’époque, il n’était ni clôturé ni surveillé, point de maître-nageur, pas de station de traitement de l’eau…
Le nettoyage du bassin était assuré par Mr Louis Bourbon et les concierges vaquaient aux autres tâches, à savoir entrées, surveillance et divers autres services, c’était une autre époque ! Il fallait changer l’eau plusieurs fois dans la saison et lors du remplissage, la pression diminuait dans tout le quartier.

petit bassin

Au premier plan, le petit bassin

Pendant les années 60, durant mon enfance, j’apprenais à nager avec la complicité du premier maître-nageur que nous découvrions, Monsieur Berneyron, personnage à la fois bienveillant et autoritaire.
Je pouvais ainsi bénéficier à tout instant et comme bon me semblait de la baignade.
C’est également au cours de cette période que la station de traitement et la petite piscine apparurent.
Entre temps, M. Bourbon avait cédé la place à M. René Pinel, cet épisode voyait également ce dernier occuper à son tour les fonctions de concierge, mes parents ayant décidé, à mon grand regret, de quitter le stade vélodrome.
Désormais, j’allais revenir en ces lieux en qualité de simple « client », difficile à avaler ! Mais qu’importe l’attrait était trop fort et devenu adolescent et ensuite jeune homme ma fréquentation de l’endroit ne devait jamais se départir.
De ces années-là avec les jeunes du village, il me revient le nom de deux maîtres-nageurs : Mrs Aristide et Astoul surveillaient nos ébats aquatiques d’un œil bienveillant, il le fallait car bien que gentils, nous pouvions devenir gênants les jours de grande affluence, les piscines étaient moins nombreuses en ce temps-là.
baigneursAu fil de temps passé avec eux, ils sont devenus nos copains et même parfois nos complices. Il fallait en effet oser fermer la partie de la piscine située sous le plongeoir le dimanche à partir de 18 heures pour permettre à une dizaine de jeunes locaux d’effectuer leur « concours » de sauts ; tout ceci avec une tacite reconduction que personne ou presque ne vient se plaindre auprès des autorités locales.
D’ailleurs, le remplacement du plongeoir en dur par un tremplin augmenta de notre part la fréquentation du territoire. Ils bénéficiaient en retour de notre aide inconditionnelle.
Ainsi passèrent du début des années 50 à la fin des années 70 de joyeux moments de détente autour de la piscine municipale, mes occupations d’adulte firent que peu à peu je me détournais de ce lieu, mais fort heureusement vers le milieu des années 80 jusqu’à l’horizon 2000, mes filles à leur tour bénéficièrent de cet équipement.
Aussi lorsque début des années 2000, la fermeture du bassin prononcée au profit de la pataugeoire de Bernadou, les nostalgiques de la Municipale dont je fais partie furent fortement déçus.
Ainsi vont les choses ! »

piscine abandonnee

La piscine à l’abandon.

Effectivement, à la fin des années 90 la réfection de la piscine s’impose mais les travaux de réhabilitation sont jugés trop onéreux et le service ne correspond plus à la demande. Donc en 1999, la municipalité décide de fermer la piscine du parc des sports. À la place, un complexe aquatique est alors construit à Bernadou, celui-ci correspondant davantage à l’usage de son temps, avec une piscine dite « ludique », de faible profondeur et ne permettant pas de nager en couloir.
Mais ouverte à peine deux mois par an, la piscine ludique provoque chaque année un fort déficit d’exploitation (constat du maire M. Jean-Marc Dumoulin le 23 avril 2015 lors d’un entretien avec Marie Nativel) et durant l’année scolaire, aucun lieu ne permet l’apprentissage de la natation pour les élèves des écoles de Villemur.

site en travaux

Le site en travaux

Fleuron de la commune durant des années, le bâtiment des anciens bains-douches est à l’abandon depuis plus de 17 ans et afin d’éviter des dégradations qui commencent rapidement, les ouvertures sont murées.
Dans les cartons depuis juin 2016, la municipalité a souhaité rénover ce lieu historique pour que les villemuriens puissent se réapproprier cet endroit.
La démolition était bien sûr au programme, notamment le local technique, ainsi que le comblement des piscines. En effet, un plancher en bois a été installé, il fait office de scène, reprenant les dimensions et l’emplacement de l’ancien petit bassin. Du gazon synthétique est posé sur l’ancien grand bassin.Les gradins sont conservés pour une utilisation lors de spectacles, des festivités et autres manifestations.

nouvelle vie pour piscine et bains douches

Nouvelle vie pour piscine et bains douches

 

 

Ce nouvel espace public et ouvert, permet d’accueillir diverses animations, du cinéma en plein air, des concerts et toutes autres manifestations ou spectacles vivants. Du point de vue de la municipalité : « Il fallait redonner vie à ce lieu, sans le dénaturer, garder l’aspect des bassins par exemple ».
Le premier événement sur cette nouvelle esplanade des Bains-douches a été programmé le 11 Août 2017 avec du cinéma en plein air et la projection du film «Babysitting ».

                                                                  Martine Pugigné.

 

Sources :

D’après les articles de Jean-Claude François et Roger Larroque et les différents reportages parus sur « La Dépêche du Midi » et « Le Petit Journal », mémoire de master de Marie Nativel (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse), Cent Ans de Rugby de Roger Pinel, L’inondation du 3 mars 1930 à Villemur, (A.V.H.)
Les souvenirs de Gaston Sengès, Christian Arnaud, René et Christiane Pinel, Gérard Bouisset et Martine Pugigné.

Photo des nageurs, été 1943 :

groupe de baigneurs villemuriens

1943 : groupe de baigneurs villemuriens.

Léon Bégué nous a aimablement prêté une photo prise lors d’une compétition en été 1943. Les baigneurs photographiés nageaient dans le Tarn mais ont utilisé également le grand bassin. Certains n’ont pu être identifiés, si vous reconnaissez une silhouette, soyez aimable de contacter l’équipe de l’AVH dont les coordonnées figurent sur le site. ( voir : L’association Bureau) Par avance, merci.

Debout de g à dr : Dr Paul-Louis Bernard, Pierre Faillères, Facheris, René Dijeaux, Ramond, X, Crayssac, Roland Piccolo, Malpel.
Au milieu : Penchenat, X, André Lafon, Léon Bégué, Maurel (grainetier), X
Assis : Lambert (EDF), Géraud Penchenat, X, Tognatti.

 

(1). Registre de délibérations du conseil municipal 1D27, 1928-1935, archives communales Villemur-sur-Tarn, p. 335 et 336)
(2). Ibid.

Crédit photo :

Archives AVH, Léon Bégué, Martine Pugigné-Leplat, Jean-Claude François, Gaston Sengès.

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